
Quand les projecteurs s’éteignent, un autre film commence. Celui des soirées privées, des discussions à huis clos, des verres levés entre plusieurs langues, où les idées se testent, les projets prennent forme, et parfois, de grands films naissent en silence.
On pense souvent que Cannes se calme après la dernière projection, que les robes sont rangées et que tout se termine dans les articles du lendemain. Mais c’est mal connaître le vrai rythme de la Croisette. Car après 20h, une autre ambiance commence. Un cinéma sans écran, oui, mais où tout peut commencer.
Ce cinéma parallèle a ses propres lieux. Ce sont les rooftops confidentiels, les plages privatisées, les salons d’hôtels feutrés. Il ne s’agit pas seulement de mondanités, mais d’un espace calme où se préparent les films de demain. Dans ces moments, les projets naissent, les idées se croisent, et parfois, les personnalités se révèlent.
À l’hôtel Majestic, une terrasse surplombe la baie. Un cinéaste japonais y échange avec un jeune producteur libanais, pendant qu’à quelques tables, une actrice écoute un agent américain lui parler du rôle «à ne pas rater». Rien n’est signé, tout est suggéré. Le cinéma ici, c’est une matière souple, modelée entre deux coupes de champagne.
Une femme est assise le long du boulevard de la Croisette lors de la 78e édition du Festival de Cannes.© Valery HACHE.
Certains de ces échanges ne dureront qu’un soir. Mais d’autres laisseront une trace. Il suffit d’un geste, d’une phrase prononcée à voix basse, d’un numéro griffonné sur une serviette. C’est ainsi qu’en 2014, le producteur de Moonlight a rencontré un soutien financier lors d’un dîner organisé par un distributeur brésilien. Trois ans plus tard, l’Oscar.
Après 20h, il n’y a plus de tapis rouge à Cannes, mais les règles restent. Il faut savoir entrer, ne pas trop parler, bien observer. C’est un jeu un peu compliqué. Certains s’y perdent, d’autres s’y sentent à l’aise. Parfois, ils trouvent même un partenaire… ou une idée de film.
Les vrais déclics
À la Villa Forbes, l’un des endroits les plus fréquentés en dehors du festival, on voit peu de stars. Mais il y a des programmateurs, de jeunes réalisateurs, des monteurs, des scénaristes, venus parler non pas des films déjà faits, mais de ceux qu’ils aimeraient créer. On dit: «un film entre Almodóvar et Andrea Arnold» ou «une histoire de famille, mais sans drame». On cherche un ton, un style. C’est là que les idées commencent à prendre forme.
L'hôtel Martinez à la veille de la 78e édition du Festival de Cannes.© Bertrand GUAY / AFP
Dans les suites du Martinez, certains réalisateurs montrent sur leur téléphone une scène de leur prochain film. Ils ont cinq minutes pour convaincre. Les discussions sont longues, les décisions parfois instantanées. Un regard, une poignée de main, et le film est lancé.
Parfois, ce ne sont pas les mots qui font naître l’idée. C’est un simple moment de sincérité. Un acteur ou une actrice parle d’un doute ou d’une envie de faire autrement. Ce sont ces moments-là aussi qui construisent le cinéma à venir.
Ce type de scène s’est sans doute produit cette année encore. On peut imaginer Kristen Stewart, venue présenter son film The Chronology of Water, attablée sur une plage à La Bocca, discutant avec une réalisatrice maghrébine. Rien d’officiel, juste un échange simple et honnête. Peut-être une future collaboration. Rien n’est confirmé, mais à Cannes, les possibles comptent autant que les faits.
Dans les couloirs de l’Hôtel Barrière, une agente canadienne propose une coproduction à un producteur sénégalais. Elle connaît un bon scénariste, lui un réalisateur. Le puzzle s’assemble peu à peu. Il n’y aura pas de communiqué de presse, juste une conversation qui se poursuivra demain, au Marché du film.
Tout ne se passe pas sur invitation. Il y a ceux qui restent sur les terrasses, qui écoutent discrètement, qui se faufilent. Cannes est aussi un lieu pour ceux qui tentent leur chance. Des idées nouvelles circulent sans carte de visite. Certains échouent. D’autres, avec de la persévérance, réussissent à se faire remarquer.
Hayley Atwell et d’autres membres de la distribution applaudissent tandis que Tom Cruise étreint Christopher McQuarrie. © Antonin THUILLIER/AFP
Les soirées ne sont pas toutes inspirantes. Certaines sont creuses et superficielles. Mais parfois, une phrase surgit, un futur projet prend vie. C’est là, dans ces moments imprévus, que le cinéma change de cap.
Il faut avoir du flair, de la patience, et parfois le courage de rester jusqu’au bout de la nuit pour entendre la bonne parole. Cannes après 20h, c’est un terrain fragile et bouillonnant. Il n’y a ni projecteurs ni récompenses.
Le cinéma commence parfois dans un escalier d’hôtel ou au coin d’une table. À Cannes, les grands films s’inventent souvent dans le calme de la nuit.
Commentaires