Le projet de loi sur le «gap financier»: capitulation au FMI et adieu aux dépôts!
©Ici Beyrouth

Officiellement, le ministre des Finances, Yassine Jaber, a voulu présenter sa rencontre avec la délégation de l’Association des Banques comme un moment d’entente et de consensus. Le communiqué publié à l’issue de la réunion suggérait même que les deux parties, le ministère et l’Association des Banques, avaient trouvé un terrain d’entente sur plusieurs volets du projet de loi relatif au « gap financier » et à la restructuration du secteur bancaire.

Mais en coulisses, le tableau est bien moins harmonieux.

La réunion, présidée par M. Jaber et réunissant une délégation menée par Selim Sfeir, portait principalement sur le projet de loi concernant le « gap financier », actuellement examiné par la commission ministérielle et la Banque du Liban. D’autres sujets sensibles ont également été abordés : les fonds des déposants, la restructuration des établissements bancaires, et le contrôle de leurs comptes.

À l’issue des échanges, le ministre a évoqué la nécessité d’une coordination étroite avec la Banque du Liban et l’Association des Banques, saluant des « progrès » dans les discussions. 

Pourtant, selon des sources proches du dossier, ces déclarations ne reflètent pas la réalité des débats : aucun consensus n’a été atteint, et les divergences restent vives quant à la manière de traiter le «gap financier ».

Le gouvernement semble d’ailleurs réévaluer sa lecture de la crise en cours.

Le gouverneur de la Banque du Liban, Karim Souhaid, a rappelé dans ses analyses que la crise actuelle est de nature systémique, une lecture que les banques partagent, estimant qu’elle touche l’ensemble du secteur et non quelques acteurs isolés. Or, dans la dernière mouture du projet de loi, le gouvernement semble vouloir esquiver cette qualification, sans doute pour se soustraire à ses responsabilités quant au coût de la crise et aux dettes qui en découlent. Des dettes qui, en réalité, correspondent aux sommes dues par la Banque du Liban aux banques, autrement dit, aux dépôts des déposants.

Cependant, ce revirement dans la manière de qualifier la crise intervient alors même que le ministre des Finances, Yassine Jaber, avait lui-même reconnu, lors du dernier congrès de l’Union des Banques arabes à Beyrouth, que la crise libanaise est systémique.

Il avait alors déclaré sans ambages : « Le Liban a connu, au fil de son histoire, plusieurs crises financières et bancaires dont il a toujours su se relever, et c’est ce qui nourrit aujourd’hui notre espoir. Mais la dernière crise diffère des précédentes : elle a touché l’ensemble du système bancaire, la Banque du Liban étant devenue partie prenante du problème. La crise s’est ainsi transformée en une crise du système financier, notamment après la décision du gouvernement libanais, en avril 2020, de cesser le paiement de sa dette émise sous forme d’eurobonds.

Un constat clair, aujourd’hui mis en sourdine.

Il semble pourtant que le gouvernement et son ministre aient infléchi leur position sous les pressions du Fonds monétaire international, qui pousse pour un plan radical de « remise à zéro » des dépôts, impliquant une disparition pure et simple des capitaux bancaires, le tout sous couvert de préserver la capacité d’emprunt de l’État.

Dans le prolongement des discussions tenues au ministère des Finances, un débat nourri s’est cristallisé autour d’une nouvelle initiative gouvernementale : un « audit des banques » présenté comme une innovation, mais dont les contours restent flous. Ce projet, à effet rétroactif jusqu’en 2017, soit deux ans avant l’éclatement de la crise, suscite de vives interrogations.

Officiellement, l’objectif serait d’identifier les failles et irrégularités du système bancaire, et de procéder à une nouvelle classification des dépôts. Mais aucun critère méthodologique n’a été défini, et selon plusieurs observateurs, cette démarche viserait surtout à légitimer, sans fondement scientifique ni juridique, une requalification des dépôts, ouvrant la voie à leur suppression partielle.

Sous la pression du Fonds monétaire international, le gouvernement semble déterminé à réduire coûte que coûte l’ampleur du « gap financier ». Une logique qui, dans les faits, se traduirait par une évaporation accrue des dépôts, au détriment des déposants.

Ce qui est pour le moins surprenant, voire inquiétant, c’est que le ministère des Finances semble ignorer que la Banque du Liban a déjà mené un audit rétroactif des comptes bancaires. Cette étude, fondée sur des critères scientifiques et conformes au droit, a permis d’évaluer les profits issus des taux d’intérêt et des opérations d’ingénierie financière, et de classifier les comptes de manière rigoureuse.

Partant, cette analyse devrait servir, en toute logique, de socle à toute législation relative au « gap financier ».

Parmi les divergences les plus préoccupantes autour de ce projet de loi, l’exclusion des banques et des déposants du processus de rédaction suscite une vive inquiétude. Ces deux parties, pourtant directement concernées par les conséquences de la crise, sont tenues à l’écart des discussions, ce qui soulève de sérieuses interrogations sur les intentions réelles du gouvernement.

Cette mise à l’écart alimente les soupçons quant à une volonté politique d’alignement sur les recommandations du Fonds monétaire international, notamment celles qui préconisent la liquidation de certaines banques, avec pour corollaire la dilution des droits des déposants.

Le désaccord entre le ministre des Finances, Yassine Jaber, et l’Association des banques est manifeste. Il porte à la fois sur le contenu du projet de loi, sur les modalités de restitution des dépôts, ainsi que sur les amendements proposés à la loi de restructuration du secteur bancaire.

Pourtant, le ministre Jaber ne cesse de marteler, à chacune de ses interventions publiques, la nécessité d’une coopération étroite avec le FMI. Hier encore, il déclarait : « Sans le FMI, le Liban ne pourra pas retrouver sa place sur les marchés internationaux ni au sein de la communauté internationale. Toute aide au Liban est désormais conditionnée à une coordination étroite avec le Fonds.”

Mais une question lancinante demeure : à quel prix ? Et surtout au détriment de qui ? La réponse est claire : des déposants, et de leurs économies.

 

 

 

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