Sida et Covid à Cannes: le miroir de deux époques
Les membres du jury Un Certain Regard — le coproducteur italien Roberto Minervini, la directrice du Festival international du film de Rotterdam (IFFR) croate Vanja Kaludjercic, la réalisatrice britannique Molly Manning Walker, la réalisatrice et scénariste française Louise Courvoisier et l’acteur argentin Nahuel Perez Biscayart — arrivent pour la projection du film The Mastermind lors de la 78e édition du Festival de Cannes, le 23 mai 2025. ©Valery HACHE / AFP

À Cannes, plusieurs films replongent dans les premières années de l’épidémie de sida, éclairées par l’expérience récente du Covid-19. Cette résonance révèle les peurs sociales persistantes et la stigmatisation toujours présente.

Plusieurs films présentés à Cannes cette année, dont certains en compétition, abordent les premières années de l’épidémie de sida, marquées par la peur et le rejet, un thème qui revient sur la Croisette avec un nouvel éclairage post-Covid.

Dans Alpha de la Française Julia Ducournau, en lice pour la Palme d’or, ainsi que dans Le Mystérieux regard du flamant rose du Chilien Diego Céspedes, qui a remporté le prix Un certain regard vendredi, un virus nouvellement apparu fait des ravages, notamment parmi les toxicomanes et la communauté LGBT.

Cette maladie énigmatique est incurable, provoquant la panique au sein de la population, qui ne sait pas comment se protéger.

Alpha montre ainsi une foule qui s’entasse devant un hôpital dans l’espoir d’y entrer, tandis que dans le film de Diego Céspedes, qui se déroule dans un village reculé du désert, on croit que la maladie se transmet par le regard.

«C’est quand même complètement dingue à quel point la peur a contaminé toutes les strates de la société», fait remarquer à l’AFP Julia Ducournau, Palme d’or en 2021 avec Titane, qui a grandi dans les années 1980-90, quand le sida provoquait une hécatombe.

«C’est ça qui m’avait terrifiée (…) plus que la maladie elle-même : à quel point on peut, en deux secondes, se retrouver seule au monde parce que les gens ont décidé que vous étiez un danger», ajoute la réalisatrice de 41 ans, qui traite la maladie de manière allégorique dans son film.

«Dans la cour d’école, dès que quelqu’un saignait, il était pointé du doigt (…) les gens ne voulaient plus l’approcher», se remémore-t-elle.Diego Céspedes, 30 ans, se souvient lui aussi «d’une vision très sombre du sida», due notamment à ce que lui avait inculqué sa mère: que c’était «quelque chose de terrible, sale, dangereux».

C’est pour cette raison qu’il a décidé de faire ce film, dont les protagonistes sont des femmes transgenres, des «personnages lumineux», selon lui, rejetées par la société mais heureuses d’être ensemble.

Dans Romería de l’Espagnole Carla Simón, également en compétition, une adolescente part en Galice, dans le nord-ouest de l’Espagne, sur les traces de ses parents toxicomanes et décédés du sida.

En rencontrant sa famille paternelle, très conservatrice, elle découvre que ses grands-parents «cachaient» son père. À partir de ce récit tiré de son histoire familiale, la cinéaste de 38 ans a voulu dépeindre une époque, celle des années 1980, quand l’héroïne ravageait tout sur son passage.

«Cela a été dévastateur en Espagne, qui a connu le taux de sida le plus élevé de toute l’Europe», rappelle la réalisatrice, récompensée par l’Ours d’or à Berlin en 2022 pour Nos soleils.

Certaines images de ces trois films (hôpitaux bondés, gants et masques, désinfectants, personnes craignant le contact...) résonnent d’une nouvelle manière après la pandémie de Covid-19 qui, depuis début 2020, a causé des millions de morts.

«Il y a des choses qui ont été très communes entre ces deux époques: la peur de l’autre, la protection chacun de soi et puis la façon dont les peurs sont réveillées par la maladie, par la méconnaissance qu’on en a», estime Franck Finance-Madureira, le président et fondateur de la Queer Palm à Cannes, un prix qui, depuis quinze ans, récompense les œuvres abordant des thématiques LGBT.

La petite dernière, troisième long-métrage et premier en compétition à Cannes de l’actrice et réalisatrice française Hafsia Herzi, a remporté vendredi soir la Queer Palm, un prix alternatif du «meilleur film LGBTQ+». Ce récit tout en pudeur de l’émancipation sexuelle et sentimentale d’une jeune homosexuelle et musulmane vivant en banlieue est librement adapté du premier roman, d’inspiration autobiographique, de Fatima Daas, publié en 2020.

Carla Simón, qui a beaucoup réfléchi au parallèle entre les années sombres du sida et la pandémie récente, voit toutefois une différence essentielle: au VIH est attachée la «stigmatisation» d’une maladie provoquée par quelque chose de mal – la drogue ou des relations homosexuelles.

Avec le Covid, «tout le monde pouvait être contaminé en respirant mais il n’y avait pas ce tabou», poursuit-elle.

La pandémie récente permet également aux jeunes générations de mieux comprendre ces années critiques de l’épidémie de sida qu’elles n’ont pas connues.

«Les jeunes sont très, très peu informés sur ce sujet. Et c’est bien de le remettre en avant de temps en temps, de continuer à en parler et de comprendre aussi à quel point ça a été traumatisant», affirme Carla Simón.

Kevin Robert Frost, président de la Fondation américaine pour la recherche sur le sida (amfAR), qui organise chaque année un grand gala à Cannes pour collecter des fonds, partage cet avis.

«Pour beaucoup de jeunes, ce n’est pas présent, ce n’est pas quelque chose à quoi ils pensent dans leur vie», relève-t-il. «J’espère que ces films aideront à sensibiliser les gens».

Avec AFP

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