Ce qui se joue aujourd’hui à Baabda ne relève pas d’un plan de redressement, mais d’une ruine économique du pays qui occulte tout examen sérieux des causes de la faillite. Entre la grève des banques et la colère des déposants, et face à un pouvoir exécutif qui traite les symptômes en éludant les défaillances structurelles, le Liban s’achemine vers une nouvelle phase de l’effondrement, où aucune solution crédible ne se profile à l’horizon, sinon le partage des pertes au détriment de ceux qui n’ont commis aucun tort.
Les regards se tournent vers le palais de Baabda, où le gouvernement tient une séance qui pourrait marquer un tournant dangereux dans la crise libanaise. La réunion ministérielle, consacrée à l’examen du projet de la Gap law, ne se déroulera pas dans le calme: le pays est au bord d’un volcan social et bancaire. Tandis que les associations de déposants se mobilisent pour protester contre la radiation de leurs avoirs en encerclant le palais présidentiel, les banques, refusant d’endosser seules la responsabilité de la crise, menacent une grève générale qui pourrait paralyser le système financier.
Ce projet, dont le contenu a fuité dans les médias, illustre l’incapacité flagrante du gouvernement à proposer des solutions. Selon les observateurs, les autorités ne cherchent pas à résoudre la crise, mais à comptabiliser les pertes «sur le papier» au détriment des plus vulnérables.
Dans un entretien accordé à Ici Beyrouth, le professeur Jassem Ajjaka a décortiqué les pièges contenus dans la Gap law, estimant que l’approche du gouvernement révèle une négligence flagrante, qu’elle soit délibérée ou due à un manque de connaissance des causes réelles de l’effondrement.
Selon M. Ajaka, ce projet de loi, qui attribue au gouvernement l’entière responsabilité de l’effondrement, peut sembler à première vue être une victoire. Mais la question essentielle demeure: «Cette conclusion reflète-t-elle réellement ce qui s’est passé ou n’est-ce qu’un moyen de satisfaire l’opinion publique?»
Chiffres à l’appui, il explique que la crise résulte d’un «double déficit» (budgétaire et courant) et de la dissipation des dépôts des épargnants dans une «illusion financière». Avant la crise, les dépôts bancaires avaient atteint un sommet de plus de 170 milliards de dollars, donnant l’impression que l’économie accumulait de l’épargne nette. «La réalité était tout autre: une grande partie de ces dépôts provenait de transferts venant de l’étranger, et non de la production locale, tandis que la consommation restait très élevée, des voitures aux biens immobiliers, ce qui rendait l’épargne privée réelle faible, voire négative», précise-t-il.
M. Ajjaka ajoute que lorsque les transferts ont ralenti et que la confiance s’est effondrée en 2019, tout le système s’est écroulé, «car l’économie ne reposait pas sur de véritables économies, mais sur une illusion financière fragile». Le danger est que la baisse de l’épargne privée oblige le secteur privé à dépenser plus qu’il ne gagne et à emprunter, creusant le déficit extérieur.
Pour M. Ajjaka, «le volume des dépôts n’est qu’un indicateur superficiel», soulignant que ces dépôts massifs, surtout en dollars, ont servi à financer le déficit budgétaire et la facture des importations non couvertes par les exportations, grâce au maintien artificiel du taux de change.
Il conclut par un diagnostic sévère de la réalité structurelle: «Le Liban a vécu au-dessus de ses moyens pendant des décennies, avec une consommation massive pour l’essentiel importée et un déficit budgétaire alimenté par une corruption généralisée. Les dépôts n’ont fait que retarder la catastrophe. Ce qu’il faut aujourd’hui, ce n’est pas gonfler à nouveau les chiffres, mais construire une réelle capacité d’épargne.»
Au vu de ces éléments, ce qui se déroule aujourd’hui à Baabda ne constitue pas un plan de redressement, mais une ruine économique du pays qui occulte tout examen sérieux des causes de la faillite. Entre la grève des banques et la colère des déposants, et face à une gestion gouvernementale qui s’attaque aux conséquences tout en négligeant les causes structurelles soulignées par M. Ajjaka, le Liban s’achemine vers un nouveau chapitre de l’effondrement, où aucune solution crédible ne se profile, si ce n’est la répartition des pertes au détriment de ceux qui n’ont commis aucun tort.



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