Dans le récit propagé par Moscou et Damas, la Russie et le régime de Bachar el-Assad auraient été les artisans de la défaite de Daech en Syrie. Cette narration présente l'intervention militaire russe débutée en septembre 2015 comme le tournant décisif dans la lutte contre Daech.
Pourtant, un examen des données révèle une réalité radicalement différente. Non seulement la Russie n'a pas joué le rôle principal dans la défaite territoriale de Daech, mais le régime d'Assad a activement facilité et financé l'organisation terroriste pendant des années.
Un soutien historique devenu stratégie
Bien avant que Daech ne proclame son califat en 2014, le régime d'Assad avait établi une longue tradition de soutien aux réseaux terroristes qui allaient former l'organisation. Entre 2001 et 2011, la Syrie servait de plaque tournante pour les combattants étrangers rejoignant Al-Qaïda en Irak (AQI), qui allait se transformer en Daech.
En février 2008, le département du Trésor américain sanctionnait le réseau d'Abou Ghadiyah, notant que «la Syrie est devenue une station de transit pour les terroristes étrangers d'Al-Qaïda en route vers l'Irak».
Les documents de Sinjar, saisis en 2007 par l’armée américaine, détaillent le réseau logistique d’Al-Qaïda en Irak et révèlent l’ampleur du rôle de la Syrie comme couloir de transit pour les jihadistes étrangers. Ils révèlent que le groupe s'appuyait sur au moins 95 coordinateurs syriens différents pour faciliter le passage des combattants.
Lorsque le printemps arabe atteint la Syrie en mars 2011, Assad transforme cette relation en stratégie délibérée. Dans un rapport, le Washington Institute rappelle que dès mai 2011, le gouvernement syrien a commencé à libérer des terroristes jihadistes via le décret présidentiel numéro 61, couvrant «tous les membres des Frères musulmans et autres détenus appartenant à des mouvements politiques».
Bassam Barabandi, ancien diplomate syrien, expliquait au Washington Post le 8 décembre 2024 que «la peur d'une révolution pacifique continue est la raison pour laquelle ces islamistes ont été libérés. Le raisonnement est qu'ils sont l'alternative à la révolution pacifique».
Parmi les libérés figurait Ali Moussa al-Shawakh, qui devint directeur du service de renseignement de Daech.
Le non-combat d'Assad et les affaires avec Daech
Une fois Daech établi en Syrie, Assad adopte une tactique consistant à cibler les rebelles modérés, pas Daech.
Simultanément, Assad menait des affaires lucratives avec le groupe terroriste. Le département d'État affirmait en 2017 que «le régime syrien a acheté du pétrole à Daech par le biais de divers intermédiaires».
Selon le Trésor américain, en 2014, «Daech peut avoir gagné jusqu'à cent millions de dollars au total provenant de la vente de pétrole à des acteurs régionaux, notamment le régime Assad». En mars 2015, l'Union européenne sanctionnait George Haswani qui «fournit un soutien au régime par son rôle d'intermédiaire dans les achats de pétrole de Daech».
Le régime permettait également à plus de vingt banques syriennes de continuer à fonctionner dans des territoires contrôlés par Daech, restant «connectées à leurs sièges sociaux à Damas», selon le rapport du Groupe d'action financière de février 2015. Même après que le Trésor américain eut sanctionné des facilitateurs financiers de Daech opérant depuis la Syrie en 2019, le gouvernement syrien ne prit aucune mesure contre eux.
L'intervention russe : une guerre contre l'opposition, pas contre Daech
Le 30 septembre 2015, la Russie lançait sa campagne en Syrie, prétendument contre Daech. Mais le Washington Institute documente que les premières frappes touchaient Talbisah, Homs et Idlib, où Daech n'avait aucune présence. Les cibles réelles étaient l'Armée syrienne libre et des rebelles modérés soutenus par la CIA.
En octobre 2015, le département d'État précisait : «Plus de quatre-vingt-dix pour cent des frappes n'ont pas visé Daech. Elles ont largement visé des groupes d'opposition qui veulent un avenir meilleur pour la Syrie».
Un rapport du Center for Strategic and International Studies (CSIS) publié en mai 2020 établit que «les leaders russes n'ont mené virtuellement aucune frappe contre Daech jusqu'en septembre 2015» et que «la stratégie reflétait une priorisation constante de la stabilisation du régime Assad et de la défaite de l'opposition sur les opérations contre Daech». Entre septembre 2015 et janvier 2018, «les forces aériennes russes ont effectué plus de trente-quatre mille sorties de combat», mais ciblaient principalement l'opposition.
Le bilan est accablant. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), «la Russie était responsable de 8 289 morts civils dans les quatre premières années de sa campagne, dont près de deux mille de moins de 18 ans». Le rapport du CSIS documente «595 attaques sur trois cent cinquante installations médicales, tuant 923 personnels médicaux».
À Alep, «73 attaques furent enregistrées sur des hôpitaux entre juin et décembre 2016, soit une moyenne d'une frappe tous les trois jours».
Les vrais vainqueurs : la coalition et les forces kurdes
En contraste frappant, la coalition internationale menée par les États-Unis menait le véritable combat. Selon une analyse du Belfer Center for Science and International Affairs, les forces dirigées par les États-Unis ont délogé Daech de plus de bastions clés, alors que la Russie et les campagnes russes contre Daech n'ont commencé sérieusement qu'en 2017, lorsque le groupe était déjà sévèrement affaibli.
Les données du Pentagone révèlent que la coalition a libéré 110 000 kilomètres carrés. Entre 2014 et 2019, elle a mené plus de 34 000 frappes aériennes, soit environ 80% de toutes les frappes anti-Daech.
Les Forces démocratiques syriennes (les Kurdes) ont payé le prix le plus lourd. Ayant subi plus de 32 000 victimes dans leur combat contre Daech, elles ont libéré Kobani en janvier 2015, Manbij en août 2016, Raqqa en octobre 2017, et finalement Baghouz en mars 2019, mettant fin au contrôle territorial du califat.
La division géographique est révélatrice : à l'est de l'Euphrate, cœur du territoire de Daech, ce sont la coalition et les FDS qui ont opéré. À l'ouest, la Russie et Assad combattaient principalement l'opposition modérée.
Rétablir la vérité
Les preuves sont incontestables : la coalition internationale et les Forces démocratiques syriennes ont vaincu Daech en Syrie. La Russie a principalement combattu l'opposition modérée tout en tuant des milliers de civils. Le régime Assad, loin de combattre Daech, l'a soutenu par des transactions pétrolières dépassant cent millions de dollars, a maintenu des services bancaires pour l'organisation, et a systématiquement évité de cibler ses positions.
Sans le soutien et la tolérance du régime syrien, Daech n'aurait pas pu évoluer en devenant le puissant groupe terroriste qu'il est devenu. Le rapport CSIS est tout aussi explicite : la décision russe d'intervenir était largement motivée par des considérations géostratégiques, pas par la lutte antiterroriste. L'Histoire se souviendra de ceux qui ont véritablement combattu le terrorisme sur le terrain, pas de ceux qui l'ont instrumentalisé.



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