L’accord CPL-Hezb de Mar Mikhaël: 17 ans d’enfer
6 février 2006 – 6 février 2023 : 17 ans que l’alliance entre le CPL et le Hezbollah détruit le pays, à coups d’occupation militaire, de blocage d’institutions, d’isolement international, de destructions économico-financières, de cabales populistes, etc. Un accord qui ne semble plus tenir qu’à un fil, mais qui continue d'enfoncer le Liban dans son chaos. Retour sur 17 ans de descente aux enfers.

 

C’est une véritable gifle qui a été assénée à de nombreux Libanais 17 ans auparavant en ce 6 février 2006: le général Michel Aoun, ancien commandant en chef de l’armée, annonce, souriant, une "entente" politique avec Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, formation milicienne, créée et financée par l’Iran et soutenue par la Syrie. Un nouvel allié qui rassemble tout ce que Michel Aoun avait soi-disant combattu lorsqu’il était chef d’un gouvernement de transition de 1988 à 1990.

L’accord aurait pu être considéré comme normal dans un pays où les alliances politiques se font et se défont régulièrement. Mais, malgré les projets politiques antinomiques – si tant est que le Courant patriotique libre (CPL) défende vraiment un projet étatique et non pas familial et communautaire – ce partenariat semble encore tenir. Du moins dans la forme. La visite qu’une délégation du Hezbollah a rendue à l’ancien président Michel Aoun le 2 février dernier n’était qu’une simple rencontre de courtoisie, selon les informations d’Ici Beyrouth, et l’accord serait en péril.



Le Hezbollah semble prêt à avancer son pion présidentiel en faisant du lobbying pour son candidat Sleiman Frangié au détriment du chef du CPL et gendre de Michel Aoun, Gebran Bassil. Celui-ci, qui avait négocié pendant plusieurs mois le document écrit de «Mar Mikhaël», estime qu’il devrait hériter des promesses présidentielles que la milice pro-iranienne avait faites et tenues, ce qui explique ses gesticulations dans tous les sens, ses attaques publiques implicites et explicites contre son dernier allié pour tenter de sauver sa carrière politique. Le gendre reproche à son seul allié de ne pas le soutenir – au niveau de la présidentielle, des convocations du gouvernement sortant ou de sa « lutte contre les corrompus » – lui qui est sous sanctions américaines «parce qu’il a refusé de lâcher le Hezbollah», selon ses dires.

Un mariage de raison

Gebran Bassil veut sauver sa peau. Le Hezbollah aussi souhaite se maintenir, mais il est conscient que ce n’est pas le gendre aouniste, isolé localement et internationalement, qui pourra le protéger, alors que son parrain régional est embourbé financièrement et politiquement et que la survie du régime des mollahs est en jeu.



Rien ne laisse croire, pour l’instant, que Gebran Bassil et le Hezbollah pourront surmonter leurs divergences. Pourtant, l’alliance persiste, un mariage de raison politico-politicien à la libanaise, nécessaire pour la survie des deux formations.

Malgré le divorce qui se profile à l’horizon – à moins qu’une thérapie de couple ne se mette en place pour sauver ce foyer mafieux et milicien – ce couple a quand même atteint ses objectifs réels, c’est-à-dire faire élire Michel Aoun à la présidence de la République, en contrepartie d’une légitimation et d’une mainmise sur l’État imposée par l’appareil militaire pro-iranien au détriment de tout un peuple et du pays.

Mais, comment ce document, signé par deux leaders incontestés des communautés chrétienne et chiite et qui avait, selon eux, pour objectif pompeux «la protection de la souveraineté et de l’indépendance du Liban, ainsi que l’édification d’un État fort, capable d’assurer le bien-être et la protection des citoyens, et apte à assumer ses responsabilités», a-t-il détruit de la sorte le Liban?

Lettres de créances au tuteur

Nombreux parmi ceux qui avaient cru au mythe Michel Aoun, ce général rentrant d’exil et se prenant pour un Charles de Gaulle en 1958 après sa traversée du désert, ont vécu la signature de l’accord de Mar Mikhaël comme une trahison.

D’aucuns peuvent se poser la question suivante: pourquoi Michel Aoun avait-il décidé de s’allier au Hezbollah ? La formation pro-iranienne était isolée politiquement, voire affaiblie, après le retrait des troupes syriennes du pays en avril 2005. La réponse est simple : Michel Aoun n’avait qu’un seul objectif : s’assoir sur le trône présidentiel et assouvir, lui et son gendre, Gebran Bassil, une soif de pouvoir insatiable, en profitant de tous les avantages que ce pouvoir a pu offrir à une classe politique rejetée aujourd’hui par la majorité des Libanais. Qu’importent les promesses et les engagements formulés aux Libanais, et/ou aux autres forces politiques locales et/ou à la communauté internationale, la fin justifiait les moyens pour l’Iznogoud libanais qui y laissera cependant des plumes au fil des années.

A travers cette alliance, et à travers les différents appels aux autres forces politiques, le chef du CPL et son gendre se positionnent en tant que chefs maronites d’une coalition parlementaire élargie, politique, mais surtout armée. Les déclarations aounistes vont d’ailleurs s’infléchir pour ce qui a trait aux armes illégales, notamment celles du Hezbollah. Le même Aoun qui se positionnait comme le chantre de la monopolisation étatique de la violence légitime se transforme en un gardien de milice. Face aux forces souverainistes dirigées notamment par Saad Hariri, Walid Joumblatt et Samir Geagea, Michel Aoun va adhérer à la thèse de l’alliance des minorités: dans un monde arabe sunnite, les chrétiens ne seraient protégés que par une alliance avec des communautés minoritaires, notamment chiite et alaouite. Pourtant, il fût un temps où le "général chrétien" refusait ce titre réducteur, lorsqu’il se considérait comme un leader interconfessionnel.

Se basant sur l’entente scellée avec le Hezbollah et la garantie que cette formation peut le hisser à la tête de l’État, Michel Aoun s’attelle à combattre corps et âme tous les adversaires de l’axe irano-syrien. Dès 2006, il va se placer en première ligne pour la défense de son nouvel allié et, revers de la médaille, perdre de nombreux partisans qui voyaient en lui, après son retour d’exil, le Charles de Gaulle de 1958. Au lendemain de la signature de l’entente, il va s’insurger contre ceux qui cherchaient à destituer le président Emile Lahoud, proche de la Syrie et grand défenseur de la "résistance" pro-iranienne. Ce même président Lahoud qui était l’instrument du régime sécuritaire syrien et dont le mandat avait été prorogé par Damas.


Après la guerre de juillet 2006, Michel Aoun va d’abord faire profil bas, avant de se mettre à critiquer le gouvernement, l’Onu et l’Occident et affirmer que ce sont les "armes du Hezbollah qui défendent le Liban". Pourtant, Hassan Nasrallah n’avait pas caché sa responsabilité dans cette guerre destructrice pour le Liban, lorsqu’il avait fièrement annoncé avoir lui-même «décidé d’initier cette guerre». «Que vous le vouliez ou non», avait-il lancé aux Libanais dans un de ses discours de l’époque, avant de se rattraper dans un autre : «Si j’avais su, je n’aurais pas kidnappé les deux soldats» israéliens.

Michel Aoun, qui n’a bien entendu pas réagi à ces propos, se place ensuite en première ligne du blocage dans le pays, institutionnellement, mais aussi physiquement si l’on peut dire, à coups de sit-in et de manifestations pour réclamer la démission du gouvernement et la formation d’un cabinet d’union nationale, qui lui permettrait de renforcer son pouvoir de nuisance au sein des institutions. En 2008, il défend le réseau de télécommunications illégales du Hezbollah que le gouvernement de l’époque souhaitait démanteler et appelle ses partisans à descendre dans la rue. Une "manifestation" qui se transformera vite en une occupation de la ville de Beyrouth par le Hezbollah et ses alliés, le 7 mai 2008. Mais Michel Aoun y verra " une victoire pour le Liban". En d’autres termes, il s’agissait de protéger l’alliance avec le Hezbollah pour s’assoir sur le trône.

En ce triste 7 mai, le "parti de Dieu" retourne ses armes contre une partie des Libanais pour imposer son agenda politico-régional. Pourtant, Michel Aoun était toujours convaincu - du moins, l'affirmait-il, publiquement – que le Hezbollah n’est qu’une force de résistance face à Israël. "Les armes du Hezbollah ont désormais pour seule fonction la défense du Liban. […] Il limite son action politique et militaire aux frontières du Liban", disait-il dans un livre-entretiens paru en 2007.

En août 2008, le capitaine Samer Hanna est abattu de sang-froid par le Hezbollah pendant qu’il survolait à bord d’un hélicoptère de l’armée libanaise une région contrôlée par la milice pro-iranienne au sud du pays. Commentaire de l’ancien commandant de l’armée, Michel Aoun : "Que faisait-il sur les lieux ?", comme si l’institution militaire devait quémander une permission de Hassan Nasrallah pour mener ses missions terrestres ou aériennes.

Direction Est pour se faire adouber

Au fur et à mesure que les années s’écoulent, Michel Aoun, qui s’est volontairement constitué otage de son entente avec le Hezbollah, va politiquement s'enfoncer dans cette alliance. Il est convaincu, à juste titre d’ailleurs, que seul le Hezbollah, qui reste prêt à utiliser ses armes contre des Libanais, ainsi que ses alliés régionaux, lui permettront d’atteindre son Graal. À l’automne 2008, Michel Aoun, député, se rend à Téhéran, puis à Damas où il a droit à un accueil digne des grands chefs d’État: Bachar el-Assad va même dépêcher l’avion présidentiel syrien pour l’amener à Damas, dans le cadre d’une visite de cinq jours «sur les traces des premiers chrétiens» en Syrie. Officiellement, l’ancien combattant souverainiste ouvre ainsi une nouvelle page avec le pays voisin qu’il avait combattu, tout en "ancrant les chrétiens dans leur environnement arabe". Il compare sa visite à Damas à celle de Charles de Gaulle en Allemagne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. A aucun moment, il n’abordera avec ses nouveaux amis syriens la question des dizaines de Libanais enlevés par les forces d’occupation syriennes et détenus dans leurs geôles.

L’Arabie saoudite et les pays du Golfe ne souhaitant absolument pas l’arrivée de Michel Aoun à la Première Magistrature, ce dernier va tout faire pour entraîner le Liban et ses chrétiens au sein de l’axe Téhéran-Damas-Banlieue-sud de Beyrouth. Ce faisant, il contribue à positionner le pays aux antipodes de son environnement arabe, essentiellement sunnite, et à renforcer l’alliance des minorités de la région.

Parallèlement, en bon politicien, il profite des armes et du soutien du Hezbollah pour bloquer les institutions et permettre à son camp, et surtout sa famille, de se tailler une meilleure part du gâteau au sein de l’Exécutif, que ce soit à travers l’obtention de ministères dits régaliens ou à travers des ententes tacites concernant des nominations ou des marchés juteux. Et il ne s’en cache même pas: au cours d’une conférence de presse en août 2009, il affirme qu’il s’opposera à toute mouture gouvernementale qui n’inclurait pas son gendre, Gebran Bassil, alors que ce dernier venait de perdre aux législatives. M. Aoun ira jusqu’à Damas, fin 2009, pour discuter des quotes-parts gouvernementales avec le président syrien, Bachar el-Assad.

Prise de pouvoir par force et blocage

En 2011, Michel Aoun participe au coup d’État institutionnel du Hezbollah et de ses «chemises noires» (allusion aux combattants de la formation pro-iranienne, tous de noirs vêtus qui avaient investi les rues de Beyrouth en signe d’intimidation): la démission simultanée de 11 ministres proches de ce même camp, alors que le Premier ministre Saad Hariri est reçu à la Maison Blanche, fait chuter le gouvernement. Une semaine plus tard, alors que le retour de Hariri à la tête de l’Exécutif est pressenti, le Hezbollah fait défiler ses hommes en chemises noires dans les rues de Beyrouth, tandis que Michel Aoun menace implicitement d’un nouveau "7 mai". Le Liban tombe finalement aux mains du Hezbollah, et le CPL fondé par Michel Aoun prend le pouvoir en s’assurant le tiers du gouvernement. Le leader maronite a enfin les mains déliées pour étendre son pouvoir, avec les bonnes grâces irano-hezbollahies évidemment.

Dès janvier 2011, Michel Aoun et Gebran Bassil, devenu chef du CPL en 2015, vont étendre leur influence au sein des institutions, et à travers eux, le Hezbollah aussi qui avait déjà la main sur l’appareil sécuritaire libanais. Le camp aouniste, voulant rattraper le retard accumulé par leur absence du pouvoir exécutif depuis 1990, va creuser le déficit budgétaire du pays à coups d’embauches, de nominations et d’adjudications douteuses, tandis que son allié milicien étend sa toile dans tout le Proche-Orient au lendemain des printemps arabes. À partir de mai 2014, au terme du mandat du président Michel Sleimane, le général Aoun va bloquer les institutions pendant deux ans et demi dans l’unique but d’être élu à la tête de l’État. En octobre 2016, le serf du Hezbollah trouve son Graal, tandis que le Liban commence à dépérir….

Mandat Aoun, objectifs atteints

Élu en octobre 2016, Michel Aoun va s’atteler durant les six – longues – années de son mandat à légitimer le Hezbollah et à lui ouvrir grand la porte des institutions du pays, lui qui n’a cessé de monter en puissance et de consolider son contrôle sur l’État.

En février 2017, soit quatre mois après son élection, Michel Aoun a légitimé l’arsenal milicien à l’international: dans une déclaration à la chaîne égyptienne CBC avant une visite au Caire, il assure que "les armes du Hezbollah sont nécessaires". Un an plus tard, en septembre 2018, c’est dans les colonnes du Figaro français que le président, en visite officielle à Paris, devait affirmer que le "Hezbollah défend les frontières, ne joue aucun rôle militaire à l’intérieur du pays et n’intervient pas aux frontières avec Israël". Michel Aoun avait vraisemblablement oublié que quelques mois plus tôt, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait menacé "l’ennemi sioniste".

Pas un mot non plus lorsque le Hezbollah organise le repli d’environ 8 000 jihadistes des jurds (arrière-pays) à la faveur d’un compromis entre la formation pro-iranienne, le régime syrien et l’EI, provoquant un tollé dans le pays. La milice pro-iranienne s’était permise de négocier avec un groupe terroriste – qui avait assassiné des militaires libanais et revendiqué plusieurs attentats au Liban – l’évacuation de ses combattants vers Idleb… dans des bus climatisés!

L’ancien chef de l’État a également permis au Hezbollah de contrôler la diplomatie du pays et a laissé le Liban s’enfoncer dans l’axe irano-hezbollahi. Entre engagement militaire dans les pays de la région, trafics de drogue, discours belliqueux, le Hezbollah mène la danse dans un silence qui en dit long sur l’état de la diplomatie officielle libanaise. La détérioration des relations entre Beyrouth et le Golfe ne cesse de s’accélérer, tandis que le camp aouniste accuse les Arabes d’un «complot international contre Michel Aoun». Si seulement M. Aoun avait levé ne fût-ce qu’un petit doigt pour calmer les ardeurs hégémoniques de son tuteur…

elie.ziade@icibeyrouth.com
@eliejziade
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