
Sous la chaleur écrasante de l’été, les incendies progressent insidieusement à travers les forêts denses du Liban, réduisant tout en cendres sur leur passage. La forêt de Kobayat, dans le Akkar, a été la dernière victime de ce cauchemar et probablement pas la dernière.
Si le feu a finalement été maîtrisé, il a infligé des dégâts irréparables.
En réaction, la ministre de l’Environnement, Dr Tamara El-Zein, a déposé une plainte judiciaire contre toute personne qui, après enquête, serait reconnue coupable d’avoir volontairement déclenché l’incendie. C’est une démarche importante, car les auteurs de feux de forêt sont rarement, voire jamais, traduits en justice.
Une simple étincelle, qu’elle soit volontaire ou accidentelle, suffirait à rallumer les flammes, menaçant de faire des fragiles réserves naturelles du Liban les prochaines victimes.
Qu’est-ce qu’une réserve naturelle?
«Les réserves naturelles sont des zones écologiquement sensibles situées sur des terrains publics, terrestres ou marins. Elles sont protégées par la loi afin de préserver un écosystème sans intervention humaine», explique Georges Mitri, professeur en sciences de l’environnement à l’Université de Balamand, dans un entretien accordé à Ici Beyrouth.
Actuellement, le Liban compte 18 réserves naturelles officiellement reconnues, représentant à peine 2% de la superficie totale du pays. «Cette proportion devrait être portée à 5% au moins, sans inclure les zones tampons de 500 mètres autour des réserves», précise M. Mitri, avant d’ajouter: «Les espaces verts qui ne bénéficient pas de ce statut disparaissent progressivement sous la pression de l’urbanisation, tandis que les réserves restent, elles, relativement bien protégées.»
Règles et code de conduite
Les réserves naturelles obéissent à une réglementation stricte visant à préserver la fragilité des écosystèmes et à limiter l’impact des activités humaines.
Une fois qu’un site est classé réserve naturelle, son accès est encadré. «En général, il existe un point d’entrée unique et le comité de gestion peut percevoir un droit d’entrée modique auprès des visiteurs», explique M. Mitri. Ces contributions servent à financer les opérations et les actions de conservation.
«Seules des activités respectueuses, comme la recherche écologique, l’évaluation de la biodiversité et le suivi de la faune, sont autorisées», souligne-t-il.
La construction, l’ouverture de routes et les travaux d’excavation sont formellement interdits. Le comportement des visiteurs est strictement réglementé.
«La chasse est interdite, les véhicules doivent rester sur les pistes balisées et il est également défendu d’allumer un feu dans l’enceinte des réserves. L’objectif est de concilier sensibilisation du public et protection durable des sites», conclut M. Mitri.
Réserve naturelle des Îles du Palmier. ©Shutterstock
Menaces environnementales pesant sur les réserves naturelles
«Le principal danger qui menace les réserves terrestres est le feu», avertit Georges Mitri. «Les forêts, qu’elles soient situées en basse altitude ou en haute montagne, sont particulièrement exposées aux risques d’incendie, surtout celles à végétation dense.»
Plusieurs réserves naturelles du Liban-Sud, notamment à Ramya, Kafra, Beit Lif et Wadi el-Houjeir, ont été largement dévastées lors du dernier conflit au Liban, tandis que des zones riches en pins et en cèdres comme Bentaël, Chnaniir, Tannourine, Horch Ehden et le Chouf restent particulièrement vulnérables.
Par ailleurs, le changement climatique accélère les infestations parasitaires et la propagation de maladies. «Nous assistons à une dégradation progressive des écosystèmes sous l’effet de conditions climatiques de plus en plus extrêmes», souligne M. Mitri.
Le pâturage illégal, l’abattage d’arbres, le braconnage et l’extraction non contrôlée de ressources naturelles exercent également une pression croissante sur ces milieux fragiles.
M. Mitri rappelle enfin que les zones forestières vulnérables situées en dehors des réserves officiellement protégées sont confrontées aux mêmes menaces: «L’incendie de Kobayat ne s’est pas produit dans une réserve officielle, mais la zone est écologiquement riche et très sensible.»
Protéger les réserves naturelles: un impératif de gouvernance
La protection efficace des réserves naturelles repose sur une gouvernance renforcée, une gestion rigoureuse et l’intégration d’outils modernes de conservation, souligne M. Mitri.
«Toutes les réserves ne disposent pas de comités de gestion structurés, capables d’assurer une surveillance et une protection adéquates. Il faut des équipes dévouées, du temps, une autorité et les ressources nécessaires pour gérer efficacement les opérations.»
Selon lui, de nombreuses réserves souffrent d’un sous-effectif chronique et d’un manque d’infrastructures essentielles, telles que des équipements de lutte contre les incendies, des voies d’accès, des points d’eau ou des tours d’observation pour la détection précoce des feux.
«La simple désignation légale ne suffit pas. Protéger ces espaces exige une capacité opérationnelle réelle sur le terrain.»
La technologie doit également jouer un rôle accru. Les systèmes de surveillance, capteurs à distance et outils numériques de suivi restent absents dans la plupart des zones protégées du Liban.
Réserve Naturelle des Cèdres de Tannourine. ©Shutterstock
Comment les réserves naturelles sont-elles créées?
La directrice des écosystèmes au ministère de l’Environnement, Lara Samaha, explique que les propositions de création de réserves naturelles débutent souvent par une demande de municipalités ou d’ONG, accompagnée des titres fonciers et des plans délimitant les terrains concernés. Pour les terres publiques, l’approbation municipale, une décision du Conseil des ministres et l’aval du ministère des Finances sont nécessaires.
Bien que le Liban ne compte pas encore de réserves privées, la loi les autorise sous réserve du consentement total du propriétaire. Toute proposition doit démontrer la valeur écologique du site avant qu’une inspection ministérielle confirme qu’il s’agit d’un écosystème naturel intact.
«Le site doit être écologiquement riche, préservé et non dégradé. On ne peut pas simplement planter quelques oliviers et demander la création d’une réserve; il faut un écosystème naturel déjà protégé», précise Mme Samaha.
Les démarches visant à protéger des sites marins tels qu’Anfeh, Jbeil ou Ras al-Chakaa progressent, même si certains projets attendent encore leur examen au Parlement. Sur terre, les propositions sont souvent retardées par l’absence d’approbation municipale, des litiges fonciers ou des cartes obsolètes – autant d’obstacles qui freinent les efforts, même dans des zones écologiquement prioritaires comme Kammoua et Lezzeb el-Dennié.
«Parfois, les cartes manquent de coordonnées précises ou sont incomplètes, ce qui empêche de définir officiellement les frontières», explique Mme Samaha. «À Kammoua, les différends fonciers sont portés devant la justice, bloquant toute avancée.»
Des lois plus claires et une meilleure coordination locale restent indispensables pour étendre le réseau libanais des zones protégées.
Réserve Naturelle de la Côte de Tyr. ©Shutterstock
Réserves naturelles: un tournant crucial
Les réserves naturelles du Liban sont aujourd’hui à un moment décisif. La plainte déposée par la ministre El-Zein marque un tournant encourageant vers plus de responsabilité et de vigilance dans la protection de ces espaces naturels essentiels, notamment après qu’un précédent ministère a autorisé la privatisation de biens maritimes publics proches de zones protégées.
Mais la sauvegarde durable de ces territoires requiert bien plus que des actions judiciaires. Elle appelle à une gouvernance renforcée, à un équipement adapté et à une mobilisation citoyenne qui considère ces forêts et ces sanctuaires marins non comme des biens lointains, mais comme un trésor national commun.
Le prochain feu à allumer doit être celui d’une volonté collective pour défendre et transmettre notre patrimoine naturel aux générations futures.
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