
Une délégation syrienne est attendue à Beyrouth vers la fin du mois d’août pour discuter des dossiers en suspens entre les deux pays.
Depuis la chute de Bachar el-Assad, en décembre 2024, et l’arrivée d’Ahmad el-Chareh à la présidence syrienne, une nouvelle dynamique s’est ouverte. Pour le Liban, c’est à la fois une opportunité d’établir une relation plus équilibrée avec Damas et une menace tant les contentieux accumulés restent lourds.
Une diplomatie prudente
Depuis janvier, le Liban a multiplié les gestes. L’ancien Premier ministre Najib Mikati s’est rendu à Damas pour briser la glace, suivi, en avril, par l’actuel chef du gouvernement, Nawaf Salam, qui a annoncé la création de commissions mixtes relatives à la sécurité et aux frontières.
Le mufti de la République, cheikh Abdellatif Deriane, a également fait le déplacement en juillet, conférant une dimension nationale et religieuse à ce rapprochement. Pourtant, Damas n’a toujours pas envoyé de représentant officiel à Beyrouth.
Dans un entretien tenu dimanche à Damas avec une délégation arabe, Ahmad el-Chareh a affirmé vouloir «une relation d’État à État avec le Liban, fondée sur des solutions économiques, la stabilité et l’intérêt commun, loin des ingérences».
Reconnaissant que «le Liban a souffert des politiques des Assad», il a plaidé pour «écrire une nouvelle histoire» et tourner la page de l’héritage du passé. Selon lui, «l’investissement syrien dans la polarisation confessionnelle au Liban a été une grande erreur et ne doit pas se reproduire».
Les prisonniers syriens: la carte maîtresse de Damas
Le dossier le plus explosif reste celui des prisonniers syriens détenus au Liban. Ils seraient plus de 2.000, dont d’anciens membres de l’Armée syrienne libre arrêtés après les affrontements d’Ersal en 2014, mais aussi des détenus de droit commun et des opposants politiques.
À Roumieh, le tristement célèbre «Bloc B» abrite environ 500 détenus islamistes, dont 150 Syriens incarcérés sans procès depuis cinq à douze ans. La prison est surpeuplée à 250% de sa capacité, et a connu plusieurs épisodes de tension cette année: grèves de la faim, émeutes, ainsi que sit-ins des proches des détenus au poste-frontière de Jousieh.
Damas exige désormais leur rapatriement complet. Une délégation syrienne comprenant des représentants de la justice, de l’armée et des services de renseignement est attendue à Beyrouth pour négocier un accord.
Les réfugiés: une pression intenable
Avec près de 2 millions de Syriens – migrants économiques, déplacés, réfugiés – dont 750.000 enregistrés officiellement, le Liban continue de porter le plus lourd fardeau au monde en proportion de sa population.
Pour Beyrouth, il s’agit d’une urgence politique et sociale, d’autant que la crise économique persiste. Ahmad el-Chareh parle de «retours graduels avec garanties», refusant une réintégration massive susceptible de fragiliser son autorité encore récente.
Le flux de Syriens entrant au Liban ne s’est pas tari. Il a même légèrement augmenté après les violences sur la côte syrienne et à Soueida: rien qu’au mois de mars, 21.000 Syriens alaouites ont trouvé refuge dans le nord du Liban, alimentant le risque de tensions confessionnelles dans des zones sunnites comme Tripoli et Akkar.
Les dépôts bancaires: entre reconstruction et faillite
Autre dossier sensible: les dépôts bancaires syriens bloqués au Liban. Damas parle de «dizaines de milliards» de dollars, tandis que des estimations libanaises ramènent ce chiffre entre 3 et 10 milliards.
Pour la Syrie, ces fonds représentent une manne pour la reconstruction. Pour le Liban, ils ne peuvent être débloqués en dehors du cadre général de la crise multidimensionnelle qui touche le pays depuis 2019. Résultat: blocage complet, symbole de la méfiance réciproque.
Frontières: de la contrebande aux accrochages
La frontière syro-libanaise, longue de 330 km, reste poreuse. Le Washington Institute évoque 130 points de passage illégaux, dont 53 dans la Békaa, servant au trafic d’armes et surtout de Captagon.
En février et mars, plusieurs accrochages armés ont opposé l’armée libanaise, les forces syriennes et des tribus locales dans le nord de la plaine de la Békaa.
Le 28 mars dernier, les ministres de la Défense des deux pays ont signé en Arabie saoudite un accord de principe sur la démarcation, sous le parrainage de Riyad. Mais la mise en œuvre reste suspendue. Le cas des fermes de Chebaa, toujours occupées par Israël et jamais clairement définies, demeure un obstacle central: tant que ce flou perdure, le Hezbollah conserve un prétexte pour justifier ses armes.
Le Hezbollah: d’allié stratégique à fardeau
L’un des changements majeurs post-Assad est le statut du Hezbollah. Jadis allié incontournable de Damas, le mouvement armé est désormais perçu par le pouvoir d’Ahmad el-Chareh comme un héritage encombrant de l’ère Assad.
«Nous avons renoncé aux blessures que le Hezbollah a causées à la Syrie», a reconnu Ahmad el-Chareh, tout en assurant ne pas vouloir que son pays soit instrumentalisé par ceux qui veulent régler leurs comptes avec le parti chiite. «Nous ne sommes ni une menace existentielle, ni une carte à jouer contre le Hezbollah», a-t-il insisté.
À Beyrouth comme à Damas, les mots de réconciliation résonnent. Reste à voir si, cette fois, les actes suivront.
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