L’architecture sécuritaire au Liban: qui fait quoi?

Le Liban possède l’un des appareils sécuritaires les plus complexes de la région, résultat d’une histoire marquée par la guerre civile, les ingérences régionales, la coexistence de multiples communautés et l’évolution d’un État souvent contraint de s’adapter plutôt que de se réformer. Si cette architecture semble parfois incomprise pour le public, ses responsabilités sont pourtant clairement définies: chaque corps possède un mandat légal précis, même si la pratique, elle, orchestre une partition souvent plus nuancée.

Le système repose donc sur quatre piliers principaux: les Forces de sécurité intérieure (FSI), la Sûreté générale (SG), la Sécurité de l’État et l’armée libanaise (FAL). À ces institutions s’ajoutent des directions plus spécialisées (douanes, sécurité portuaire, police municipale) qui complètent un paysage institutionnel dont la fragmentation reflète les défis du pays.

Les Forces de sécurité intérieure: la police nationale

Les FSI, dont le nombre de membres s’élève à quelque 25.000, constituent le corps policier au sens classique du terme. Placées sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, elles sont chargées de la criminalité ordinaire, des enquêtes judiciaires, du maintien de l’ordre, de la sécurité routière, de la lutte contre la drogue, de la surveillance diplomatique, de la protection des biens publics, du contrôle des frontières terrestres et des interventions antidrogue.

Elles comprennent plusieurs branches qui jouent des rôles complémentaires. L’Inspection générale veille au respect des lois et des règlements au sein des forces, reçoit les plaintes sur d’éventuelles fautes ou abus et enquête sur les actions illégales des agents déployés.

L’Institut des FSI regroupe les centres de formations, écoles et collèges de la Force, assurant la formation continue des agents, depuis les recrues jusqu’aux officiers, afin de maintenir un niveau professionnel élevé.

L’État-Major des FSI joue, quant à lui, un rôle stratégique: il prépare les études, conseille la direction générale et planifie les politiques opérationnelles.

Les gendarmes mobiles forment, de leur côté, la réserve opérationnelle: hautement entraînées, ces unités sont prêtes à être déployées pour des opérations importantes de maintien de l’ordre dans tout le pays. Pour sa part, la gendarmerie territoriale couvre les zones en dehors de Beyrouth, assurant une présence policière dans toutes les régions du Liban.

La police de Beyrouth, elle, est spécialement chargée des missions de sécurité dans la ville: elle coordonne avec les autres unités des FSI pour maintenir l’ordre public dans la capitale, gérer la sécurité routière et intervenir en cas de manifestations ou d’incidents majeurs.

Une autre composante clé est la police judiciaire, qui couvre tout le territoire libanais. Elle comprend des unités spécialisées: la police scientifique, la police touristique, des unités de lutte contre la criminalité et des équipes d’enquête et de recherche. Ces divisions sont essentielles pour les enquêtes judiciaires complexes, qu’il s’agisse de crimes graves, de corruption ou d’affaires financières.

Enfin, les unités de sécurité des ambassades et des administrations publiques relèvent aussi des FSI: elles sont chargées de la protection des bâtiments diplomatiques, des institutions publiques, ainsi que des missions sensibles sur l’ensemble du territoire libanais.

La Sûreté générale: l’État en mode surveillance

Dirigée par un directeur général nommé en Conseil des ministres, la SG compte entre 3.000 et 4.000 membres. Elle relève également du ministère de l’Intérieur mais exerce son mandat dans une logique d’État plus large.

Selon son mandat officiel, elle assure le contrôle des frontières terrestres, maritimes et aériennes, à travers des unités déployées dans les ports, les aéroports et les postes frontaliers. Elle gère l’ensemble des procédures de migration et de séjour, délivrant les permis d’entrée, de résidence et de sortie, tout en supervisant les dossiers liés à l’émigration et au travail des étrangers. Cette gestion lui confère une place centrale dans les dossiers sensibles liés aux réfugiés, aux travailleurs immigrés ou aux flux migratoires.

Son rôle ne se limite toutefois pas aux mouvements transfrontaliers. La Sûreté générale est également chargée de la sécurité préventive à large spectre: elle surveille les activités politiques, sécuritaires et médiatiques susceptibles d’affecter la stabilité du pays. L’institution contrôle, dans ce contexte, les médias audiovisuels, délivre les autorisations de tournage, supervise les activités de la presse écrite et vérifie les contenus importés (films, publications), un héritage de son rôle historique de «filtre» culturel et politique. Elle gère également l’enregistrement des partis politiques et joue un rôle essentiel dans la délivrance des documents officiels, du passeport libanais à la carte de séjour.

De toutes les institutions du paysage sécuritaire libanais, c’est celle qui se rapproche le plus d’un service de renseignement classique. Ses agents opèrent dans un espace où se mêlent prévention, information, enquêtes administratives et surveillance des risques, formant une première ligne de détection des menaces politiques ou sécuritaires. Cette dimension explique pourquoi la Sûreté générale apparaît souvent comme une interface sensible entre l’État, les partis et les acteurs régionaux.

Son mandat est moins opérationnel que celui des FSI ou de l’armée, mais elle joue un rôle de relai essentiel entre institutions, notamment en période de tension politique.

Sécurité de l’État: le renseignement intérieur discret

À côté de cette structure lourde et institutionnelle, la Sécurité de l’État occupe un rôle plus discret mais non moins stratégique. Créée pour combler un vide laissé après la guerre civile, elle constitue un appareil de renseignement intérieur chargé de détecter les tentatives d’atteinte à la sécurité nationale, de surveiller les affaires de corruption touchant les organismes publics, et de documenter toute activité susceptible de menacer l’ordre constitutionnel.

Sa mission est plus analytique qu’opérationnelle: elle collecte, coordonne et transmet l’information aux autorités civiles et militaires. En période de tension politique, elle devient un relai indispensable entre institutions, capable de fluidifier la circulation du renseignement et d’éviter les blocages entre services parfois concurrents.

L’armée, colonne vertébrale de la souveraineté

Si la mission première de l’armée libanaise est la défense du territoire contre les menaces extérieures, sa présence dans la sécurité intérieure s’est progressivement renforcée. Ce phénomène s’explique par la faiblesse chronique de l’État, l’influence des groupes armés non étatiques et les crises sécuritaires successives.

L’armée libanaise compte actuellement 83.000 soldats. Elle intervient dans la sécurité intérieure dans trois cas précis.

Primo, lorsque les forces civiles sont dépassées: émeutes de grande ampleur, flambées de violence confessionnelle, affrontements armés locaux (comme à Tripoli en 2014, Bab el-Tebbaneh-Jabal Mohsen), ou vagues d’insécurité nécessitant une intervention robuste.

Secundo, à la demande formelle du gouvernement. Le Conseil des ministres peut charger l’armée de missions temporaires de stabilisation: sécurisation d’élections, bouclage de zones sensibles, lutte contre la contrebande, opérations ponctuelles contre des groupes armés.

Tertio, lorsqu’une menace sécuritaire touche directement la souveraineté nationale. C’est le cas par exemple au Liban-Sud, où l’armée déploie des brigades complètes dans le cadre de la résolution 1701. De même, l’armée mène des opérations antiterroristes majeures dans le Nord et la Békaa lorsque les menaces franchissent le seuil des capacités civiles. Ces interventions ne se font pas en autonomie complète: elles sont juridiquement encadrées, et sur le terrain, l’armée coopère généralement avec les FSI, même si la coordination n’est pas toujours optimale.

Le Liban est l’un des rares pays où l’armée agit aussi fréquemment dans des missions de police. Cette réalité est surtout liée au rôle des acteurs armés non étatiques notamment le Hezbollah, à la porosité des frontières et à l’effondrement institutionnel qui s’est accéléré après la crise économique et politique de 2019. L’armée se retrouve alors seule garante d’un minimum de cohésion nationale, assumant des tâches allant du contrôle des routes à la sécurisation des infrastructures stratégiques.

Elle agit aussi comme médiatrice dans des conflits intertribaux, limite la prolifération des armes illégales et prend en charge des opérations que les autres corps peinent parfois à assumer.

Dans ce paysage instable, chaque institution remplit un rôle irremplaçable. Si leurs mandats se chevauchent parfois, leurs missions s’articulent autour d’une conviction partagée: la sécurité du Liban repose sur un État qui, malgré les crises, s’efforce de rester debout.

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