Le Hamas, le Hezbollah et la guerre inévitable?
©Ici Beyrouth

Les stipulations de trêve dans le cas du Liban et de Gaza sont explicites quant au désarmement des deux formations militaires et à leur retrait de la scène politique au profit de l’État libanais et de la gouvernance internationale, prévus dans les accords respectifs. Or il n’en est rien dans la mesure où les deux jouent sur l’interprétation des accords et sur les incertitudes politiques et militaires, dans des sociétés fortement disloquées et sujettes à l’influence des politiques de puissance qui structurent la trame des politiques intérieures et le jeu des acteurs à des niveaux divers.

Les extraversions politiques expliquent dans une large mesure l’instrumentalisation des deux conflits et l’incapacité à se doter d’un jeu politique régi par une dialectique institutionnelle aux encadrements forts. Cela dit, il n’est pas du tout question d’établir une équivalence entre les deux sociétés ou de parler d’homothétie entre elles, alors qu’elles n’ont rien en commun. L’historicité politique du Liban n’a rien à voir avec celle du district de Gaza qui s’est construit au gré des conflits qui ont scandé la question israélo-palestinienne. Le seul trait en commun est celui d’être les théâtres respectifs du nouvel épisode de ce conflit et l’expression de ses instrumentalisations.

Le Liban se retrouve une nouvelle fois face à ses fractures politiques internes, à ses différends anthropologiques, aux divergences de culture politique, à la destruction délibérée de ses consensus normatifs par la politique de domination chiite qui fait suite à celle tentée par la coalition palestino-gauchiste qui fut à l’origine de la guerre aux hybridations multiples de 1975. L’intervention de l’Iran, loin d’être un effet du hasard, s’inscrit dans un continuum historique où les crises de légitimité nationale ne faisaient que se raviver dans la succession des guerres froides et des guerres civiles régionales.

La dynamique guerrière qui a succédé aux événements du 7 octobre 2023, et son schéma structurant, qui correspondent à la stratégie des «théâtres opérationnels intégrés» élaborée par Qassem Suleimani ont été enrayés par la contre-offensive israélienne de manière irréversible alors qu’elle visait la sécurité stratégique de l’État israélien. Le régime islamique iranien tente de ressusciter ses mandataires régionaux dans une tentative ultime de revanche. La destruction du Hezbollah a offert pour la première fois au Liban l’opportunité de reconstruire son tissu étatique et de se repositionner dans le jeu international sur cette base.

Or, les retranchements du Hezbollah au sein de l’État profond qu’il a réussi à coloniser pendant plus de deux décennies lui servent de levier pour relancer sa stratégie de subversion et tisser des liens conjonctifs entre le contre-État et la contre-société qu’il a créée. Le projet national libanais, n’étant pas en mesure de s’accommoder des antinomies politiques, est également incapable d’avaliser le narratif d’une dystopie islamique meurtrière qui le remet en question de part en part. 

Il n’est pas du tout question de trouver un arrangement entre des antinomies politiques et de culture que tout oppose, et il est invraisemblable qu’Israël puisse cautionner les extraterritorialités politiques et militaires instrumentalisées par la politique impériale iranienne. L’inaptitude de l’État libanais à faire valoir sa souveraineté au détriment d’une politique de subversion pilotée par le Hezbollah bute sur des contraintes multiples de temps et de raison d’État non négociables. À défaut d’une solution à terme, le pays encourt le risque d’une décomposition qui finira par l’emporter.

Gaza n’a rien d’un État, il s’agit plutôt d’une des figurations de la militance palestinienne qui a été à l’origine des débâcles répétées qui ont marqué l’itinéraire d’une revendication nationale qui n’a jamais abouti. Alors que le maximalisme a toujours caractérisé le militantisme palestinien, l’islamisation de la revendication nationaliste a succédé à son annexion par les variants de la gauche et ses instrumentalisations. Gaza n’est qu’une entité idéologique dont se sont servis des militants islamistes en vue de promouvoir une politique de puissance au croisement de la nébuleuse islamique et des entreprises de subversion régionale.

Le peuple de Gaza n’est qu’une hypostase idéologique dont se servent de manière discrétionnaire des caïds sous des prétextes nationalistes qui servent de couverture à des entreprises de subversion islamiste et de criminalité organisée. Le lien qu’ils essayent de créer entre leur type de militance et le projet islamiste relève de la fiction alors qu’en réalité toute la trame est de nature criminelle et subversive. La politique des boucliers humains, de la victimisation intentionnelle et de la transformation du territoire en champ opérationnel, où la distinction entre les zones militaires et civiles est dévalorisée au bénéfice d’une stratégie nihiliste qui fait fi de toute considération normative, n’est pas l'effet du hasard. Il s'agit d'une constellation idéologique et stratégique où tout se tient. 

Leur démarche actuelle tente de déjouer les engagements pris lors des négociations qui ont mené à l’arrêt de guerre, à un moment où l’autorité nationale palestinienne devra se réinventer afin de créer les relais politiques pour une politique de transition. Les équivoques se multiplient à ce niveau et peuvent mener à des déraillements majeurs diligentés par l’Iran. La gauche internationale dans sa mouture woke étant à la recherche d’un étendard s’est emparée de la guerre de Gaza pour catalyser des politiques de radicalisation au sein des démocraties occidentales. Il n’y a de solution à ces dilemmes que lorsque la déprise idéologique se fera en faveur d’une négociation basée sur la reconnaissance du droit de l’État d’Israël à l’existence et d’une configuration nationale palestinienne dûment en accord avec l’État d’Israël.

Tout retour à la logique des conflits ouverts et aux relents résolument nihilistes est désormais invraisemblable et serait loin d’être approuvé par la dynamique de reclassement géostratégique imposée par l’État d’Israël à la suite de l’enrayement de la politique de subversion iranienne. Nous avons affaire à des mutations stratégiques et à un changement de paradigme où les dynamiques géopolitiques sont en pleine réinvention, et où la logique des alliances opère en dehors des schémas conventionnels d’un monolithisme politico-religieux islamique qu’on croyait incontournable dans l’aire géopolitique moyen-orientale.

 

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