Yasmina Sabbah orchestre l’improbable dans «Symphonic Electro-Dance»
©Ici Beyrouth

À quelques jours d’un concert aussi déroutant qu’inédit, Yasmina Sabbah, cheffe d’orchestre du Chœur de l’USJ, accorde une interview à Ici Beyrouth. Elle nous dévoile les coulisses de Symphonic Electro-Dance, un projet qui fusionne électro et classique, et défie la gravité d’un pays en crise. À vivre le 10 juillet au château Rweiss.

Imaginez la scène: un orchestre symphonique, un chœur d’une cinquantaine de voix, une DJ en live, une chanteuse aux accents orientaux, et un répertoire qui flirte avec Lady Gaga, Daft Punk, Calvin Harris mais aussi Amr Diab ou Najwa Karam. Ce n’est pas le décor d’un rêve, mais celui de Symphonic Electro-Dance, le nouveau spectacle de la série Symphonic Fusion, initiée par l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Après le succès fracassant de Symphonic Rock, Yasmina Sabbah et ses musiciens s’attaquent à un monument de la culture populaire contemporain: l’EDM, autrement dit l’electro-dance music.

À première vue, l’idée semble presque irréaliste. Comment faire cohabiter les nappes synthétiques d’une DJ avec les envolées lyriques d’un chœur classique? Comment fusionner deux mondes que tout oppose – partition contre improvisation, rigueur contre pulsation – sans les trahir?

La réponse est dans cette conviction chevillée au corps qui guide Yasmina Sabbah depuis des années: la musique est un langage qui traverse les genres et les crises. Elle précise: «Depuis 2019, nous n’avons jamais baissé les bras, pas une seule fois. Malgré des obstacles colossaux – la révolution (thawra), le confinement du Covid, la crise financière, et même la guerre de septembre – nous n’avons jamais annulé un seul concert prévu. Nous avons mené à bien nos trois productions majeures annuelles. Pour nous, annuler n’a tout simplement jamais été une option. Le dévouement de notre chœur, de l’orchestre et la fidélité de notre public ont été inébranlables durant toutes ces années, et cela se confirme une fois de plus pour notre concert Symphonic Electro-Dance. Bien sûr, j’ai été stressée chaque fois. Bien sûr, j’ai toujours eu au moins cinq plans de secours. Mais aujourd’hui, je suis immensément soulagée d’avoir toujours pu m’en tenir au plan A. Si ces cinq dernières années nous ont appris une chose, c’est qu’il faut toujours persévérer, quoi qu’il arrive, et trouver des solutions. Abandonner n’est tout simplement pas dans notre nature.»

Transformer le beat en souffle

Le cœur du projet est une métamorphose. L’électro, genre roi des pistes de danse, devient ici matière orchestrale. Chaque titre, de Daft Punk à Najwa Karam, est réarrangé par des compositeurs libanais et internationaux pour orchestre et chœur. Yasmina Sabbah ne veut pas simplement transposer les morceaux, elle veut leur donner une seconde naissance.

Elle explique: «Je suis toujours avide de combinaisons originales. Et cette fois-ci, quoi de plus inattendu qu’un DJ live accompagné d’un orchestre et d’un chœur! Là où la musique électronique est par essence façonnée par l’ordinateur, j’ai souhaité inverser le processus créatif. Loin de la tendance actuelle qui vise à transformer la musique live en numérique, nous transformons l’électronique en une expérience orchestrale complète, en y insufflant une profondeur symphonique, des voix chorales et des arrangements captivants. En étroite collaboration avec les arrangeurs, chaque titre est entièrement repensé, lui donnant ainsi une nouvelle vie. Il ne s’agit pas simplement d’orchestrer ou d’élargir la texture, mais de conférer une identité musicale entièrement nouvelle à chaque chanson. Préparez-vous à être surpris à chaque morceau!»

Avec Scarlett Saad à la direction de la performance électronique, le dialogue entre la machine et l’orchestre promet une intensité rare. Ce n’est pas un DJ set agrémenté de cordes. C’est une œuvre hybride où l’ordinateur rencontre les archets, où la voix humaine transcende les voix artificielles. Yasmina insiste: «Chaque morceau a été repensé de fond en comble. Ce n’est pas une orchestration, c’est une réécriture complète. Chaque chanson acquiert une nouvelle identité musicale.»

Pourquoi Lady Gaga et pas Beyoncé?

À la question du répertoire, Yasmina Sabbah répond avec franchise. «Après avoir écouté un très grand nombre de chansons, ma sélection s’est faite selon deux principes clairs: soit la mélodie ou le groove m’ont d’emblée inspiré une réinterprétation totale du morceau, me poussant à le réinventer entièrement; soit les titres m’ont semblé tellement “standardisés” ou “prévisibles” que j’ai été motivée par le défi de les métamorphoser en quelque chose d’authentiquement innovant et intéressant.»

Le chœur, catalyseur de la fusion

Peut-on vraiment chanter Lady Gaga avec la même rigueur que Haendel? Dans l’univers de Yasmina Sabbah, la réponse est un oui massif, à condition d’un travail en profondeur. Elle confie: «Je suis infiniment reconnaissante envers ces chanteurs exceptionnels qui consacrent un temps considérable aux répétitions et à leur préparation. Leur investissement est tel qu’ils sont véritablement admirables. En répétition, nous abordons un travail colossal sur le style et l’interprétation. Il n’est pas rare de passer de Haendel à MacMillan, pour finir sur du Lady Gaga, le tout en une seule séance. Cela peut sembler fou, je le concède. Mais c’est cette solide base classique qui leur permet de maîtriser des harmonies complexes, de développer une musicalité aiguisée et une technique irréprochable. Leur exploration de styles aussi divers que la musique indienne, le tango, la musique africaine, le rock, le baroque ou le contemporain – pour n’en nommer que quelques-uns – leur a conféré une incroyable capacité d’adaptation à tous les genres. Nous passons beaucoup de temps à annoter les partitions, à étudier la diction, l’articulation, l’énergie et l’ambiance. Ce processus détaillé et exigeant leur permet d’aborder n’importe quel genre avec une précision remarquable, en lui rendant pleinement justice.»

Une scène, plusieurs mondes

Sur scène, ce 10 juillet, le spectacle sera total. Le Chœur et l’Orchestre symphonique de l’USJ partageront la scène avec la chanteuse américano-libanaise Mayssa Karaa, nommée aux Grammy Awards, dont la voix puissante et nuancée interprétera certaines des réécritures les plus ambitieuses. Scarlett Saad, figure montante de l’électro live au Liban, assurera le volet électronique, dans une performance pensée comme une conversation entre ses machines et les instruments acoustiques.

Au-delà de la prouesse musicale, Symphonic Electro-Dance raconte aussi une histoire de résistance. À travers les crises successives, Yasmina Sabbah a maintenu le cap, refusant la résignation. Son orchestre est devenu un lieu de continuité, d’endurance et de beauté. Ce concert n’est donc pas un simple divertissement. C’est un acte. Une manière de dire que l’art n’est pas un luxe, mais une nécessité. Que même dans l’adversité, on peut créer, transformer et surtout surprendre.

Elle résume cela d’un trait: «Abandonner n’est tout simplement pas dans notre nature.» Et cette phrase résonne comme une signature, autant que comme un appel. Un rappel, peut-être, que la musique, lorsqu’elle est portée avec conviction, peut électriser bien plus qu’une piste de danse. Elle peut faire vibrer un pays tout entier.


 

Informations pratiques – Symphonic Electro-Dance

Le concert aura lieu le jeudi 10 juillet 2025, à partir de 20h30, dans le cadre enchanteur du château Rweiss, situé à quelques kilomètres de Beyrouth.

La soirée réunira sur scène le Chœur de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth accompagné de l’Orchestre symphonique invité, aux côtés de la chanteuse américano-libanaise Mayssa Karaa, nommée aux Grammy Awards, et de Scarlett Saad, figure montante de l’électro live au Liban.

La direction musicale sera assurée par Yasmina Sabbah.

Les billets sont disponibles sur Virgin Ticketing BoxOffice.

 

 

 

 

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