Le Patriarche maronite, le Cardinal Raï, convie les 64 députés chrétiens à une retraite spirituelle durant la journée du 5 avril prochain, à Harissa sous le regard bienveillant de Notre-Dame du Liban. Les coqs de combat qui se retrouveront ensemble seront-ils sensibles au souffle de l’Esprit de sainteté qui souhaite les convaincre d’accepter le principe de l’élection d’un président de la République dans le seul intérêt du Liban et des Libanais ? Il est permis d’en douter.
L’image de marque des chrétiens du Liban va mal, très mal. Il fut un temps où le Libanais chrétien, notamment maronite, faisait bonne figure auprès des sociétés arabes. On lui accordait toute confiance. Il n’était point querelleur. Il demeurait soucieux de respecter le non-alignement de son pays. Où qu’il aille, il n’avait d’autre souci que s’appliquer honnêtement à son travail. Il était bien éduqué, au sein de familles de moyenne et petite bourgeoisie, soucieuses de la pudeur de leur propre dignité. Il ne se permettait pas d’insulter ouvertement les sociétés qui lui avaient ouvert leurs portes. Bref, le libanais chrétien passait pour un homme compétent, cultivé, ouvert au monde, maniant avec élégance tout un code de civilités; en résumé, un honnête homme.
Depuis le document d’entente dit de Mar-Mikhaïl (2006) et, surtout, depuis le dernier sexennat présidentiel (2016-2022) cette image semble s’être brisée en morceaux. Jadis si réservés et si soucieux de leur témoignage de qualité, un certain nombre de Libanais chrétiens, sont aujourd’hui méconnaissables. Le témoignage de la présence chrétienne en Orient en est métamorphosé. Certains chrétiens, jadis messagers d’esprit universel et d’humanisme, en viennent à oublier tout l’acquis culturel que leur pays a pu accumuler grâce à ses relations éducatives et culturelles avec l’Occident. Ils se recroquevillent sur eux-mêmes. Chacun s’enferme dans ses entrailles pour contempler son nombril. Alors qu’il était fier, jadis, d’être la vitrine de tout l’Orient arabe, il se laisse aujourd’hui dévorer par l’esprit minoritaire et par les illusions de la fixation identitaire. L’image du Liban cosmopolite et de la libanité, comme modes de vie, patiemment construits depuis le milieu du 19ème siècle, s’estompe peu à peu.
Ce libanais chrétien semble avoir perdu le contact avec le «temps du devenir, que notre liberté affirme, que les notions de démocratie et de justice illustrent et que nos cultures fécondent» comme le dit si bien Isabelle Stengers. Il préfère suspendre la course de l’histoire en se fixant à une identité tribale ou clanique dont l’essence illusoire serait intemporelle. Là, nul projet de cité ne saurait émerger. L’espace public y est un abîme sans fond car sans territoire. Y faire mémoire est déjà un oubli car l’avenir y est inconcevable. Les entrailles de la fixation identitaire sont celles d’un glacis cadavérique.
En ces lieux lugubres, la moindre compréhension vis-à-vis d’un «autre» est inenvisageable. Le Libanais chrétien de l’accord de Mar-Mikhaïl adopte ainsi un imaginaire allogène, celui de l’idéologie iranienne du Hezbollah qui est l’antithèse de l’essence même de la libanité et du message du Liban. Quand parfois il exprime une violence haineuse anti-arabe, il joue le rôle de porte-voix de son partenaire, le Parti iranien de Dieu. On comprend alors qu’il puisse être séduit par les projets de désintégration du Liban en micro-entités identitaires, sous couvert d’un pseudo-fédéralisme. Entretemps, il renoue avec la tradition multiséculaire des affrontements claniques qui durent depuis des siècles dans la montagne libanaise. L’actuelle bataille présidentielle traduit ce trait jadis évoqué par le Père Youakim Moubarak: «la passion de tout maronite de devenir président n’est que l’antichambre du décès de la présidence».
La retraite spirituelle à Harissa le 5 avril prochain, pourrait-elle guérir une telle passion dangereuse ? On peut en douter ; un bon nombre des participants ne brillent pas par leur réputation de probité morale. À quoi servirait cette réunion. À défaut d’un sincère repentir public pour leurs crimes, ne seraient-ils pas tentés de conclure une compromission sordide entre chefferies rivales (za’amat زعامات) ? On risque alors, au bout de cette journée de dupes, de se retrouver face à une issue qui rappellerait l’accord présidentiel de 2016 et son slogan « solidarité entre frères chrétiens » (أوعى خيّك).
Nul ne met en doute le pouvoir de l’Église à corriger ses propres fidèles, en vertu du Droit Canon de l’Église catholique : «la violation externe d’une loi divine ou canonique peut être punie» (Can. 1399). Par ailleurs, les dispositions canoniques stipulent que «Celui qui préside dans l’Église doit protéger et promouvoir le bien de la communauté elle-même et de chacun des fidèles […] par le témoignage de sa vie, par les conseils, exhortations et, si nécessaire, par l’infliction ou la déclaration des peines» (Can. 1311 – § 2). Il en résulte que ce n’est pas d’une retraite spirituelle dont auraient besoin de tels personnages mais d’un conclave, c’est-à-dire d’un enfermement à clé avec, pour seule nourriture, du pain sec et de l’eau jusqu’à ce qu’ils exécutent la mission pour laquelle ils ont été élus. C’est l’initiative que le peuple de Viterbe avait prise en 1271 pour élire un successeur au Pape Clément IV décédé en 1268. Depuis lors, les cardinaux de l’église romaine sont enfermés à clé jusqu’à ce que la fumée blanche annonce au monde que le scrutin a abouti. C’est ainsi, par la contrainte du bâton, qu’il faut agir avec les députés libanais.
On peut parier que l’Esprit-Saint évitera prudemment de se mêler aux retrouvailles des grands parrains le 5 avril. Quant à l’Église maronite, elle dispose de toute l’autorité nécessaire pour rappeler les députés chrétiens à leurs devoirs. Elle peut avertir, censurer, exhorter voire frapper d’interdit si nécessaire. Faire jouer à une telle caste politicienne le rôle d’enfants de chœur est une intention louable. Mais, le diable lui-même serait capable d’en faire autant. Satan ne fait pas peur; ce n’est point un griffon cornu et fourchu. Satan est séducteur; c’est le plus beau des anges.
acourban@gmail.com
L’image de marque des chrétiens du Liban va mal, très mal. Il fut un temps où le Libanais chrétien, notamment maronite, faisait bonne figure auprès des sociétés arabes. On lui accordait toute confiance. Il n’était point querelleur. Il demeurait soucieux de respecter le non-alignement de son pays. Où qu’il aille, il n’avait d’autre souci que s’appliquer honnêtement à son travail. Il était bien éduqué, au sein de familles de moyenne et petite bourgeoisie, soucieuses de la pudeur de leur propre dignité. Il ne se permettait pas d’insulter ouvertement les sociétés qui lui avaient ouvert leurs portes. Bref, le libanais chrétien passait pour un homme compétent, cultivé, ouvert au monde, maniant avec élégance tout un code de civilités; en résumé, un honnête homme.
Depuis le document d’entente dit de Mar-Mikhaïl (2006) et, surtout, depuis le dernier sexennat présidentiel (2016-2022) cette image semble s’être brisée en morceaux. Jadis si réservés et si soucieux de leur témoignage de qualité, un certain nombre de Libanais chrétiens, sont aujourd’hui méconnaissables. Le témoignage de la présence chrétienne en Orient en est métamorphosé. Certains chrétiens, jadis messagers d’esprit universel et d’humanisme, en viennent à oublier tout l’acquis culturel que leur pays a pu accumuler grâce à ses relations éducatives et culturelles avec l’Occident. Ils se recroquevillent sur eux-mêmes. Chacun s’enferme dans ses entrailles pour contempler son nombril. Alors qu’il était fier, jadis, d’être la vitrine de tout l’Orient arabe, il se laisse aujourd’hui dévorer par l’esprit minoritaire et par les illusions de la fixation identitaire. L’image du Liban cosmopolite et de la libanité, comme modes de vie, patiemment construits depuis le milieu du 19ème siècle, s’estompe peu à peu.
Ce libanais chrétien semble avoir perdu le contact avec le «temps du devenir, que notre liberté affirme, que les notions de démocratie et de justice illustrent et que nos cultures fécondent» comme le dit si bien Isabelle Stengers. Il préfère suspendre la course de l’histoire en se fixant à une identité tribale ou clanique dont l’essence illusoire serait intemporelle. Là, nul projet de cité ne saurait émerger. L’espace public y est un abîme sans fond car sans territoire. Y faire mémoire est déjà un oubli car l’avenir y est inconcevable. Les entrailles de la fixation identitaire sont celles d’un glacis cadavérique.
En ces lieux lugubres, la moindre compréhension vis-à-vis d’un «autre» est inenvisageable. Le Libanais chrétien de l’accord de Mar-Mikhaïl adopte ainsi un imaginaire allogène, celui de l’idéologie iranienne du Hezbollah qui est l’antithèse de l’essence même de la libanité et du message du Liban. Quand parfois il exprime une violence haineuse anti-arabe, il joue le rôle de porte-voix de son partenaire, le Parti iranien de Dieu. On comprend alors qu’il puisse être séduit par les projets de désintégration du Liban en micro-entités identitaires, sous couvert d’un pseudo-fédéralisme. Entretemps, il renoue avec la tradition multiséculaire des affrontements claniques qui durent depuis des siècles dans la montagne libanaise. L’actuelle bataille présidentielle traduit ce trait jadis évoqué par le Père Youakim Moubarak: «la passion de tout maronite de devenir président n’est que l’antichambre du décès de la présidence».
La retraite spirituelle à Harissa le 5 avril prochain, pourrait-elle guérir une telle passion dangereuse ? On peut en douter ; un bon nombre des participants ne brillent pas par leur réputation de probité morale. À quoi servirait cette réunion. À défaut d’un sincère repentir public pour leurs crimes, ne seraient-ils pas tentés de conclure une compromission sordide entre chefferies rivales (za’amat زعامات) ? On risque alors, au bout de cette journée de dupes, de se retrouver face à une issue qui rappellerait l’accord présidentiel de 2016 et son slogan « solidarité entre frères chrétiens » (أوعى خيّك).
Nul ne met en doute le pouvoir de l’Église à corriger ses propres fidèles, en vertu du Droit Canon de l’Église catholique : «la violation externe d’une loi divine ou canonique peut être punie» (Can. 1399). Par ailleurs, les dispositions canoniques stipulent que «Celui qui préside dans l’Église doit protéger et promouvoir le bien de la communauté elle-même et de chacun des fidèles […] par le témoignage de sa vie, par les conseils, exhortations et, si nécessaire, par l’infliction ou la déclaration des peines» (Can. 1311 – § 2). Il en résulte que ce n’est pas d’une retraite spirituelle dont auraient besoin de tels personnages mais d’un conclave, c’est-à-dire d’un enfermement à clé avec, pour seule nourriture, du pain sec et de l’eau jusqu’à ce qu’ils exécutent la mission pour laquelle ils ont été élus. C’est l’initiative que le peuple de Viterbe avait prise en 1271 pour élire un successeur au Pape Clément IV décédé en 1268. Depuis lors, les cardinaux de l’église romaine sont enfermés à clé jusqu’à ce que la fumée blanche annonce au monde que le scrutin a abouti. C’est ainsi, par la contrainte du bâton, qu’il faut agir avec les députés libanais.
On peut parier que l’Esprit-Saint évitera prudemment de se mêler aux retrouvailles des grands parrains le 5 avril. Quant à l’Église maronite, elle dispose de toute l’autorité nécessaire pour rappeler les députés chrétiens à leurs devoirs. Elle peut avertir, censurer, exhorter voire frapper d’interdit si nécessaire. Faire jouer à une telle caste politicienne le rôle d’enfants de chœur est une intention louable. Mais, le diable lui-même serait capable d’en faire autant. Satan ne fait pas peur; ce n’est point un griffon cornu et fourchu. Satan est séducteur; c’est le plus beau des anges.
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