Le FMI: Équilibrer la dette publique et les droits des déposants
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Voici une analyse percutante de la capital-risqueuse Samara Azzi sur la manière dont les propositions du FMI présentées à la Banque du Liban risquent de prolonger — plutôt que de résoudre — les difficultés financières et économiques du pays. L’article a été publié sur le site du Washington Institute. Ici Beyrouth vous le partage.

Alors que le Liban fait face à de multiples défis pour se relever de l’effondrement économique de 2019, deux questions interdépendantes restent particulièrement controversées : récupérer l’argent des Libanais qui ont perdu l’accès à leurs dépôts bancaires, et tenir pour responsables ceux qui ont dilapidé ces fonds. Beaucoup insistent pour rejeter la faute sur le secteur bancaire libanais, exonérant ainsi les responsables politiques — actuels et anciens — de leur rôle dans la fraude aux dépôts. C’est le récit préféré du Hezbollah et de ses alliés, qui ont offert la couverture politique à une culture de corruption ayant mené à l’effondrement économique.

Le nouveau gouvernement négocie actuellement un programme de réformes avec le FMI, une opportunité majeure pour demander des comptes aux responsables politiques. Cependant, les discussions ne semblent pas aller dans la bonne direction. Au lieu de mettre l’accent sur la responsabilité, le FMI, comme d’autres bailleurs de fonds internationaux, semble se concentrer surtout sur la réduction de l’endettement de son futur client — en l’occurrence, l’État libanais — au détriment des déposants et de la Banque du Liban (BDL).

 

Blocage autour des actifs de l’État

Une proposition qui circule dans les couloirs du pouvoir à Beyrouth est au cœur de la controverse : la vente d’une partie des réserves d’or de la BDL. Les décideurs s’y intéressent car la hausse du prix de l’or en a fait l’actif le plus performant de la banque centrale. Mais si ces réserves sont aujourd’hui estimées à 33 milliards de dollars, la dette totale de la BdL est d’environ 80 milliards. La proposition du FMI d’imposer à la BDL la liquidation d’une partie de ses réserves d’or est particulièrement sensible, car ces actifs sont largement considérés comme appartenant à la BDL et à ses déposants, et non à l’État lui-même.

Des députés ayant rencontré le FMI affirment que celui-ci a suggéré au gouvernement libanais de ne pas rembourser sa dette de 16,5 milliards de dollars envers la BDL — une somme que la banque centrale destine au remboursement direct des déposants. L’objectif derrière cette manœuvre n’est pas d’améliorer les finances publiques au profit des déposants ou de l’économie, mais de rendre le profil de dette du Liban suffisamment « allégé » pour permettre un nouvel emprunt auprès du FMI, réduisant ainsi le risque pour l’institution.

Les conséquences de cette proposition menacent trois piliers essentiels de l’architecture financière libanaise : la banque centrale, les banques commerciales et les déposants ordinaires. La BDL joue le rôle d’autorité monétaire, émettant la livre libanaise, gérant les taux d’intérêt et stabilisant le taux de change (historiquement via un arrimage au dollar). Les banques commerciales, elles, canalisent l’épargne locale et celle de la diaspora dans l’économie en collectant les dépôts et en octroyant des prêts aux entreprises, aux ménages et à l’État.

Ces banques, en plus d’attirer des milliards de dépôts en devises qui financent le déficit commercial chronique du pays et les besoins du secteur public, sont un créancier clé de l’État, achetant massivement des obligations souveraines et plaçant leurs fonds à la BDL. La confiance des déposants dans ces banques est donc cruciale : un retrait massif de fonds ou un arrêt des transferts de la diaspora provoquerait une crise de liquidité. Les dépôts des Libanais et de leur diaspora permettent aux banques de prêter à l’économie et au gouvernement. Si l’État refusait d’honorer ses obligations et faisait porter la perte de ses 16,5 milliards de dettes aux banques et aux déposants, le secteur bancaire s’effondrerait presque à coup sûr.

L’approche du FMI est dangereuse non seulement parce qu’elle condamne le secteur bancaire formel, mais aussi parce qu’elle renforce l’économie parallèle — dominée aujourd’hui par le « duo chiite », Amal et le Hezbollah. Avec des déposants privés de leurs comptes et des banques paralysées, les transactions en cash dominent le marché, donnant à ces groupes un pouvoir accru sur le commerce, la fiscalité et le change. Des économistes alertent : une telle situation consolide la corruption, renforce des structures parallèles de pouvoir et réduit toute perspective de retour à une gouvernance économique formelle.

À l’approche des élections de l’an prochain, le débat au Parlement va s’intensifier. La question n’est plus seulement la restructuration du secteur bancaire — dont la BDL a déjà tracé les grandes lignes (élimination des créances irrégulières et remboursement en cash et en titres). La question centrale est désormais : qui paie le prix de la restructuration, et qui finance la relance ? Le FMI semble défendre un modèle où l’État — son débiteur potentiel — n’assume aucune responsabilité pour ses erreurs passées, laissant la BDL, les banques commerciales et, en dernier ressort, les déposants porter le fardeau.

 

Combler le fossé

Le sentiment de déjà-vu est palpable au Liban, rappelant la crise bancaire de 2020, lorsque la mauvaise gestion et la prodigalité du secteur public ont fait perdre environ 100 milliards de dollars. À ce jour, aucun responsable libanais n’a été poursuivi pour ce qui équivaut à un vol d’État sanctionné, où les déposants ont été contraints de prêter de l’argent au gouvernement. Ce souvenir reste vif pour les citoyens.

De plus, les réserves d’or de la BDL sont protégées par la loi nᵒ 42/1986, qui exige une législation parlementaire pour toute vente. Que l’État accepte ou non la proposition du FMI, le gouvernement est tenu par l’article 113 du Code de la monnaie et du crédit de combler tout déficit de la BDL. En vertu de cet article, l’État doit 14,9 milliards en plus des 16,5 milliards déjà dus. Or, le FMI fait pression pour que le ministère des Finances n’accepte pas cette dette, tout en exigeant que la BDL vende son or — en contradiction avec la loi libanaise. La BDL a fourni des preuves que cette dette provenait d’emprunts contractés par l’État, mais le FMI refuse de la reconnaître.

Pour éviter de vendre ses réserves, la BDL explore d’autres solutions. Parmi elles : « activer » son or pour générer des revenus sans le céder, par exemple en le numérisant (via tokenisation ou stablecoins adossés à l’or), puis en le louant tout en en conservant la propriété. Ne serait-ce que 1 % de ces réserves (évaluées à plus de 33 milliards) pourrait générer 350 millions de dollars de liquidités pour indemniser les déposants.

Par ailleurs, la BDL a proposé que l’État rembourse sa dette de 16,5 milliards sous forme d’obligations perpétuelles à 2 % d’intérêt et via les recettes de futures privatisations — ce qui allégerait le profil de dette que le FMI place au cœur de ses conditions de prêt. Mais l’institution reste inflexible.

D’autres moyens existent pourtant pour l’État de rembourser sa dette sans mettre en péril le système financier. Par exemple, la privatisation du secteur des télécoms pourrait générer d’importants bénéfices économiques et fiscaux. Les entreprises publiques, critiquées pour leur inefficacité, leurs tarifs élevés et leurs mauvais services, pourraient attirer des capitaux étrangers et locaux, moderniser leurs infrastructures et améliorer la qualité du réseau. Cela réduirait aussi la charge financière de l’État et générerait des recettes immédiates pour réduire la dette ou financer des dépenses sociales. De plus, une ouverture à la concurrence ferait baisser les prix, stimulerait l’entrepreneuriat numérique et soutiendrait la croissance.

Un autre levier serait la modernisation des douanes. Malgré quelques améliorations, l’administration reste gangrenée par la sous-facturation, la corruption et le favoritisme, ce qui prive l’État de revenus importants. L’application fragmentée et politisée des règles, sous l’influence de groupes politiques et communautaires, empêche une collecte uniforme et efficace.

 

La voie à suivre

Plutôt que d’absoudre le gouvernement de sa responsabilité dans la crise financière et de faire porter les pertes aux déposants, le FMI devrait permettre aux institutions libanaises de gérer elles-mêmes la crise de la dette. L’État, la BDL et les banques commerciales devraient avancer vers une solution de compromis, donnant la priorité au remboursement des dépôts légitimes après avoir purgé les créances irrégulières. Ces institutions ont déjà recruté des conseillers expérimentés, avec des réussites reconnues dans ce domaine. Le FMI pourrait alors négocier un accord de principe avec l’État libanais basé sur la discipline budgétaire et la restructuration des finances publiques, à l’image de sa stratégie en Argentine.

Pour l’instant, la BDL semble faire preuve de retenue, négociant prudemment avec le gouvernement et le FMI. Mais la patience des Libanais privés de leurs dépôts s’épuise à mesure que la crise s’aggrave. Si le FMI imposait son plan, il anéantirait l’épargne des déposants et risquerait de déclencher une réaction populiste pouvant dégénérer en manifestations massives. Une telle contestation menacerait la fragile stabilité politique du pays et rendrait impossible toute réforme. Un gouvernement affaibli, notent les observateurs, compromettrait in fine la stabilité et les réformes mêmes que le FMI prétend soutenir.

 

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