Tabtabaï éliminé: avertissement calibré ou prélude pour une guerre d’ampleur?
©Ici Beyrouth

Haytham Ali Tabtabaï, figure centrale de l'aile dure du Hezbollah, n’est plus. Le Hezb cherche ses mots. Sa communauté encaisse le choc. Israël, lui, se prépare à la suite. Et le Liban ? Toujours au même point: coincé entre une formation armée qui dicte le tempo militaire et un État incapable de reprendre la main.

Revenons aux faits. Dimanche après-midi, une frappe aérienne israélienne sur la banlieue sud de Beyrouth a permis l’élimination directe de Haytham Ali Tabtabaï, commandant de la force al-Radwane. Cette opération a suffi à redessiner les lignes du conflit et à imposer un recalibrage stratégique, marquant une escalade majeure, à la fois symbolique et tactique. Pourquoi? Parce qu’il s’agit du plus haut gradé tué depuis l’accord de cessez-le-feu conclu en novembre 2024.

Dès lors, une multitude de questionnements taraude l’esprit des Libanais. Que révèle réellement cette frappe? Quelles «options» reste-t-il au Hezbollah? Et, surtout, quelles perspectives pour le Liban?

Pourquoi Tabtabaï, et pourquoi maintenant?

Le choix de cette cible n’a rien d’un hasard. Pour Israël, Tabtabaï était l’artisan central de la reconstruction militaire du Hezbollah depuis la trêve: superviseur du réarmement, coordonnateur des unités d’élite et chef de facto de l’état-major après l’élimination de plusieurs cadres historiques. Un rôle qui faisait de lui, selon Hussain Abdul Hussain, analyste et chercheur à la Foundation for Defense of Democracies à Washington, «un maillon indispensable du dispositif post-guerre».

«Israël a frappé au cœur du système, au moment où Tabtabaï réorganisait ce qui restait du réseau militaire du Hezbollah. Cela montre le degré de pénétration du renseignement israélien», explique-t-il à Ici Beyrouth. Et d’insister: «Les Israéliens savent tout: les déplacements des cadres, les circuits d’armement, les unités impliquées. Tabtabaï croyait pouvoir reconstruire une architecture militaire cohérente. Israël l’a stoppé net».

Quant au timing, Hussain Abdul Hussain est catégorique: certaines opportunités ne peuvent être manquées. «Pour eux, c’était maintenant ou jamais», dit-il, évoquant un contexte de flux d’armes sensibles et de risques considérés comme trop élevés pour rester sans réponse.

La localisation de la frappe – en plein cœur de la banlieue sud, fief du Hezbollah et zone épargnée depuis novembre 2024 – renforce davantage la signification du geste. L’opération dépasse ainsi la simple dimension militaire. C’est un message politique adressé à la fois au Hezbollah et à l’État libanais.

Un double message

En éliminant une figure centrale au cœur même de Beyrouth, Tel-Aviv cherche à imposer un coût direct non seulement au Hezbollah, mais à un État perçu comme absent, impuissant ou résigné. L’annulation récente par Washington de la visite du commandant en chef de l’armée libanaise, Rodolphe Haykal, les critiques répétées sur «l’impuissance institutionnelle» de Beyrouth, ainsi que la multiplication des frappes de profondeur, s’inscrivent toutes dans cette logique de pression croissante.

Selon le journaliste et politologue Ali Hamadé, «une conviction arabe, internationale et israélienne s’est installée: l’État libanais ne fera rien pour désarmer la formation». Cette perception, désormais bien ancrée à Washington, alimente une stratégie israélienne articulée autour d’une conclusion implacable: si le Liban ne parvient pas à contrôler le Hezbollah d’ici la fin de l’année, alors Israël s’en chargera.

Les capitales arabes et occidentales partagent cette lecture, confirme M. Abdul Hussain. «La frappe contre Tabtabaï est autant un message militaire qu’un rappel diplomatique. L’État libanais n’a ni la capacité ni la volonté d’appliquer la résolution 1701 du Conseil de sécurité ou les arrangements prévus par le cessez-le-feu de 2024. Israël le sait et agit en conséquence», souligne-t-il.

La mort de Tabtabaï devient, par conséquent, un acte de diplomatie coercitive, destiné à rappeler à Beyrouth et à la communauté internationale qu’autoriser le réarmement du Hezbollah n’est plus une option tolérable. Les opérations actuelles (drones, renseignement, assassinats ciblés) sont désormais perçues comme des «actions de maintenance», visant à empêcher la milice de se reconstituer en attendant une éventuelle phase plus large de confrontation. Et, selon plusieurs experts, elles vont se poursuivre.

Scénarios de riposte

Face à l’élimination d’un de ses cadres, le Hezbollah se retrouve à un carrefour dangereux, où chaque option comporte un risque. Pour M. Abdul Hussain, tout dépendra d’un facteur clé: «Si le Hezbollah risposte, la séquence peut basculer. S’il choisit de ne pas riposter, Israël continuera ses frappes ciblées sans chercher une guerre totale».

Premier scénario, la riposte. Si le Hezbollah opte pour des représailles (attaques ciblées, tirs limités ou activation de cellules frontalières), il ouvrirait presque automatiquement la voie à une escalade difficilement maîtrisable. M. Abdul Hussain rappelle, à cet égard, qu’en 2024, la guerre ne s’était «interrompue» qu’après l’assassinat de l’ancien secrétaire général de la formation, Hassan Nasrallah. «Ce n’est qu’à ce moment-là que (le président du Parlement et chef du mouvement Amal, allié du Hezbollah, NDLR) Nabih Berry a accepté de dissocier le front libanais de Gaza et de solliciter une médiation américaine pour stopper les combats».

À l’époque, un compromis avait émergé: le Liban devait amorcer une réduction du dispositif armé du Hezbollah avant qu’Israël ne suspende ses opérations de «surveillance» contre les unités de la milice. Cette logique s’est aujourd’hui inversée. «Le discours officiel libanais affirme désormais qu’Israël doit cesser ses opérations avant toute réorganisation du Hezbollah», note M. Abdul Hussain. La réponse israélienne est, dès lors, sans ambiguïté: un cessez-le-feu n’offre aucune immunité.

Deuxième scénario, l’abstention. Selon Hussain Abdul Hussain et Ali Hamadé, c’est le scénario le plus probable et le seul rationnel pour le Hezbollah. S’abstenir de répondre, temporiser et absorber le choc permettrait à la milice d’éviter une confrontation qui, à ce stade, signerait son anéantissement total. La stratégie consisterait alors à déplacer le terrain: investir le champ politique, diplomatique et populaire pour dénoncer la frappe, tout en préservant ce qu’il reste de ses capacités militaires dans l’ombre.

Dans cette configuration, le Hezbollah pourrait aussi compter sur ses relais internes. Le recours au Hamas dans les camps palestiniens (incidents sécuritaires, opérations limitées, actions indirectes) reste une option possible, sinon probable, pour maintenir une forme de pression sans s’exposer directement à une riposte dévastatrice d’Israël.

Vers une confrontation plus large?

Aujourd’hui, l’assassinat de Tabtabaï pourrait alimenter la crainte d’une nouvelle guerre entre Israël et le Hezbollah. Pourtant, plusieurs signaux indiquent que Tel-Aviv ne cherche pas – du moins pas immédiatement – à ouvrir un front généralisé, mais plutôt à ancrer la milice dans un cycle de pressions continues et de tensions maîtrisées.

D’abord, l’attaque intervient alors qu’Israël affirme rester «engagé aux termes» du cessez-le-feu. Ensuite, soulignent les analystes, le calcul israélien semble viser à affaiblir progressivement le Hezbollah sans déclencher une conflagration régionale. L’objectif: contenir, éroder et empêcher la reconstitution de l’appareil militaire chiite.

Quoi qu’il en soit, même dans l’hypothèse où le Hezbollah choisirait de ne pas riposter, le Liban entre dans un compte à rebours serré. Il ne lui reste que quelques semaines avant l’échéance fixée par la communauté internationale – notamment Washington – pour désarmer les milices sur son territoire. Selon Hussain Abdul Hussain, d’ici fin décembre et à supposer que le Hezbollah ne riposte pas, il ne faut pas s’attendre à une escalade majeure. Mais une fois ce délai dépassé, si l’État libanais n’a rien entrepris, Israël pourrait activer la «phase suivante» de son plan.

Autrement dit, le début de l’année 2026 pourrait s’ouvrir sur une montée en intensité: frappes plus profondes, éliminations ciblées plus fréquentes, opérations militaires élargies sur le sol libanais. L’expert exclut toutefois une invasion terrestre, jugée trop coûteuse humainement et matériellement pour Israël.

Dans cette perspective, Tel-Aviv semble avoir conclu que la seule manière d’entraver la reconstruction des capacités du Hezbollah est d’accélérer sa campagne ciblée: davantage de frappes, plus fines, plus pénétrantes. Une stratégie qualifiée de «guerre à coût réduit», fondée sur les drones, le renseignement et les assassinats ciblés, sans franchir le seuil d’une guerre totale.

Les prochains jours seront décisifs. La réaction (ou l’absence de réaction) du Hezbollah, les signaux diplomatiques et les mouvements des acteurs régionaux détermineront si l’on glisse vers une nouvelle phase de confrontation ouverte ou vers un cycle prolongé de frappes calibrées.

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