«Chaque personne vulnérable est une force pour l'avenir.» L'association caritative de Seyyed Mohammad Hossein Fadlallah le démontre quotidiennement avec des projets comme l'Institut el-Hadi. L’association soutient aussi des élèves déplacés par le conflit au Liban-Sud.
À la mémoire d'Amani Hussein Berjawi,
Zainab Hussein Berjawi,
Mahmoud Ali Amer,
Hussein Ali Amer,
Fatima Ahmad Berjawi,
Ghadeer Abbas Tarhini,
Amal Mahmoud Ouda,
Hussein Ahmad Berjawi,
tués le 14 février 2024 dans un bombardement israélien sur Nabatiyeh.
La scène sociocommunautaire chiite du Liban est marquée depuis des décennies par l’action dynamique de plusieurs associations non-partisanes. Celles-ci s’activent principalement dans le domaine pédagogique et éducatif, et, d’une manière générale, dans tout ce qui touche au développement de l’homme*. Parmi ces associations caritatives communautaires, celle des Mabarrat qui, à l’instar d’autres associations relevant de grandes familles chiites*, représente une concrétisation de la pensée et de la ligne de conduite de son fondateur, l’ayatollah Mohammed Hussein Fadlallah. La volonté d’ouverture sur l’Autre, et sur le monde en général, ainsi que l’attachement aux valeurs morales et humanistes qui ont caractérisé le parcours de l’ayatollah Fadlallah se reflètent dans l’esprit, dans la «philosophie» qui régit l’action des différentes institutions éducatives, sociales et médicales des Mabarrat.
Fondée en 1978 par l’ayatollah pour répondre aux besoins pressants de la population, l’association Al-Mabarrat a ainsi placé, d’emblée, son action dans le prolongement de la pensée profonde et l’ouverture d’esprit de cheikh Fadlallah. Celui-ci s’est rapidement distingué par un indéniable charisme, par sa vaste culture, tant religieuse que littéraire, ainsi que par sa vision lucide des problèmes de société.
Né en 1935 dans la ville sainte chiite de Najaf, en Irak, où son père (libanais) avait émigré en 1928, Mohammed Hussein Fadlallah a fait le choix de s’installer au Liban en 1966, après avoir suivi une longue formation religieuse à Najaf. Dès son arrivée à Beyrouth, il multiplie, à l’instar des imams Moussa Sadr et Mohammed Mehdi Chamseddine, les conférences et les débats dans des clubs de rencontres et des lieux de culte. Dans le même temps, il se lance à Nabaa (banlieue de Beyrouth-Est) dans une activité religieuse, sociale et éducative, ouvrant une école et un dispensaire dans ce quartier. Au début de la guerre libanaise, il est contraint de se relocaliser dans la banlieue-sud de Beyrouth, à prédominance chiite, pour relancer son action sociale et éducative.
Dans ce cadre, il met en place dans plusieurs régions des instituts de formation, notamment pour femmes, un hôpital, des dispensaires, des centres d’accueil pour orphelins et des écoles. Parmi celles-ci, El-Hadi, école avant-gardiste fondéeen 1988, qui encadre au sein de quatre centres éducatifs des enfants souffrant de handicaps physiques (malentendants, malvoyants) ou mentaux (autisme, cas spécifiques…).
Engagement politique et indépendance
Fort de sa solide formation acquise à Najaf, l’ayatollah Fadlallah a réussi à concilier, dans un savant équilibre, l’engagement politique, l’indépendance d’esprit, l’ouverture sur le monde et les autres, et, bien évidemment, l’action sociale et éducative. Au milieu des années 1980, après l’invasion israélienne de 1982, il a contribué, en sa qualité de porte-étendard de la branche libanaise du parti chiite irakien al-Daawa, à la formation du Hezbollah.
Pour autant, il n’a pas fait preuve de suivisme à l’égard du parti pro-iranien, et a fortiori du régime des mollahs de Téhéran. Il a appuyé la Révolution islamique iranienne sous la conduite de l’ayatollah Khomeyni, en 1979, mais refusé de faire acte d’allégeance totale et absolue, comme le fait le Hezbollah, au walih el-faqih (le guide suprême de la Révolution islamique en Iran). Il ne voyait pas d’un bon œil l’influence pesante de la République islamique iranienne sur le Hezbollah et le Liban. Sayyed Ali Fadlallah, fils de l’ayatollah, a exposé dans une interview à Ici Beyrouth, la position de son père sur ce plan: «Il refusait l’idée de faire acte d’allégeance pour les questions politiques au walih el-faqih, l’imam Khamenei. Il était une autorité religieuse indépendante (marjaa), contrairement à d’autres qui relèvent de qui l’on sait» – allusion au guide suprême iranien.
Cette volonté d’indépendance est perceptible au niveau des Mabarrat, comme l’explique Ali Fadlallah. «Notre association, indique-t-il, est une entité indépendante qui ne relève pas des structures existantes», dans une allusion à peine voilée au Hezbollah. «Nous exprimons nos convictions en toute liberté (…) et nous sommes soucieux de préserver notre liberté totale», souligne Ali Fadlallah à IB. Cet attachement à l’indépendance s’exprime notamment au niveau de l’autofinancement des diverses activités de l’association.

Le directeur général des Mabarrat, Mohammed Baker Fadlallah, frère de l’ayatollah, précise à ce propos à IB que l’association n’accepte de financement d’aucun parti, État ou mouvement politique quelconque. L’ayatollah avait ainsi mis en place un système d’autofinancement par le biais d’entreprises productives et lucratives, telles que le restaurant El-Saha, des établissements commerciaux, notamment dans la joaillerie, ou encore des partenariats à caractère commercial avec des entreprises à l’étranger.
Cette structure d’autofinancement paraît bien fonctionner, à en juger par la forte extension des activités d’El-Mabarrat. Mohammed Baker Fadlallah souligne à ce sujet à IB que, depuis sa fondation, en 1978, l’association a accueilli non moins de 80.000 orphelins, sans compter des centaines de personnes d’un âge avancé. Au stade actuel, ce sont 4.600 orphelins qui sont pris en charge. Quant à cheikh Ismaïl el-Zein, directeur du centre El-Hadi pour enfants handicapés ou à besoins spécifiques, il indique à IB que les quatre écoles qui constituent le centre encadrent 150 malentendants, 150 malvoyants, 200 autistes et 250 élèves à besoins spéciaux.
La volonté d’ouverture sur le monde, sans aucun préjugé, manifestée par Mohammed Hussein Fadlallah explique la présence d’El-Mabarrat dans nombre de pays étrangers et arabes. Au nombre de ceux-ci, le Qatar, le Koweït, le Soudan, la Guinée, le Burkina Faso, Abidjan et même l’Australie et les États-Unis où l’association a ouvert un centre et une école de réhabilitation pour la lutte contre l’addiction aux drogues ou à l’alcool. Autre exemple de la pérennité de cette attitude d’ouverture: la création du Forum du dialogue des cultures et des religions, initiative lancée en 2013 par le fils de l’ayatollah, Seyyed Ali Fadlallah.
Valeurs morales et humanistes
Mais, bien au-delà de l’action sociale et éducative en tant que telle, ce sont surtout les valeurs morales et humanistes qu’il prônait. Ses positions audacieuses et avant-gardistes, sur le plan de l’interprétation des textes religieux et au niveau des droits de la femme, ont fait de l’ayatollah Mohammed Hussein Fadlallah, depuis 1994, l’une des principales autorités de référence (marjaa) de la communauté chiite au Liban et dans certains pays arabes, et même à l’étranger. Cela se comprend lorsqu’on scrute les propos que tenait l’ayatollah devant les cadres d’El-Hadi lors de ses visites au centre. Ses positions sur les droits de la femme ont eu, plus particulièrement, un écho retentissant dans certains pays arabes. «La femme n’est en rien inférieure, ni dans son intelligence, ni dans le potentiel dont elle bénéficie; de ce fait, l’éducation doit être assurée aussi bien aux garçons qu’aux filles», soulignait-il.
Par ailleurs, il avait été l’un des premiers religieux musulmans à condamner avec fermeté les attentats du 11 septembre 2001, et plus généralement les attaques contre les civils.
L’ayatollah Fadlallah se distinguait en outre par sa modestie dans la vie de tous les jours. «J’apprends de l’autre», soulignait-il, faisant preuve dans ce cadre de considération envers autrui. «L’humanisme, a-t-il souligné lors de l’une de ses visites à El-Hadi, consiste à souhaiter pour autrui ce que tu aimerais pour toi-même; il consiste à faire en sorte que l’autre passe avant toi».
Tout aussi important était le rejet par l’ayatollah Fadlallah de tout repli sectaire, au niveau de la communauté chiite, notamment. «Être musulman ne signifie pas se replier sur soi-même en limitant le don de soi aux seuls musulmans, soulignait-il devant les enseignants d’El-Hadi. La religion, c’est une ligne de conduite, un état d’esprit, une générosité de cœur, c’est être sensible, c’est faire preuve d’ouverture d’esprit».
Sayyed Ali Fadlallah prononcera ces mots, particulièrement significatifs de cette ouverture d’esprit laissée comme un legs par Mohammed Hussein Fadlallah: «Nous voulons être les amis du monde.»
 



 
 
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