«Humains»: la poésie du savoir au théâtre Le Monnot
Affiche officielle. ©Ici Beyrouth

Du 28 mai au 1er juin, le théâtre Le Monnot devient le théâtre d’une réflexion sensible et artistique sur l’humanité. Avec Humains, Narcisse propose une expérience scénique unique, entre poésie, musique live et regards croisés sur la connaissance. Une œuvre à la fois intime et universelle, drôle et éclairante. Interview avec Narcisse pour Ici Beyrouth.

Du 28 mai au 1er juin, le théâtre Le Monnot accueille Humains, une performance singulière portée par l’artiste suisse Narcisse. Mise en scène par Jean-Philippe Daguerre, cette création poético-musicale explore les savoirs humains à travers une scénographie innovante mêlant poésie, musique et théâtre. Saluée par la critique française, Humains se distingue par sa richesse intellectuelle, sa créativité débordante et son humour subtil. Narcisse répond aux questions d’Ici Beyrouth.

Comment votre pièce reflète-t-elle le titre et comment l’idée est-elle née?

Durant la Covid, j’avais écrit un texte de slam qui rendait hommage aux soignants dans les hôpitaux. La vidéo de ce texte a eu beaucoup de succès sur les réseaux sociaux et des gens du monde entier m’ont écrit que je leur avais fait du bien. Par ailleurs, on entend dire un peu partout qu’il n’y a plus rien d’humain chez l’humain, et que notre espèce vaut moins que les autres animaux. En prolongement de mon texte sur les soignants, j’avais envie de nous réconcilier avec l’humanité en mettant le doigt sur tout ce dont nous sommes capables. Nous sommes tout de même la seule espèce animale qui écrit, qui peint, qui compose de la musique, qui a marché sur la lune… Je ne dis pas que tout va bien, au contraire, et je ne prétends pas, en tant qu’homme européen, parler au nom de toute l’humanité. D’ailleurs le texte du spectacle a été relu notamment par la directrice du musée d’ethnographie de Genève, qui est une femme d’origine africaine et qui l’a complété de son regard. Je pense que nous avons vraiment besoin d’un monde meilleur, mais que nous n’y parviendrons pas si nous n’écoutons que des gens qui disent que nous n’y parviendrons pas.

Qu’est-ce qui vous interpelle dans ce projet précisément?

Ce qui selon moi nous distingue des autres espèces, c’est notre incroyable capacité à apprendre des autres et à accumuler des connaissances. Quand on y réfléchit, ça semble évident: seul sur une île déserte, personne au monde n’est capable de fabriquer un téléphone portable, par exemple. Cet appareil est l’aboutissement de milliers d’années de mise en commun de petites inventions, d’idées nouvelles, de petites découvertes. Et ce n’est qu’un exemple parmi des milliers d’autres. C’est l’ensemble de nous tous et toutes qui fait l’humanité, pas quelques individus isolés que les médias mettent en avant, type Elon Musk ou Jeff Bezos. Et c’est cette histoire de l’humain que j’avais envie de raconter. Je parle de ce que je ressens, de ce que j’ai lu aussi sur le sujet, une cinquantaine d’ouvrages, pour que chacun puisse en prendre ce qu’il souhaite. Je ne cherche surtout pas à donner des leçons d’humanité.

Comment s’est effectué le travail pour rendre les différentes disciplines qu’aborde le spectacle homogènes et accessibles?

Dans tous mes spectacles, j’aime manier plusieurs formes d’arts. Dès le départ, je vois le spectacle fini dans mon imaginaire, et je travaille tout en parallèle: texte, musique, vidéo, technologies, pour concrétiser ce que j’ai imaginé. C’est peut-être cela qui donne à mes spectacles une certaine homogénéité. Mais le centre du spectacle, c’est le texte. La technologie est toujours au service du propos.

Comment est-il possible de parler encore de l’Humain dans un monde ravagé par l’individualisme? Qu’en est-il de l’apport de la technologie et des hologrammes?

On a effectivement tendance à croire que l’humain d’aujourd’hui fait tout faux. J’aimerais vous répondre par une anecdote: récemment, près de chez moi, une dame s’est évanouie dans la rue. Immédiatement, une personne s’est agenouillée vers elle pour surélever sa tête, une autre a couru chercher un verre d’eau, une troisième a appelé les secours, une autre encore tenait la main de la pauvre dame et lui parlait gentiment. Cette situation est tout à fait normale et se serait produite pratiquement partout dans le monde. Je pense que l’humain est beaucoup plus humain que ce qu’on dit. Alors certes, certains d’entre nous commettent des atrocités, et ils monopolisent les médias. Mais je postule qu’il est tout aussi important, pour que l’humanité aille mieux, de cesser de penser que nous ne sommes bons à rien.

Quant à la technologie, elle n’est qu’un outil: dans tous les domaines, nous pouvons en faire le meilleur et le pire; l’énergie atomique permet de fabriquer des bombes, mais aussi de soigner des cancers. Dans mon spectacle, les hologrammes me permettent d’avoir 20 artistes avec moi sur scène pour démontrer que toutes les musiques du monde peuvent être jouées ensemble et accompagner toutes les danses du monde. Ils apportent aussi un peu de magie, du merveilleux: on me dit souvent qu’il est difficile de savoir qui est filmé et qui est réellement sur scène, et j’aime beaucoup jouer avec cet aspect de la technologie.

Pensez-vous qu’il faudrait privilégier le beau à l’utile? Ou le contraire?

Je ne donne pas de conseil, mais je rappelle dans mon spectacle que nous avons beaucoup d’exemples d’inventions ou de découvertes qui ont été utilisées tout d’abord pour faire du beau, avant qu’on se rende compte qu’elles pouvaient aussi servir à autre chose. Avec la poudre noire, nous avons fait des feux d’artifice durant 600 ans avant l’invention du canon. Je trouve aussi extraordinaire que nous puissions prendre du plaisir à observer un coucher de soleil, ou à écouter de la musique.

Trouvez-vous que le slam s’accorde avec la poésie?

À l’origine, le slam est un moment où des personnes se réunissent pour dire de la poésie. Ce mouvement est né à Chicago dans les années 1980 et il a fait le tour du monde. Aujourd’hui, des slameurs et slameuses ont mis de la musique sur leurs textes, ont créé des spectacles, des disques, etc., alors on assimile souvent le slam à un style musical, plus ou moins proche du rap. Mais si on revient aux fondamentaux, le slam, c’est de la poésie, ni plus ni moins, mais une poésie où l’on ne s’ennuie pas… et cela me parle.

Parlez-nous de l’expérience de la mise en scène par Jean-Philippe Daguerre surtout après le Molière du Meilleur metteur en scène 2025.

Je connais Jean-Philippe Daguerre depuis plus de dix ans et nous avons chacun un profond respect pour le travail de l’autre, même si nous évoluons dans des mondes assez différents: lui est un spécialiste du théâtre classique, moi je viens de la musique et du spectacle pluridisciplinaire. J’avais envie que mon spectacle, Humains, se rattache à la grande culture du théâtre. J’ai donc demandé à Jean-Philippe Daguerre s’il acceptait de jouer ce rôle et il a été très enthousiaste. Il a d’ailleurs écrit un petit texte que je trouve très touchant pour parler de notre collaboration: «Quand Narcisse m’a fait l’honneur de me demander de fourrer mon nez dans la mise en scène de son dernier opus, j’ai immédiatement accepté avant même de lire le texte… Et quand il m’a mis Humains entre les mains, j’ai tout de suite compris que j’avais sous les yeux un véritable chef-d’œuvre. Il ne me restait plus qu’à apporter ma petite touche à cet édifice extraordinaire.» J’aimerais ajouter que parmi ses nombreuses qualités, Jean-Philippe Daguerre est quelqu’un de particulièrement modeste. En réalité, ce qu’il appelle sa «petite touche» a énormément enrichi mon spectacle.

 

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