
Netflix, longtemps bousculé par les festivals traditionnels, s’impose en force à la Mostra de Venise 2025. Entre grandes premières, stratégie de prestige et rivalité avec les studios classiques, la plateforme change la donne et brouille les frontières du cinéma.
Depuis plusieurs années, la Mostra de Venise est le théâtre d’une bataille discrète, mais déterminante, entre le cinéma traditionnel et les géants du streaming. En 2025, Netflix effectue un retour remarqué sur le Lido, bousculant la hiérarchie des studios et des auteurs. Trois grandes premières mondiales en compétition officielle, des œuvres très attendues, une stratégie bien pensée: la plateforme ne se contente plus de participer, elle s’impose comme un acteur central du festival et de ses évolutions.
L’histoire de Netflix à Venise est celle d’une montée en puissance rapide et parfois controversée. Il y a encore dix ans, voir un film produit par un service de streaming en compétition était inconcevable. Tout bascule en 2018: Roma d’Alfonso Cuarón remporte le Lion d’Or. Cette percée ouvre la porte à une nouvelle génération de films Netflix. En 2021, la plateforme collectionne les prix avec The Power of the Dog, The Hand of God et The Lost Daughter. La Mostra, moins stricte que Cannes sur la sortie en salle, devient alors le lieu privilégié des croisements entre cinéma d’auteur et nouveaux modèles de diffusion.
La sélection Netflix de 2025 illustre cette évolution. Parmi les titres en compétition: Jay Kelly de Noah Baumbach, Frankenstein de Guillermo del Toro, et A House of Dynamite de Kathryn Bigelow. Ce trio témoigne de la diversité d’un catalogue mêlant ambition artistique, cinéastes de renom et puissance narrative. Netflix vise le prestige: stars internationales, histoires fortes, productions soignées. L’objectif est clair: montrer que le streaming n’est plus un simple vecteur de diffusion, mais un producteur incontournable du cinéma contemporain.
Un festival en mutation
Derrière cette stratégie se cachent plusieurs enjeux: la quête de légitimité artistique, la course aux récompenses – Venise étant un tremplin pour les Oscars – et la volonté de dépasser l’image du «petit écran». Désormais, produire pour Netflix n’exclut plus le grand écran: c’est viser à la fois les salons et les salles, toucher le public mondial et la critique, s’inscrire dans le débat cinéphile.
Le Lido reflète cette mutation. Réalisateurs, équipes, spectateurs naviguent entre projections Netflix et grands studios; les critiques scrutent chaque sélection, chaque casting. Le streaming, autrefois outsider, s’impose comme partenaire et moteur de la création contemporaine. Le public suit: les séances Netflix font salle comble, et la conversation s’élargit à la place du cinéma à l’ère connectée.
Cette nouvelle édition de la Mostra marque aussi un virage: après une absence remarquée en 2024, Netflix revient avec une sélection plus resserrée, misant sur la qualité et l’événement. Les films présentés sont pensés pour Venise: œuvres d’auteur, budgets ambitieux, signatures reconnues. Le pari est de montrer que la plateforme ne produit pas un cinéma «au rabais», mais participe pleinement à la grande histoire du septième art.
Derrière la conquête, se joue la redéfinition même de la «première mondiale». Pour un film Netflix, Venise est la scène idéale: retentissement international, label d’exigence, diffusion instantanée dans plus de 190 pays. Le Lion d’Or ou le Grand Prix ne sont plus réservés aux majors historiques: ils consacrent aussi désormais des œuvres nées du streaming, sans nuire à leur valeur artistique.
L’ouverture de la Mostra ne fait pas l’unanimité. Certains cinéastes ou exploitants s’inquiètent de la fragilisation du circuit salle, de la montée en puissance des algorithmes, de la volatilité du public. D’autres saluent la capacité de Netflix à financer des films ambitieux, à renouveler les talents et à proposer des récits inédits. À Venise, la frontière entre cinéma traditionnel et plateformes s’efface un peu plus chaque année.
Ce qui est certain c’ est que la Mostra de Venise est devenue le laboratoire où s’inventent les nouveaux équilibres du cinéma mondial. Avec sa conquête du Lido, Netflix bouleverse les usages, attire la curiosité et pousse chacun à repenser la définition même du film d’auteur. Le mouvement, désormais, semble irréversible.
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