Comment sauver l’éducation au Liban ? Atelier de travail au Parlement

L’éducation, l’un des fondements de la spécificité du Liban, fait face à de graves dangers qui ont été mis en relief lundi, au premier jour d’un atelier de travail qui s’est tenu à la bibliothèque du Parlement.
Cet atelier, qui rassemble durant trois jours les principaux acteurs de ce secteur et des députés, est organisé par la commission parlementaire de l’éducation, en coopération avec le ministère de l’Éducation, sous le parrainage du chef du Parlement, Nabih Berry.
Consacrée à l’enseignement scolaire public et privé, la première journée a dressé un tableau exhaustif des défis affrontés par ce secteur. Alors que les spécialistes et les députés débattaient, Place de l’Étoile, de ces difficultés, une cinquantaine d’enseignants contractuels manifestaient à quelques dizaines de mètres du Parlement, en face de la municipalité de Beyrouth, pour réclamer une amélioration de leurs conditions de travail.
À moins de trois semaines du début de l'année scolaire du secteur public, prévu le 9 octobre selon une décision du ministère de l'Éducation, il ressort des interventions de lundi qu’au niveau de l’enseignement scolaire public, les principales difficultés sont les suivantes: le manque de fonds et le nombre insuffisant d’enseignants en raison de la baisse drastique des salaires.
Le primaire
Ainsi, selon l’exposé de M. Georges Daoud, directeur de l’enseignement primaire au ministère de l’Éducation, le nombre des enseignants cadrés est passé de 13.500 durant l’année scolaire 2020-2021 à 9.700 durant l’année 2022-2023. Le nombre des enseignants non cadrés a également baissé, et le ministère de l’Éducation souffre par ailleurs d’un manque de fonctionnaires.
Il est intéressant de noter que le nombre d’élèves non libanais, en particulier les réfugiés syriens, est équivalent ou presque au nombre d’élèves libanais, sachant que les premiers perçoivent des aides internationales de loin supérieures aux Libanais. Ce point a d’ailleurs été soulevé par plusieurs intervenants.
Selon M. Daoud, les 955 écoles primaires publiques ont accueilli 205.542 élèves libanais durant l’année 2022-2023 et 190.504 non libanais, répartis entre la matinée et l’après-midi.
Cependant, des 24 millions de dollars que les pays donateurs devaient fournir au Liban en 2021-2022, seuls 17 millions ont été versés. La somme due correspond au total des sommes versées par les parties donatrices, qui sont de l’ordre de 140 dollars par élève non libanais et de 18,75 dollars par élève libanais. Quant aux sommes relatives à l’année 2022-2023, elles n’ont pas encore été versées, selon M. Daoud.
Le secondaire
Au niveau du secondaire, le nombre d'élèves étrangers est bien inférieur à celui des Libanais. Pendant l’année 2020-2021, les élèves libanais totalisaient 75.568 sur un ensemble de 83.554 élèves dans le secondaire public, selon l’exposé de M. Khaled Fayed, directeur de l’enseignement secondaire au ministère de l’Éducation.
Cependant, le nombre d’élèves dans le secondaire public libanais a largement baissé, passant en 2022-2023, à 54.151, sur 61.725 élèves dans ce secteur.
Il est également important de noter une diminution significative du nombre d'enseignants. Les enseignants cadrés sont passés de 2.958 lors de l’année 2019-2020 à 2.356 en 2022-2023, et le total des enseignants du cycle secondaire (cadrés, contractuels et autres) et tombé de 11.285 à 8.424.
Le privé

En ce qui concerne l'enseignement privé au Liban, il est à noter que les enseignants reçoivent, tout comme leurs homologues du secteur public, des salaires inférieurs à ceux qu'ils percevaient avant la crise socio-économique, bien que ces salaires soient généralement supérieurs à ceux du secteur public.
Mais un autre problème majeur se pose, à savoir celui des frais de scolarité, qui ont enregistré une augmentation significative. Ces frais sont souvent perçus en dollars et viennent s’ajouter à ceux en livres libanaises.
Au Liban, il y avait 1.593 établissements scolaires privés en 2022-2023. Parmi ces écoles, 1.199 sont payantes, 330 quasi gratuites et 64 relèvent de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Unrwa), selon les explications de M. Imad Achkar, directeur général par intérim du ministère de l’Éducation et directeur du département de l’enseignement privé.
Selon son exposé, sur les 804.523 élèves qui ont étudié dans ces écoles durant l’année 2022-2023, 650.254 étaient libanais, 96.839 syriens et 46.377 palestiniens. Les Libanais constituaient donc 81% des élèves du privé et les Syriens 12%.
Les données montrent également que le nombre d'élèves dans les écoles privées, qui s'élevait à environ 765.000 lors de l'année scolaire 2018-2019, et qui a connu une baisse significative en 2020-2021, après le début de la crise socio-économique, passant à 680.000 élèves, a enregistré une forte augmentation en 2022-2023, dépassant désormais la barre des 800.000 élèves. Les écoles privées ont ainsi redressé le cap.
Pour ce qui est des frais de scolarité, ils ont augmenté en moyenne de 220% dans les écoles privées, entre 2019-2020 et 2022-2023, selon M. Achkar. Néanmoins, cette augmentation n'a pas été accompagnée d'une hausse équivalente des salaires des enseignants.
Ces mesures adoptées par les écoles privées sont critiquées par plusieurs parties, notamment les comités des parents d’élèves qui souvent n’arrivent pas à suivre cette hausse. Certains considèrent qu’elle va à l’encontre de la loi 515, de 1996, qui régit le budget des établissements privés et leur impose de consacrer 35% de leurs dépenses aux frais de fonctionnement et de développement, et 65% aux salaires des enseignants.
Réagissant aux critiques contre les écoles privées qui perçoivent une partie des frais en dollars, le secrétaire général des écoles catholiques, le père Youssef Nasr, qui a participé à l’atelier de travail, a appelé à la protection du secteur privé et au «respect de la liberté d’enseignement».
Halabi
Prenant la parole durant la séance d’ouverture, le ministre sortant de l’Éducation, Abbas Halabi, a souligné que «l’enseignement public était en danger», ajoutant que les deux principaux problèmes étaient d’ordre «structurel, d’où la nécessité d’appliquer des réformes et d’effectuer une restructuration, et financier».
Il a indiqué que le ministère avait versé 125 dollars par mois aux enseignants l’année dernière, soulignant que les parties donatrices ne semblaient pas disposées à fournir une assistance cette année. M. Halabi a rappelé qu'il avait obtenu du gouvernement une avance de 5.000 milliards de livres libanaises, en trois versements, qui permettra de verser les aides aux enseignants. Il a également appelé les donateurs à verser 400 dollars pour chaque élève syrien scolarisé au Liban, au lieu des 140 dollars actuellement déboursés, relevant que cette somme devrait même être portée à 600 dollars, à l’instar des versements effectués en Jordanie ou en Turquie.
Concernant le secteur privé, il a souligné la nécessité d’appliquer ou de modifier la loi 515.
De son côté, le président de la commission parlementaire de l’éducation, Hassan Mrad, qui a prononcé un discours au nom du chef du Législatif, Nabih Berry, a mis en garde contre l’effondrement de l’enseignement public. Il a appelé à améliorer les conditions de vie des enseignants du public, surtout les contractuels, qui ont perdu 90% de la valeur de leurs salaires.
Les discussions de mardi seront consacrées à l’enseignement universitaire, et celles de mercredi à l’enseignement professionnel et technique. Les recommandations seront annoncées mercredi.
 
Commentaires
  • Aucun commentaire