Depuis le cessez-le-feu d’octobre entre Israël et le Hamas, un nouveau conflit s’est ouvert dans la bande de Gaza: une guerre interne que le mouvement islamiste mène contre ses rivaux palestiniens. Cette offensive interne s’est accompagnée d’exécutions, de raids et d’affrontements armés dans plusieurs quartiers de Gaza.
Officiellement, il s’agit pour le Hamas de «restaurer l’ordre» après deux années de guerre et de chaos. En réalité, cette campagne de répression traduit sa volonté de reconquérir le contrôle total du territoire avant l’arrivée annoncée d’une force internationale de stabilisation.
L’ennemi intérieur
À Gaza, l’adversaire du Hamas n’est plus seulement Israël: ce sont les clans, les milices et les réseaux qui ont émergé pendant la guerre. Selon le magazine Foreign Affairs, dès les jours qui ont suivi l’accord de trêve, «le Hamas a entamé une campagne de représailles violentes contre les groupes rivaux afin de reconsolider son emprise sur les zones évacuées par Israël».
Une vidéo diffusée le 13 octobre, authentifiée par le média israélien Haaretz, montre des combattants du Hamas exécutant publiquement plusieurs hommes dans le quartier de Sabra, à Gaza-Ville. Officiellement, ces hommes étaient accusés de «collaboration» ou de pillage d’aide humanitaire. Pour de nombreux habitants, la scène était autant un châtiment qu’un avertissement: le Hamas entend montrer qu’il reste le seul maître de la bande.
Derrière cette violence se cache une rivalité de pouvoir. Le clan Doghmosh, influent à Sabra, a souvent défié l’autorité du mouvement islamiste. Sa branche armée, l’Armée de l’islam, liée autrefois à Al-Qaïda, reste un symbole d’indépendance locale.
D’autres familles, comme les Hellis à Choujaiya ou les Al-Majayda à Khan Younès, ont également affronté les forces de sécurité du Hamas. Des témoignages recueillis par Haaretz évoquent des combats de rue, des rafles et des pillages d’aide humanitaire, tandis que des civils, excédés par le désordre, soutiennent parfois tacitement ces exécutions.
La riposte aux milices soutenues par Israël
Au-delà des clans, le Hamas vise surtout les milices armées apparues sous la protection ou avec l’appui d’Israël. Le Long War Journal a révélé que le gouvernement israélien avait lancé au printemps une campagne pour «armer des groupes rivaux» à l’intérieur de Gaza. Parmi eux, les Forces populaires, dirigées par le chef bédouin Yasser Abou Shabab, fortes de 500 à 700 combattants, ont reçu financement et logistique de Tel-Aviv.
D’autres formations plus petites, comme la Force de frappe antiterroriste de Houssam al-Astal à Khan Younès ou les Forces armées du nord d’Ashraf al-Mansi à Beit Hanoun, ont été accusées de coopérer directement avec les services israéliens.
Ces milices, issues d’anciens policiers de l’Autorité palestinienne, de trafiquants ou de déserteurs, prétendent défendre les civils et sécuriser les convois d’aide. En réalité, note le Stimson Center, elles «bénéficient du soutien d’Israël et contribuent à la fragmentation du paysage palestinien». Le Hamas, de son côté, y voit une tentative d’ingérence étrangère destinée à préparer une alternative politique post-islamiste.
Une stratégie de survie
Depuis le 10 octobre, les forces du Hamas ont multiplié les opérations de «nettoyage» à Rafah, Khan Younès et Gaza-Ville. Les unités de sécurité intérieure, connues sous le nom de Sahm, et la nouvelle force Radeh, créée après la trêve, mènent des raids nocturnes, confisquent les armes et exécutent les membres présumés des milices israélo-palestiniennes.
Haaretz indique que même les soldats israéliens observant la scène depuis leurs postes ont reçu l’ordre de ne pas intervenir pour respecter les termes ambigus du cessez-le-feu.
Pour le Hamas, cette campagne a aussi une portée symbolique: prouver qu’il reste capable d’imposer la loi et l’ordre dans les zones qu’Israël a quittées. D’après le European Council on Foreign Relations (ECFR), le mouvement veut «désarmer les clans et éliminer les milices soutenues par Israël» avant l’arrivée d’une force de stabilisation arabe ou internationale prévue par le plan de Donald Trump. Cette stratégie s’inscrit aussi dans une lecture politique de ce plan. Selon l’ECFR, les dirigeants pragmatiques du Hamas, comme Khalil al-Hayya ou Bassem Naim, ont accepté le cessez-le-feu et la formation d’un comité administratif palestinien, mais refusent toute mise à l’écart militaire immédiate. Le mouvement veut apparaître comme un acteur incontournable de la sécurité, même au prix d’une violente épuration interne.
Le fond du problème est existentiel. Comme l’explique Foreign Affairs, «les armes du Hamas sont sa voie pour conserver le pouvoir». Les rendre signifierait se renier.
Le groupe redoute de subir le sort du Hezbollah au Liban: une force armée mais contrainte par un gouvernement impuissant et une économie ruinée. C’est pourquoi il choisit d’affirmer sa puissance maintenant, avant que les négociations autour de la force internationale ne se concrétisent.
Une stabilité encore lointaine
En réalité, cette campagne de répression révèle l’extrême fragilité de la situation à Gaza. La prolifération de milices, le soutien extérieur à certaines d’entre elles et la brutalité du Hamas risquent de transformer la trêve en simple parenthèse.
Comme le note le Stimson Center, «ces luttes intestines compromettent la perspective d’une force internationale viable et retardent la reconstruction».
Alors que Washington et ses partenaires arabes cherchent à déployer une force de stabilisation, le Hamas, lui, tente de prouver qu’il peut gouverner sans tuteur. Mais chaque exécution, chaque raid alimente un cycle de vengeance et d’instabilité. La «campagne pour l’ordre» que le mouvement islamiste mène contre ses concurrents pourrait bien, paradoxalement, précipiter le retour du chaos qu’il prétend conjurer.



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