Gap Law ou comment sacrifier les dépôts et les banques
©Houna Loubnan

Présentée comme une mesure «réformatrice» censée restaurer la confiance, la loi sur le «gap financier» est dénoncée par ses détracteurs comme l’une des décisions les plus périlleuses pour le Liban. Ses répercussions durables sur les déposants, le secteur bancaire, l’investissement et la place financière du pays dans la région pourraient consacrer un effondrement irréversible.

Le vote attendu aujourd’hui au Conseil des ministres sur la loi sur le «gap financier» (Gap Law, ndlr) pourrait marquer un tournant décisif et extrêmement risqué dans la crise financière libanaise. Économistes et juristes avertissent : l’adoption de la loi dans sa mouture actuelle ne serait pas un instrument de sauvetage, mais la légalisation officielle de la faillite, consacrant la faillite du secteur bancaire et emportant les derniers avoirs des déposants.

Selon des cercles économiques, ce projet de loi reflète une vision portée par des acteurs liés aux approches dites de Kulluna Irada, qui font peser le coût principal de la crise sur les banques et les déposants, tout en exonérant l’État et la Banque du Liban (BDL) de leurs responsabilités financières. Ils mettent en garde contre le risque de voir les banques traditionnelles remplacées par des entités financières douteuses, menaçant gravement la sécurité économique et financière du pays.

Malgré les critiques, le texte a été réintroduit au Conseil des ministres par le Premier ministre Nawaf Salam et le ministre de l’Économie Amer Bsat. En outre, les observations du Conseil constitutionnel et les droits des déposants sont ignorés, au profit d’une gestion des pertes qui évite toute remise en cause des responsabilités étatiques.

Selon des sources proches du dossier, le ministre des Finances, Yassine Jaber, joue un rôle clé dans la promotion de l’adoption de la loi, dans le cadre des engagements du Liban envers le Fonds monétaire international (FMI). Cette approche soulève des interrogations sur la primauté des considérations internationales sur l’intérêt national.

Les mises en garde se multiplient : la loi, loin d’être une solution, institue un cadre législatif qui consacre et légalise les pertes au détriment des déposants et du secteur bancaire. Présentée comme une mesure « réformatrice », elle est critiquée par des cercles économiques et juridiques pour son absence de justice et son mépris des principes de responsabilité, menaçant la confiance déjà fragile dans le système financier.

L’ancien ministre de l’Économie, Alain Hakim, insiste sur la gravité de l’approche si elle est adoptée dans sa version actuelle. Selon lui, la loi, loin de représenter un véritable outil de sortie de crise, légitimerait au contraire une crise majeure au détriment des déposants et de l’ensemble du secteur bancaire.

Selon lui, la loi légalise les pertes et fait porter leur poids principal sur les banques et les déposants, tandis que l’État et la BDL, pourtant principaux responsables, sont une fois de plus exonérées. «Avant de parler de solutions techniques ou financières, il faut poser la question fondamentale: qui est responsable? Qui assume la responsabilité de cette crise globale, qui dépasse le cadre d’une crise systémique classique», conclut-il.

Il qualifie par ailleurs la situation de « massacre financier au sens strict du terme », soulignant que cette expression n’était en rien exagérée au regard des dispositions de la loi: destruction des capitaux des banques, effacement quasi total des droits financiers des déposants et report des paiements sur 10 à 15 ans, annihilant toute confiance restante dans le système financier, sans aucune perspective claire de compensation ou de recouvrement. «Nous assistons à un effacement des pertes mené de manière aléatoire et injuste», a-t-il ajouté.

M. Hakim avertit également que l’adoption de la loi sans modifications substantielles tenant compte des observations du Conseil constitutionnel, des droits des déposants et des obligations de l’État, constituerait un désengagement flagrant de la responsabilité nationale, une trahison de la confiance des citoyens et des déposants, et une atteinte directe au principe de justice sociale.

Pour conclure, il a souligné l’urgence d’une refonte en profondeur de la gestion de la crise, reposant sur une hiérarchie des responsabilités clairement définie et appliquée de manière équitable, plutôt que sur un simple transfert des pertes entre les différentes parties. «La véritable issue ne peut être de faire porter à la frange la plus vulnérable le poids de l’effondrement. Elle doit s’inscrire dans une démarche nationale juste, capable de restaurer à la fois la confiance et le sens des responsabilités», a-t-il déclaré.

Commentaires
  • Aucun commentaire