
Souvent silencieuse, l’inflammation chronique est à l’origine de nombreuses pathologies modernes. Face à ce fléau invisible, l’alimentation se révèle être une arme de première ligne, capable d’apaiser le feu intérieur bien plus durablement qu’un simple antidouleur.
L’inflammation est, en soi, un mécanisme de défense naturel. Lorsqu’un corps étranger, une infection ou une blessure survient, l’organisme mobilise ses cellules immunitaires pour réparer les tissus. Rougeur, gonflement, chaleur: c’est le corps qui guérit. Mais il existe une autre forme, insidieuse et bien plus délétère: l’inflammation chronique. Invisible à l’œil nu, silencieuse, elle se déploie lentement, mais sûrement, dans les tissus du corps, alimentée par le stress, le manque de sommeil, la sédentarité et, surtout, une alimentation déséquilibrée.
Aujourd’hui, la recherche est formelle: l’inflammation chronique est impliquée dans un grand nombre de maladies dites de civilisation, telles que les troubles cardiovasculaires, le diabète de type 2, l’arthrose, les maladies auto-immunes ou encore la dépression (Harvard Health Publishing, 2021). Plutôt que de se contenter de traiter les symptômes avec des anti-inflammatoires, de plus en plus de médecins et nutritionnistes appellent à intervenir à la source: dans l’assiette.
Des travaux comme ceux du Dr David Servan-Schreiber, dans son livre Anticancer, ou ceux du Dr Andrew Weil, pionnier de la médecine intégrative, ont contribué à populariser la notion d’«alimentation anti-inflammatoire». Ce régime ne consiste pas à suivre une liste stricte d’interdits, mais à restaurer un équilibre perdu. Il s’agit de privilégier les aliments qui apaisent l’organisme et de réduire ceux qui l’enflamment.
Parmi les grands ennemis: le sucre raffiné, les farines blanches, les huiles végétales industrielles riches en oméga-6 (huile de tournesol, de maïs), les viandes transformées, l’alcool et les produits ultratransformés. Ces aliments perturbent le microbiote intestinal, provoquent des pics de glycémie, stimulent la production de cytokines pro-inflammatoires et fatiguent le foie et le pancréas.
À l’inverse, les alliés sont nombreux: légumes colorés, fruits rouges, poissons gras riches en oméga-3 (saumon, sardines, maquereaux), huile d’olive extra vierge, noix, curcuma, gingembre, thé vert… Des études montrent par exemple que le curcuma, grâce à sa molécule active, la curcumine, a des effets comparables à certains anti-inflammatoires non stéroïdiens, sans les effets secondaires (Chainani-Wu, 2003, Alternative Medicine Review). Les oméga-3, quant à eux, régulent la réponse immunitaire et sont associés à une réduction du risque de maladies inflammatoires chroniques (Calder, 2006, Proceedings of the Nutrition Society).
L’alimentation ne se résume pas à une liste d’ingrédients. C’est aussi une question de rythme, de qualité et de cohérence globale. Un même aliment peut apaiser ou aggraver, selon le contexte dans lequel il est consommé. Le pain, par exemple, peut être hautement inflammatoire s’il est blanc, industriel, à base de farine raffinée; mais devient un allié s’il est complet, au levain, riche en fibres et consommé avec modération. De même, la viande rouge n’est pas un poison en soi, mais sa consommation excessive, surtout sous forme transformée, s’accompagne d’un risque accru de maladies chroniques.
Au cœur de cette approche alimentaire se trouve aussi la santé du microbiote intestinal. Des études récentes, comme celles menées par l’équipe du Dr Patrice Cani, en Belgique, démontrent l’impact majeur du microbiote sur l’inflammation systémique. Un microbiote déséquilibré libère dans la circulation sanguine des endotoxines issues des bactéries intestinales (les LPS) qui déclenchent une réaction inflammatoire à bas bruit dans tout l’organisme. D’où l’importance des fibres, des aliments fermentés (kéfir, choucroute, yaourt nature, miso) et des polyphénols, pour nourrir la diversité bactérienne et renforcer la barrière intestinale.
Cette approche globale de la nutrition s’accompagne aussi d’une redécouverte de l’alimentation comme soin de soi. Manger pour guérir, c’est aussi ralentir, mastiquer, cuisiner, choisir avec attention. Le simple fait de préparer ses repas, d’adopter un rythme régulier, de manger dans le calme, active le système parasympathique, celui qui régule la digestion et apaise les tensions.
Des cliniques de traitement de la douleur commencent d’ailleurs à intégrer la nutrition comme un volet thérapeutique à part entière. À l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, l’unité douleur chronique recommande à ses patients un accompagnement nutritionnel personnalisé. Aux États-Unis, la Cleveland Clinic ou le Centre de médecine fonctionnelle de l’université d’Arizona en font un pilier de leur stratégie de prévention.
Il ne s’agit pas de prétendre que l’alimentation peut tout guérir. Mais dans une époque saturée de stress, de polluants et de médicaments, elle offre une voie accessible, sans effets secondaires et, surtout, profondément enracinée dans notre quotidien. Elle nous redonne du pouvoir. Car bien avant d’être un acte de consommation, manger est un acte de soin.
Face à l’inflammation, notre première défense n’est donc pas dans l’armoire à pharmacie, mais dans la cuisine. Une assiette bien pensée vaut parfois mieux qu’un comprimé bien dosé.
À privilégier: les aliments anti-inflammatoires
- Fruits et légumes frais, surtout les fruits rouges, les épinards, les brocolis, les betteraves.
- Poissons gras (saumon, sardines, maquereaux), riches en oméga-3.
- Huiles de qualité: huile d’olive extra vierge, huile de colza.
- Oléagineux: noix, amandes, graines de lin, de chia.
- Épices anti-inflammatoires: curcuma (avec poivre noir), gingembre, cannelle.
- Aliments fermentés: kéfir, yaourt nature, choucroute, miso.
- Légumineuses et céréales complètes (quinoa, sarrasin, avoine).
- Thé vert et infusions aux plantes.
- Chocolat noir (à plus de 70% de cacao, avec modération).
À éviter: les aliments pro-inflammatoires
- Sucre raffiné et pâtisseries industrielles.
- Farines blanches, pain blanc, pâtes blanches.
- Produits ultratransformés (plats préparés, snacks, sauces industrielles).
- Huiles végétales riches en oméga-6: tournesol, maïs, soja (en excès).
- Charcuteries et viandes transformées (saucisses, bacon, nuggets).
- Excès de viande rouge.
- Alcool (en particulier les alcools forts et sucrés).
- Boissons sucrées, sodas, jus industriels.
- Graisses trans (margarines industrielles, fritures répétées).
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