
À Nice, dans le cadre du Festival de tragédie du Théâtre national de Nice, Carole Bouquet interprète Le Professeur, une lecture-performance inspirée des derniers jours de Samuel Paty. Écrite par Émilie Frèche, la pièce retrace l’engrenage des rumeurs, des peurs et des renoncements ayant conduit à son assassinat en 2020. Seule en scène, la comédienne incarne tour à tour tous les protagonistes de cette tragédie.
Une scène nue, un pupitre et un texte qui égrène toutes les petites lâchetés de l'humanité: avec sa lecture de la pièce Le Professeur, Carole Bouquet explore toute la dimension tragique des dix derniers jours de Samuel Paty.
Créée cette semaine aux arènes de Cimiez, sur les hauteurs de Nice, dans le cadre du Festival de tragédie du Théâtre national de Nice (TNN), la lecture-performance mise en scène par Muriel Mayette-Holtz sera proposée en octobre au théâtre de la Scala à Paris.
La pièce, écrite par Emilie Frèche en collaboration avec l'une des sœurs de Samuel Paty, est née l'an dernier, avec Charles Berling dans le rôle du professeur assassiné par un islamiste radical en octobre 2020.
Cette fois-ci, Carole Bouquet interprète tous les personnages. Le professeur, droit et clair mais peu à peu gagné par la colère et la peur, la principale du collège à l'air toujours embêtée, l'islamiste menaçant, le collègue aux bras ballants, le référent laïcité bloqué les bras croisés, les élèves insouciants...
Alors que l'engrenage des rumeurs, des vidéos et des menaces prend de l'ampleur, le professeur se heurte aux reculades autour de lui, un soutien de façade qui le ramène sans cesse au rang de coupable.
Pourquoi a-t-il choisi de parler de Charlie Hebdo, de montrer précisément cette caricature, de proposer aux élèves qui redoutaient d'être choqués de sortir quelques minutes?
Aléas du plein air, un vent chaud et facétieux joue avec les pages, perturbant la lecture. Au fur et à mesure, la nuit tombe sur la scène et sur le professeur, jusqu'au dénouement suggéré par l'éclairage rouge sang des arbres derrière les ruines.
«Malade de peur»
Puis la vie reprend ses droits, avec la lecture de la lettre d'une élève de Samuel Paty, qui évoque le quotidien de ses cours comme de ses blagues et conclut: «Merci pour tout».
Programmé entre des oeuvres de Racine, Homère ou Sophocle, Le Professeur détonne dans le Festival de tragédie par son actualité aiguë, au point qu'un rappel de la présomption d'innocence de certains personnages a été nécessaire en introduction.
Mais «l'enjeu n'est pas d'aller chercher du réalisme. La tragédie, c'est donner une dimension universelle à un fait divers», explique à l'AFP Mme Mayette-Holtz, qui dirige le TNN depuis 2019, après la Comédie Française et la Villa Médicis à Rome.
Le choix d'une seule actrice vise d'ailleurs à mettre une distance avec le fait divers.
«Il montre que dans la même personne, on peut avoir des contradictions, des petites lâchetés, des défaillances et qu'on n'est pas toujours juste. On a tous un peu de chacun à l'intérieur de soi», explique la metteuse en scène.
Une responsabilité que Carole Bouquet a trouvée plus lourde que prévu. Elle qui avait dompté le trac de ses débuts au théâtre est tombée malade aux premières répétitions. «Me connaissant, je me demande si je n'étais pas malade de peur», raconte-t-elle.
Et cette pièce sur l'injonction à l'autocensure résonne pour l'actrice, ancienne compagne de Gérard Depardieu qui a été vivement critiquée l'an dernier pour l'avoir soutenu alors que les plaintes et accusations de violences sexuelles se multipliaient.
«Je ne suis pas obligée de répéter éternellement que ce n'est pas comme ça que je pense ou qu'il y a des nuances. C'est exactement le propos de la pièce. Mais justement, la nuance aujourd'hui, c'est très, très, très compliqué», regrette-t-elle.
Avec AFP
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