Voici un article publié sur Lebanon Debate, qu’Ici Beyrouth partage avec vous.
Le projet de loi dit de « l’assainissement financier et de la restitution des dépôts » n’est rien d’autre qu’une déclaration officielle de faillite de l’État libanais, financièrement et moralement, et une décision délibérée de légaliser la confiscation des fonds des Libanais sous un faux vernis juridique. Il s’agit d’une loi rédigée pour satisfaire l’étranger et non pour protéger l’intérieur ; elle vise à transformer les dépôts, d’un droit acquis, en une perte encadrée, fragmentée, reportée puis effacée, dans un processus organisé destiné à éteindre le crime plutôt qu’à le traiter.
Ce projet recoupe clairement les agendas des trois ambassades qui gouvernent de facto le Liban, au premier rang desquelles l’ambassade de France, ainsi que ceux de groupes de pression locaux, dont « Kulluna Irada ». Il s’agit d’un texte, par ailleurs, intrinsèquement inapplicable, faute de ressources financières permettant sa mise en œuvre. Tous savent qu’il est impossible à appliquer ; pourtant, il est imposé comme une condition politique extérieure, et non comme une option financière réfléchie, fondée sur des faits ou des chiffres vérifiables.
Les rédacteurs de la loi partent de l’hypothèse d’un « trou » financier estimé à environ 80 milliards de dollars, avant de le ramener ensuite, d’un simple trait de plume, à près de 50 milliards, en effaçant quelque 30 milliards de dollars de dépôts qualifiés de « douteux quant à leur légitimité », y compris des comptes prétendument suspects ou ayant généré des intérêts élevés. Aucun audit préalable, aucune procédure judiciaire, aucun jugement, pas même des critères clairs. De simples chiffres estimatifs figés dans un texte de loi, en renvoyant le « contrôle » à une phase ultérieure. Quelle logique juridique permet d’effacer d’abord puis d’auditer ensuite ? Et quel État s’arroge le droit de confisquer des propriétés privées par une décision administrative plutôt que par un jugement, en violation flagrante de la Constitution et du principe de protection de la propriété individuelle ?
Vient ensuite la promesse de restituer les dépôts jusqu’à 100 000 dollars sur quatre ans, en faisant supporter 60 % du coût à l’État et à la Banque du Liban, et 40 % aux banques. Or toute lecture sérieuse des chiffres révèle l’ampleur du scandale : la valeur de ces dépôts avoisine 20 milliards de dollars, alors que l’État ne dispose pas d’un seul dollar pour payer, puisqu’il refuse d’utiliser ses actifs pour assumer le coût de l’effondrement qu’il a lui-même provoqué ; la Banque du Liban s’est pratiquement exonérée de toute responsabilité ; et les banques sont incapables de supporter de telles charges. Dans ce contexte, la loi devient un engagement sans financement, un texte sans substance, et une nouvelle vente d’illusions. Qui paiera ? Et avec quels moyens ? Ou s’agit-il, une fois de plus, d’acheter du temps par des promesses dont les auteurs savent d’avance qu’elles sont irréalisables ?
Quant aux dépôts supérieurs à 100 000 dollars, ils seraient convertis en obligations à long terme, sur dix, quinze ou vingt ans selon le montant, c’est-à-dire en instruments de dette à la valeur incertaine, dans un État qui refuse d’assumer le coût de l’effondrement qu’il a causé et qui ne dispose d’aucune capacité avérée de remboursement selon un plan transparent. Ce n’est pas une solution, mais un report organisé des pertes, une ponction déguisée sur les dépôts, commercialisée dans un langage technique pour en masquer la réalité : une confiscation différée des droits.
En pratique, nous sommes face à un projet éminemment faillitaire, visant à fuir en avant en tentant de satisfaire théoriquement le Fonds monétaire international, et d’apaiser théoriquement l’opinion publique, par des promesses d’obligations de long terme sans aucune garantie réelle. Au fond, ce qui est proposé relève d’une opération de « tromperie » organisée à l’encontre des déposants, emballée dans un discours réformateur fallacieux.
Le plus dangereux, dans la philosophie de l’étranger et des ambassades qui sous-tendent ce projet, est la croyance selon laquelle la destruction du système bancaire ferait émerger une nouvelle classe politique. C’est une illusion périlleuse. Ce qui se joue est un projet de démolition générale au service du chaos. Car si le système bancaire s’effondre, l’État, la société, les secteurs public et privé s’effondreront avec lui, et l’argent des gens sera définitivement perdu, sans aucune perspective de redressement réel.
Malgré l’opposition massive exprimée par des ordres professionnels, des experts financiers, des forces politiques et des autorités juridiques, le projet devrait passer en Conseil des ministres avec le soutien du Premier ministre Nawaf Salam et des ministres des Finances et de l’Économie, Amer Bsat. La scène sera marquée par des protestations médiatiques de certains partis participant au gouvernement, en tête desquels les Forces libanaises, dont la fausseté apparaît rapidement au sein des séances, où la loi est adoptée sans véritable confrontation, après la soumission des ministres aux instructions extérieures, avec des tentatives flagrantes de tromper l’opinion par une opposition médiatique sans impact réel sur la décision.
Les pressions extérieures sont désormais claires et assumées, de sources multiples, au sein d’une « cuisine » politique entièrement coordonnée. La France se distingue en tête de ces pays qui exercent ces pressions, liant toute conférence de soutien — y compris la conférence de Paris dédiée à l’armée libanaise — à la réalisation de ce qu’elle appelle des « réformes ». Ainsi, la loi sur le « gap » est devenue une condition politique imposée, et non un choix financier souverain.
Selon des informations obtenues par Lebanon Debate, une solution plus rationnelle avait été envisagée avant la dernière séance du Conseil des ministres : la formation d’une commission ministérielle dotée d’un délai jusqu’au 15 janvier pour consulter toutes les parties concernées, définir ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, ouvrir un dialogue sérieux avec le Fonds monétaire international et reporter l’examen de la loi afin qu'elle soit reformulée. Mais cette voie a été brutalement abandonnée, non pour des raisons techniques, mais par crainte de compromettre l’engagement politique imposé de l’extérieur. Le choix s’est donc porté sur la voie la plus facile : l’adoption par « télécommande » étrangère, sans débat réel, sans corrections et sans reddition de comptes.
Même les défenseurs de la loi savent qu’elle est inapplicable. En revanche, elle est parfaitement à même de détruire ce qui reste de confiance et d’ouvrir la voie à un vaste chaos financier et social. L’effacement de 30 milliards de dollars de dépôts sans audit attisera des conflits internes sans fin, et la conversion de 30 milliards supplémentaires en obligations fictives consacrera l’appauvrissement organisé et anéantira tout espoir de redressement.
Ce qui se déroule aujourd’hui est l’exécution directe d’ordres extérieurs et une violation méthodique des fonds des citoyens sous couvert de réforme.
La conclusion est limpide : ce n’est pas une loi de sauvetage, mais une loi de faillite. Ce n’est pas une réforme, mais une poussée délibérée vers le chaos. Ce n’est pas une répartition équitable des pertes, mais leur transfert intégral vers les déposants sous un habillage juridique. C’est une trajectoire qui démantèle ce qui subsiste de la structure économique et financière sans aucun projet alternatif de reconstruction.
Plus grave encore, l’Histoire ne passera pas ce moment sous silence. Elle retiendra, en lettres noires, que le gouvernement de Nawaf Salam — son chef personnellement, ainsi que les ministres des Finances et de l’Économie, Yassine Jaber et Amer Bsat — ont porté atteinte aux droits des déposants et contribué, par leurs décisions, à frapper ce qui restait du secteur bancaire, plaçant le Liban sur la voie de l’effondrement total au lieu d’ouvrir celle d’un véritable redressement.



Commentaires