En 1923, la famille Beydoun inaugurait la Amlieh, première école issue de la communauté chiite libanaise. Dans ce récit, Ici Beyrouth rencontre cette institution et une famille pour qui, dès le dix-neuvième siècle en Syrie, «éduquer les masses» était une «vocation divine».
De Damas à Beyrouth, de génération en génération, voilà plus de cent cinquante ans que la famille Beydoun œuvre pour l’éducation. C’est à Damas qu’est né, en 1840, celui qui est considéré comme le bâtisseur de la renommée et de la mission éducative des Beydoun à travers l’histoire, à savoir Hajj Youssef Mohammed Beydoun.
«Vocation divine»
Né dans une famille modeste, Youssef Mohammed Beydoun a appris à l’âge de six ans, auprès d’un dignitaire religieux, les bases rudimentaires de la lecture et de l’écriture.
Faisant preuve de dynamisme et d’esprit d’entreprise, Youssef Mohammed Beydoun a posé à Damas le premier jalon de son action éducative en finançant l’ouverture d’une école pour garçons. Son succès dans les affaires et son initiative dans le domaine éducatif lui ont valu rivalités et jalousie, de sorte qu’en 1892, il quitta Damas avec sa famille pour s’installer définitivement à Beyrouth. En 1900, il effectue un séjour à Damas qu’il met à profit pour lancer une initiative avant-gardiste, voire révolutionnaire pour son époque, en l’occurrence l’ouverture d’une école pour filles à laquelle il donne son nom, l’école «el-Youssefiya». En 1923, il effectue un nouveau séjour à Damas et finance de son propre argent l’acquisition d’un vaste bâtiment pour abriter l’école qu’il avait ouverte quelques années auparavant.
Cette vocation pédagogique, l’ancien député de Beyrouth, Mohammad Youssef Beydoun,  précité, l’a qualifiée de «vocation divine», «impartie par le Tout Puissant» à sa famille, d’où la nécessité de transposer cette mission au Liban après le départ de Damas.
«Al-Amlieh» 
Youssef Mohammed Beydoun est décédé à Beyrouth en 1927, laissant derrière lui un riche héritage qu’il a légué à ses enfants de manière équitable.
Ces derniers, notamment Mohammed et Rachid, ont plus particulièrement hérité de leur père la générosité de cœur, le don de soi et la propension à venir en aide aux personnes défavorisées. En 1923, Mohammed a eu ainsi un profond sentiment de révolte à la vue d’enfants chiites travaillant dans le centre de Beyrouth comme cireurs de chaussure, portefaix ou vendeurs de journaux. Ces adolescents, pour la plupart issus de familles démunies originaires du Jabal Amil, au Liban-Sud, étaient contraints de se livrer à de telles tâches, plutôt que d'aller à l’école, afin d’assurer des revenus, même modestes, à leurs parents.
Mohammed Beydoun s’est alors montré déterminé à tout mettre en œuvre afin de scolariser ses enfants. En collaboration avec des chiites nantis, originaires notamment du Sud, il a fondé, en 1923, l’association de bienfaisance musulmane Al-Amlieh, avec pour objectif de combattre l’analphabétisme et d’ouvrir des écoles pour assurer une éducation aux enfants défavorisés. Il a ainsi posé le premier jalon du futur réseau des écoles Al-Amlieh qui s’étendra d’année en année dans plusieurs quartiers et secteurs.

Rachid Beydoun, une vie libanaise
Mohammed passera le flambeau de son ambitieux projet pédagogique à son frère, Rachid, en 1925. Celui-ci, grâce à une vaste collecte de dons, parviendra à acheter à Ras el-Nabeh un terrain sur lequel il construira deux salles de classe et une troisième salle de service, qui constitueront ainsi le noyau de la première école primaire Al-Amlieh qui sera fonctionnelle en 1928.
La première initiative de Rachid Beydoun sera d’amener, voire de forcer en quelque sorte, les enfants qui travaillaient au centre de Beyrouth à rejoindre cette école primaire. Et afin de «libérer» ces adolescents des tâches qu’ils assumaient, il versera directement à leurs parents les revenus hebdomadaires que leurs enfants leur procuraient.
Dans les années 1930, Rachid Beydoun, qui fut entre-temps élu député du Liban-Sud en 1937, dénoncera, en sa qualité de parlementaire, le manque d’intérêt de la puissance mandataire française pour l’éducation des enfants chiites. Le Haut-Commissaire de l’époque lui proposera alors d’assurer les enseignants requis s’il parvenait à louer ne fut-ce que deux salles de classe dans des villages de régions périphériques. Rachid Beydoun parviendra de la sorte à aménager en un temps record, en 1937, non moins de 47 écoles primaires au Liban-Sud et dans la Békaa, constituant ainsi le premier réseau des écoles Al-Amlieh dans le pays. Libaniste de premier ordre, Rachid Beydoun fait partie des 7 personnes qui ont signé le premier drapeau libanais.
Rachid Beydoun a refusé toutefois de limiter son projet éducatif aux classes primaires et voulait l’étendre aux cycles complémentaire et secondaire. Dans le but d’assurer les fonds nécessaires à ces projets, Rachid Beydoun effectuera plusieurs tournées en Afrique, récoltant des donations de la diaspora libanaise et établissant des partenariats.
Rachid Beydoun  est décédé en septembre 1971 après avoir consolidé la présence et la pérennité des écoles Al-Amlieh, du fait de son dynamisme et son dévouement, mais aussi grâce à un riche parcours politique qui le mènera aux plus hauts échelons de l’État.
Contre vents et marées
De 1973 à 2016, la direction de la Amlieh revient à feu Mohammad Youssef Beydoun, ancien député de Beyrouth, qui nous a quittés en décembre 2023. Outre sa carrière politique, il consolide contre vents et marées l’institution, qui subsiste malgré les multiples crises traversées par le Liban depuis 1975: les guerres intestines libanaises, les invasions israéliennes, la guerre de 2006.
De nos jours, l’héritage de la Amlieh se maintient: Youssef Beydoun, fils de l’ancien député de Beyrouth, assure la pérennité de la Amlieh et de son message.
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