Bethania et la religion du cœur
Un coup d’épée dans l’eau, la réunion de Bethania? Pas vraiment. Il a fallu de l’audace, au patriarche Bechara Raï, pour braver l’apparente inutilité d’un appel à la conscience, qu’il ne fait que lancer toutes les semaines, et inviter les députés chrétiens à une retraite spirituelle à Bethania.

Il aurait pu tout simplement leur dire, avec le prophète Isaïe: «Cessez de m’apporter des offrandes inutiles, vos nouvelles lunes et vos pèlerinages, je les ai en horreur (…) apprenez à faire le bien, recherchez le droit» (Isaïe 1:13 +). Il aurait pu leur reprocher une religiosité toute formelle, et appeler à une religion du cœur, celle qui s’accompagne d’une prière désintéressée et ne recherche que l’exaltation de Dieu. Au lieu de cela, il s’est adressé à leur raison, et leur a parlé de leur devoir de députés, offrant en exemple d’intégrité le chancelier britannique Thomas More (XVe-XVIe siècle), tenu pour un saint dans l’Église catholique, envoyé à la mort par Henri VIII pour être resté fidèle à l’Église et refusé de lui faire allégeance en matière religieuse.

Bien que onze députés sur 64 se soient absentés, certains pour des raisons idéologiques, les railleurs étaient là. Mais ils le sont toujours. Comme l’a confié l’un des présents: «Les sceptiques ne manquaient pas, venus là pour ne pas dire non au patriarche, pour rigoler ou pour la photo.»

Et, certes, les moments prévus pour rompre la glace – la pause entre la conférence biblique et la messe, puis le repas –, ont été insuffisants pour provoquer une véritable percée politique. Mais comme l’a avoué le vice-président des Kataëb, Salim Sayegh, «c’était déjà quelque chose que de serrer une main que l’on n’a pas serrée depuis trois ans».

Si, donc, une lecture uniquement politique de la rencontre ne peut être que décevante, sa dimension humaine ne peut être sous-estimée. Il ne faut pas enlever à l’initiative patriarcale tout mérite.


«Qu’avez-vous fait pour qu’un président soit élu?» a dit le patriarche. La question était rhétorique. Mais c’est le point faible inévitable de toute déclaration patriarcale, qui doit rester dans les généralités. «C’est vrai, on n’a pas de plan précis, admet Salim Sayegh, mais nous avons une réponse claire à la moitié de cette question. Nous savons très bien ce que nous ne voulons pas. Non au pronunciamiento du Hezbollah. Il nous faut travailler maintenant sur ce que nous voulons.»

Et M. Sayegh de relever, comme un fait notable, que le sujet de la candidature de Sleiman Frangié n’a même pas été effleuré, malgré la présence de son fils.

Les places à table ayant été libres, des députés ont eu la surprise d’entendre des échanges cordiaux, en présence du patriarche maronite, entre le chef du CPL Gebran Bassil et Sethrida Geagea. «Pourquoi ne pas endosser la candidature de Neemat Frem?», a lancé la députée de Bcharré, se disant prête à se rendre immédiatement au Parlement. Mais l’échange en est resté là, semble-t-il, par prudence, pour éviter de s’engager dans des choix mal calculés, sachant que M. Frem est le chef d’une entreprise où la doctrine sociale de l’Église est à l'honneur.

Le fait que quelques rares députés aient usé du confessionnal est également à compter à l’avantage de cette rencontre que certains veulent voir renouvelée.
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