
Depuis 2019, le calcul des indemnités de fin de service (IFS), seule protection des salariés et des fonctionnaires en l’absence d’une pension de retraite, s’enlise dans des débats sans fin, laissant des milliers de travailleurs dans l’incertitude. Cette situation est la conséquence d’une dépréciation de 98% de la livre face au dollar, laquelle a quasiment réduit à néant la valeur des indemnités de fin de service.
Il ne fait aucun doute que les salariés demeurent le maillon le plus faible dans la bataille pour garantir une fin de vie digne. Leurs indemnités de fin de service (IFS), censées préserver une partie de leur pouvoir d’achat, se sont littéralement volatilisées avec la crise multidimensionnelle qui a frappé le pays fin 2019.
Le patronat plaide l’impuissance: il affirme ne pas pouvoir assumer, seul, le coût de la régularisation de la situation des salariés inscrits à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS), faute d’avoir prévu des provisions à cet effet dans ses budgets annuels. «Le patronat s’est acquitté de ses obligations envers la CNSS au fil des années. Il n’a ni les moyens de payer une seconde fois ces sommes, ni de porter, à lui seul, les conséquences d’une crise économico-financière à laquelle il n’a en rien contribué», confie à Ici Beyrouth une source patronale ayant requis l’anonymat. Et de poursuivre: «L’État doit assumer sa part de responsabilité en apportant un soutien concret à la résolution du problème lié au calcul des indemnités de fin de service.»
Une régularisation au poids lourd pour le patronat
Selon le Code du travail, les indemnités de fin de service (IFS) peuvent être versées après vingt ans de service effectif, sans attendre l’âge de la retraite. Elles se calculent sur la base du dernier salaire multiplié par le nombre d’années de travail effectif.
Dans ce cadre, l’employeur doit verser la différence entre le dernier salaire contractuel et les salaires antérieurs, mais il ne s’agit pas de «combler» tous les écarts sur vingt ans: la somme versée reste forfaitaire et basée sur le salaire de sortie.
Cependant, cette régularisation représente une charge particulièrement lourde pour le patronat, surtout en raison de la dépréciation monétaire: avant 2019, les salaires étaient calculés à 1.507,5 livres pour un dollar, contre 89.500 livres pour un dollar aujourd’hui.
Entente et désaccord au cœur des négociations
Les discussions sur le calcul des indemnités de fin de service oscillent entre entente et mésentente. Les négociations impliquent tous les acteurs concernés: le patronat, l’État, la CNSS et les salariés.
Lors d’une conférence de presse conjointe organisée par les organismes économiques et la Confédération générale des travailleurs au Liban (CGTL) – qui regroupe plus d’un millier d’associations de travailleurs – les différentes parties ont exprimé leur soutien à la proposition de loi du député Fayçal Karamé visant à réviser le calcul des indemnités de service. Mais l’État, représenté par le ministre des Finances, Yassine Jaber, s’est retiré, demandant un délai pour réfléchir aux modalités de financement.
La proposition Karamé prévoit en effet de partager le coût de régularisation de la situation des salariés inscrits à la CNSS: une moitié des indemnités à verser serait à la charge du patronat, l’autre moitié financée par l’État.
Il faut rappeler que les fonds de la CNSS ont été investis dans des bons du Trésor et que cet argent est considéré par l’État comme une créance prioritaire, ce qui complique davantage le financement de cette régularisation.
La proposition de Fayçal Karamé
La proposition de résolution portée par le député Fayçal Karamé, et largement relayée dans les cercles patronaux, prévoit de répartir les bénéficiaires des indemnités de fin de service (IFS) en trois catégories distinctes.
Première catégorie: les salariés ayant retiré leurs IFS entre le 17 octobre 2019 et le 1er avril 2024. Leurs indemnités seraient multipliées par trente, ce qui leur permettrait de récupérer environ 50% du montant qu’ils auraient perçu sans la dévaluation de la livre.
Deuxième catégorie: les salariés qui n’ont pas retiré leurs IFS et sont restés en poste jusqu’à fin 2023. Dans ce cas, les indemnités seraient calculées sur la base du dernier salaire d’octobre 2019, au taux officiel de 1.507,5 LL pour un dollar, de manière à garantir également la moitié du montant qu’ils auraient dû toucher en l’absence de crise.
Troisième catégorie: les salariés toujours en fonction, qui attendent l’échéance légale de la retraite – qui pourrait s’étaler sur les cinq à dix années à venir. Pour eux, le salaire de référence retenu pour le calcul serait celui de décembre 2023, mais réduit de 50%. Les années restantes seraient, elles, calculées selon les règles habituelles fixées par le Code du travail, c’est-à-dire sur la base du dernier salaire réellement perçu. Pour rappel, dans tous les cas de figure, la régularisation serait prise en charge pour moitié par le patronat et pour l’autre moitié par l’État.
La misère des fonctionnaires
Les fonctionnaires vivent aujourd’hui dans une incertitude totale. L’avant-projet du budget 2026 ne prévoit aucun crédit destiné à réajuster l’échelle des salaires. Pourtant, les rémunérations et allocations sociales de la fonction publique absorbent encore près de 47% du compte courant.
Le problème est que les indemnités de fin de service restent calculées sur la base de l’échelle salariale du secteur public adoptée en 2017 par le Parlement. Résultat: pour un fonctionnaire partant à la retraite depuis 2019, l’indemnité perçue ne représente plus que 4% du montant qu’il aurait dû toucher si la crise n’avait pas éclaté. De plus, les aides sociales supplémentaires accordées récemment ne sont que provisoires et ne sont pas intégrées au salaire de base.
Un contraste d’autant plus saisissant que l’État a dégagé les fonds pour accorder des salaires élevés à ses nouvelles recrues dirigeantes. Ainsi, le PDG de Télé Liban touche 3.000 dollars, tandis que les membres de son conseil d’administration à temps partiel perçoivent 500 dollars. Quant aux présidents et membres des autorités de régulation, leurs rémunérations varient entre 6.000 et 8.000 dollars.
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