S’agit-il d’un tournant?
©Ici Beyrouth

La visite du président Trump en Arabie saoudite marque-t-elle un tournant dans un Moyen-Orient entièrement désorienté et à la recherche d’équilibres introuvables? La démarche du président américain vise-t-elle à recréer les épicentres autour desquels devraient s’articuler des dynamiques endogènes qui aideraient à refaçonner les équilibres régionaux et à mettre fin aux vides qui ont succédé aux effondrements agrégés d’une modernité politique échouée? Le choix de l’Arabie saoudite, longuement discréditée après les opérations terroristes du 11 septembre 2001, étant principalement dû à la politique de rupture instituée par le prince héritier Mohammad ben Salmane.

La césure, aussi bien idéologique que stratégique et politique, a ouvert la voie à une nouvelle ère où la libéralisation a pu gagner du terrain et induire des réformes structurelles, qui ont remis en cause la légitimité du récit politico-religieux au profit d’une politique de modernisation autoritaire menée à partir du haut. Quelles que soient les hypothèses de travail, elles ont le mérite de rompre avec le modèle de l’État-rentier et de ses oligarchies attenantes, de la mystification politico-religieuse du wahhabisme et de ses dérives terroristes.

La seconde variable qu'il faudrait scruter est due à l’enrayage de la politique impériale iranienne. Cette dernière a cru réinventer un ordre régional calqué sur le modèle bolchevique des États satellites et des relais politico-religieux qu’ils comptaient installer sur l’ensemble du Moyen-Orient. Les effets pervers des attaques terroristes du 7 octobre 2023 en Israël ont été à l’origine d’une contre-offensive israélienne qui a remodelé les dynamiques stratégiques et politiques et permis de remettre en question les verrouillages imposés par les dictatures régionales.

La destruction des «plateformes opérationnelles intégrées» conçues par le régime iranien a ouvert la voie à des mutations géopolitiques qu’on pouvait difficilement imaginer en dehors de cette contre-dynamique. La visite du président américain vise à entériner les changements en question et à créer les espaces intercalaires qui peuvent mettre fin aux vides stratégiques qui ont succédé à l’implosion du système interétatique régional.

La réhabilitation du président intérimaire de la Syrie, Ahmad el-Chareh, est un acte initiatique qui entend mettre fin au paradigme de l’islamisme terroriste, aux échecs consécutifs des idéologies nationalistes arabes et à leurs modulations autoritaires, à l’ineptie du dirigisme économique et aux avatars de l’islamisme et à son corrélat idéologique, «l’islam est la solution». C’est la voie des réformes de gouvernance, de libéralisation sociétale, des réformes éducatives, de l’ouverture économique et du libre-échange qui servent désormais de schémas régulateurs.

La mutation opérée par MBS et les pays du Golfe va bien au-delà de l’Arabie: elle atteint désormais les régimes arabes quels qu‘ils soient. Le modèle américain est à présent un passage obligé afin d’opérer des réformes. C’est le modèle que Joseph Nye a si bien qualifié de «soft power» et qui imprègne l’imaginaire d’une jeunesse éprise du libéralisme américain et de ses registres multiples. C’est pour la première fois que l’aire politico-culturelle arabe se départit des schémas totalitaires comme modèle d’inspiration.

La réhabilitation de la Syrie servira de modèle de conversion à une étape où la nécessité des réformes s’impose partout au Moyen-Orient. Ahmad el-Chareh fait face à des défis majeurs, du côté de la mise à terme du modèle jihadiste et de son imaginaire; de la reconstruction de l’État syrien sur la base de la reconnaissance mutuelle; de la négociation et de l’élaboration des contrats sociaux. Les irrédentismes islamistes ont déjà intercepté la mouvance réformiste, en s’emparant des postes clés du nouvel État, en relançant la dynamique terroriste et en se repositionnant dans les interstices des politiques de puissance régionale.

La tâche est ardue, mais l'entreprise réformiste est dorénavant soutenue par la volonté de normalisation d’une population civile éprouvée par quatorze ans de guerre. Autrement, les terroristes d’Asie centrale qui se posent en obstacles à toute démarche de normalisation et de libéralisation sont désormais mal perçus par les Syriens. Les négociations avec les minorités ethno-nationales sont des passages obligatoires, si l’on veut un processus de réforme consistant et qui tienne la route. Sinon, les questions de la paix avec Israël et de la stabilisation régionale passent inévitablement par les accords abrahamiques et la défaite de l’expansionnisme iranien.

L’importance des accords industriels et commerciaux et la nature résolument stratégique des protocoles passés sont étroitement liées à la mise en place d'un schéma intégré où la diversité des enjeux se laisse saisir à partir d'une trame commune. La politique saoudienne sert de catalyseur et de fédérateur aux choix réformistes (politiques, stratégiques et culturels). La politique de Trump a réussi sa gageure, en posant des endiguements solides au nouvel axe totalitaire, en sécurisant ses accords commerciaux et en restructurant ses alliances géopolitiques autour des nouveaux vecteurs de la politique moyen-orientale.

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