CNSS, le gros machin

Dans un cas normal de diagnostic, on devrait titrer plutôt «la grosse machine». Mais la machine CNSS n’a plus rien qui fonctionne dans son mécanisme. Elle était prédisposée d’ailleurs à devenir la première victime publique de la crise financière. Mais comment en est-on arrivé là?
L’histoire de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) a toujours été mouvementée et pas dans le bon sens. Il fallait s’y attendre: des centaines de millions de dollars circulaient tous les ans dans ses caisses et dans ses couloirs, de quoi aiguiser l’appétit des plus anorexiques.
Pour ne pas remonter trop loin dans le temps, on va démarrer avec le bras de fer Nabih Berry-Rafic Hariri en 2002, après le départ à la retraite de l’ancien directeur. Hariri avait son candidat, Ghazi Youssef, un ancien député d’une probité et expertise reconnues, alors que Berry proposait son poulain Mohammad Karaki.
Des méthodes de Berry bien connues: «Soit on avalise mes exigences, soit je bloque les projets de loi soumis par le gouvernement (Hariri).» Et il obtint gain de cause. Depuis, une plaque dorée de congratulation orne le bureau de Mohammad Karaki.
Le corollaire était donc obligé: une ère de décadence est annoncée. Tout un chacun – des assurés, des entreprises, ou des partenaires médicaux (hôpitaux…) – en a fait l’amère expérience. Pour résumer, on va juste aligner des têtes de chapitre:
- D’abord, toutes les tentatives de transparence et d’amélioration de l’efficacité par l’informatisation ont échoué. Une des manifestations les plus caricaturales en est les foules qui s’agglutinaient en permanence sur des guichets désaffectés, chacun portant un fatras de paquets froissés de médicaments et d’ordonnances, tentant de se faire rembourser, peut-être dans 6 mois ou 12 mois, ou jamais, à 80% de leur valeur, ou 40%, ou rien du tout. Tout dépend de la tête du client.
- Pour la petite histoire, la Banque mondiale (BM) a lancé à la fin des années 2000 un ambitieux projet d’informatisation totale. Une initiative qui a trébuché sur des quantités d’embûches érigées l’une après l’autre par la direction de la Caisse.
La candide BM essayait quand même de trouver un terrain d’entente, jusqu’à ce qu’on lui fasse comprendre clairement que son projet est refusé car «les données sur la classe ouvrière libanaise risquent d’être fuitées vers Israël via les USA qui ont une position dominante dans la BM». En effet, le risque de savoir que votre voisin Abou Antoun a été opéré de l’appendicite était de taille pour notre sécurité nationale.

- D’un autre côté, les vraies raisons expliquaient bien ce refus. La vie quotidienne de la Caisse était jalonnée de fausses factures, fausses entreprises, fausses identités, faux adhérents, fausses opérations chirurgicales, fausses dépenses, fausses statistiques… le taux déclaré d’hospitalisation atteignant ainsi à un moment près de 20%, un chiffre effarant.
- L’une des pratiques critiquées en permanence est que la CNSS a toujours privilégié les médicaments originaux, snobant les génériques moins chers et refusant d’importer elle-même des médicaments en gros. Autant de mesures qui auraient permis d’économiser des millions de dollars.
- Tout ce qui précède explique qu’aucun audit externe n’a été opéré sur les comptes et opérations de la Caisse depuis l’an 2010. Les rapports d’audit de 2006 à 2010 avaient d’ailleurs soulevé des points d’interrogation significatifs sur de potentielles opérations de fraude, de malversations et un déficit récurrent dans la branche maladie (selon une enquête du media The Public Source).
- La direction en a donc eu marre de ces suspicions et a empêché ces firmes curieuses de fourrer leur nez partout. Par la même occasion, les diverses commissions pouvant exercer un contre-pouvoir ont été neutralisées, y compris le Conseil d’administration formé de représentants des employeurs, des employés et de l’État. Le directeur général est devenu de facto le dictateur absolu à bord.
- Entretemps, la gestion cavalière a fait que les déficits de la branche Maladie s’accumulaient. Surtout que la Caisse s’est embarquée dans des extensions hasardeuses à forte couleur politicienne, créant des caisses Maladie pour les chauffeurs de taxis et pour des adhérents facultatifs, sans aucune étude actuarielle. Et le déficit gonflait d’année en année, poussant la direction à puiser dans la caisse Retraite, ce qui est interdit. Des centaines de millions de dollars ont été ainsi transférés, sans espoir de retour.
- Il était normal alors de constater que, dès que la crise financière a pointé du nez, la CNSS a vite fait de sombrer. Qui plus est, l’État, qui devait déjà des montants colossaux à la CNSS, ne verse plus rien. Résultat: Plus de couverture pour hospitalisation, consultations, médicaments, ou tout autre traitement. Les quelques actes qu’elle prétend couvrir sont calculés à des tarifs dérisoires que le fournisseur de service compense par des surcharges versées par le patient.
Pour le reste, les quelque 1,6 million de personnes, qui dépendaient de la CNSS pour leurs urgences médicales, se sont retrouvées sur la paille. S’ajoutant ainsi aux patients qui dépendaient de la Mutuelle des fonctionnaires ou du ministère de la Santé. Ce qui n’empêche pas l’insignifiant ministre de faire à l’occasion le paon dans sa basse-cour de ministère.
Car, si dans certains cas, vous pouvez trouver un remède pour votre maladie, il n’y en a point pour la maladie d’un pouvoir fantoche.
nicolas.sbeih@icibeyrouth.com
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