
La vague de chaleur caniculaire actuelle en Europe, et l'hiver sec du Liban, ont une seule et même cause: les perturbations climatiques dues au phénomène de réchauffement climatique et aux émissions de CO2, eux-mêmes fruits d’un «anthropocentrisme despotique», où l’homme se place au-dessus de tout, sans considération pour tout ce qui est diversité naturelle sur la planète terre, que ce soit les races et les peuples, l'âge et le sexe, le climat, la faune ou la flore, les «richesses minières» et «l'énergie propre». L'expression «anthropocentrisme despotique» est du pape François et s'explique d'elle-même.
Les médias parlent et montrent les images d’une vague de chaleur exceptionnelle en Europe. Il faudrait plutôt dire jamais vue: 46°C au Portugal; fermeture du sommet de la tour Eiffel; report d’activités en extérieur; fonte des glaciers alpins et de la calotte du Groenland; incendies violents, notamment en Catalogne (2 morts), avec de lourdes conséquences économiques, notamment dans l’agriculture.
Au Liban, nous avons fait l'expérience d'un hiver exceptionnellement sec, avec 70% de précipitations en moins que d’habitude, ce qui a provoqué une chute de 50% du niveau du fleuve Litani, mis l'agriculture en difficulté (légumes, blé) et fragilisé les zones forestières.
En Europe comme au Liban, ces phénomènes résultent directement de l’augmentation des gaz à effet de serre: En Europe, la chauffe marine de la Méditerranée intensifie la chaleur, amplifiée par les émissions de CO₂; au Liban, la hausse des températures (jusqu’à +4°C d’ici la fin du siècle selon certains scénarios) et la réduction des précipitations sont liées au réchauffement global.
Pourtant, on voit un président Trump et certains autres leaders de la planète engagés dans une stratégie du déni de la réalité de la dégradation de la planète. Ce climato-scepticisme prend plusieurs formes: nier le réchauffement lui-même («il n’y a pas de réchauffement»); reconnaître le réchauffement mais nier son origine humaine («c’est naturel»); minimiser ses conséquences («ce n’est pas grave»). Trump est même allé jusqu'à prétendre que le changement climatique est un «canular» inventé par la Chine. Il y a certainement là une vision primaire du progrès, liée à un refus de renoncer à une «zone de confort» lucrative.
La «maison commune»
Dès 2015, dans une encyclique qui a connu un retentissement mondial, le pape François a mis en garde contre la dégradation de la planète et lancé des appels pressants à l'action. La réponse à ces phénomènes climatiques n’est pas mécanique, mais humaine et collective, a-t-il souligné; c'est la «maison commune» qu'il faut sauver. Certes, les moyens de faire face au danger – et de le défaire – ne manquent pas, mais l'essentiel est dans la prise de conscience du danger et le passage à l'action sans tarder.
Dans un message à l'occasion de la 10e Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la Création, qui se tiendra le 10 septembre prochain, Léon XIV, dans le sillage de son prédécesseur, dresse le constat implacable des déséquilibres qui menacent la planète et l'humanité. «Dans différentes parties du monde, il est désormais évident que notre terre est en train de tomber en ruine», relève-t-il, «partout, l’injustice, la violation du droit international et des droits des peuples, les inégalités et la cupidité qui en découlent produisent la déforestation, la pollution, la perte de biodiversité». Face aux injustices, Léon XIV déplore «qu’il n’y ait toujours pas de prise de conscience que la destruction de la nature ne touche pas tout le monde de la même manière: bafouer la justice et la paix signifie frapper davantage les plus pauvres, les marginalisés, les exclus. La souffrance des communautés autochtones est emblématique dans ce domaine». Des mots qui font écho à Laudato si' où François liait «cri de la terre» et «cri des pauvres».
Le dépassement écologique
Le concept d'exploitation de la planète au-delà de ses capacités de se régénérer s'appelle «dépassement écologique» ou «dépassement des limites planétaires». Il vient couronner cette prise de conscience réclamée par le pape. Il est aussi connu sous le terme de déficit écologique (ecological overshoot en anglais): cela désigne la situation où l’humanité consomme plus de ressources naturelles et produit plus de déchets (notamment de CO₂) que ce que la Terre peut renouveler ou absorber durablement en un an.
Ce concept est souvent illustré par le Jour du dépassement (Earth Overshoot Day), la date annuelle à laquelle l’humanité a utilisé toutes les ressources que la Terre peut produire en un an. Par exemple, en 2025, le Jour de dépassement tombe ce 24 juillet.
«Querrida Amazonia»
Pour éveiller à l’urgence écologique, le pape François a fait un usage extensif, dans son exhortation postsynodale Chère Amazonie, du verbe poétique. C'est avec passion qu'il parle de cet immense fleuve Amazone, citant de nombreux poètes sud-américains et affirmant que «seule la poésie peut nous apprendre à aimer la nature, sans l’utiliser».
«Car voici que montent les Vents!»
Mieux que personne, le grand poète Saint-John Perse a anticipé dans l’une de ses œuvres, Vents (1946), le mouvement puissant et incontrôlable de la nature qui secoue la planète.
«Car voici que montent les Vents, ô notre simulacre! et toute mer ravie, et toute cime arborescente!
Voici la grande mer des souffles! Voici le vent qui bat les feuilles, et le vent qui bat les crânes,
Voici le vent qui prend les livres, et le vent qui prend les bêtes,
Et le vent qui prend les hommes…»
Perse évoque le vent comme une force vivante, primordiale, une force qui rappelle que la nature est maîtresse de l’homme et qu'on ne lui commande qu'en lui obéissant. En plaçant le vent au centre, Perse invite l'homme à savoir qu'il est à la fois l'intendant et l'hôte de la Terre.
Dans le Chant troisième, Perse dit encore:
«Et l’univers au vent, comme un grand arbre nu!
Et la terre au grand vent, comme un fruit sans écorce!
Et l’homme dans le vent, debout, comme une torche!»
L’image de l’homme balayé, brûlant comme une torche peut être lue comme une métaphore du dérèglement climatique: en cherchant à dominer despotiquement les forces de la nature, l’homme finit par en devenir à la fois la lumière et la flamme qui se consume et s’éteint.
Commentaires