Le Liban, un pays sans repères 
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Le spectacle pathétique de la scène politique libanaise nous renvoie aux équivoques d’un pays qui n’arrive pas à définir ses registres et à se positionner de manière non ambivalente sur des enjeux qui touchent à sa survie et à la possibilité de se redonner une stature étatique. Les acteurs internationaux ont de la difficulté à traiter avec un pays qui a perdu sa titulature, ses lettres de créance et son aptitude à pouvoir se projeter sur la scène internationale en tant qu‘État souverain. Ceci est d’autant plus inquiétant que le pouvoir politique en place reflète les ambiguïtés statutaires d’un État qui n’en est plus un. 

Les instrumentalisations de l’État libanais évoluent à une telle cadence au point de s’interroger sur l’existence, voire nominale, de ce cadre de référence. Les notions de souveraineté territoriale, d’État de droit et de bien commun ne correspondent en rien aux réalités d’un État déliquescent qui ne peut, sous aucun rapport, servir de point de convergence ou générer des liens de civilité et de citoyenneté. La crise originaire de légitimité nationale et ses inscriptions institutionnelles et politiques mettent en relief les apories de la culture politique, l'instrumentalisation des institutions et les effets dévastateurs des conflits cycliques qui ont scandé un centenaire profondément tourmenté.

La guerre déclenchée par le Hezbollah en 2023 et son épilogue désastreux n’arrivent pas jusque-là à créer une dynamique de rassemblement national en vue de mettre fin à ses effets délétères. La trêve que les États-Unis ont négociée était supposée mettre fin à la guerre, rétablir la sécurité transfrontalière, régler les différends des tracés frontaliers et paver la voie à une diplomatie de fin des hostilités et à un accord de paix en vue de clore une ère conflictuelle aux rythmes alternés (1948-2025). Cette démarche suppose au point de départ un consensus par recoupement portant sur la nature des enjeux, la hiérarchisation des priorités, les politiques en cours et leurs prolongements stratégiques. Or le Hezbollah et ses acolytes font tout pour faire dérailler la dynamique de normalisation, alors que le pouvoir politique se réfugie dans un attentisme aussi cynique que complice. 

En effet, les Libanais ne sont pas d’accord sur la nature du conflit israélo-palestinien et sur la manière dont il faudrait s’y prendre en vue de contrôler ses incidences destructrices sur le pays qui en a souffert depuis plus de sept décennies. Les enjeux idéologiques, de politiques de puissance et les effets entropiques d’une guerre civile larvée ont rendu impossible la mise en forme d’une paix civile structurée autour d’un État fédérateur et d’une culture politique et civique génératrice de loyauté nationale. L’effondrement du système étatique interrégional démontre les échecs multiples de la modernité dans cette partie du monde et ses effets dévastateurs sur un pays comme le Liban qui représentait à lui seul l'unique modèle de l’État de droit, où les normes de réciprocité morale, de constitutionnalité et de consociativité tranchaient avec le caractère prédateur des dictatures régionales. 

Le Hezbollah, en se refusant à toute concession au profit du rétablissement de l’État de droit, de la souveraineté territoriale et des arbitrages internationaux, ouvre la voie à un nouveau cycle de violences qui remettra en cause l’intégrité territoriale du Liban, sa viabilité et sa paix civile. Le plus inquiétant est la complicité objective du nouvel exécutif et d’un Parlement croupion vassalisé par la coalition oligarchique et par les régimes multiples de suzeraineté qui les régentent. Le nouvel exécutif, en optant pour la politique des faux-fuyants, du mensonge intentionnel, du louvoiement cynique, de l’intransigeance idéologique et de ses manipulations sournoises, va conduire inexorablement à la fin de la phase étatique au bénéfice d’un état de chaos délibérément recherché par le régime iranien et par les islamistes sunnites et leurs mentors régionaux. La logique des événements en cours fait appel à de nouveaux équilibres géostratégiques qui succéderont à l’ère iranienne et ouvriront la voie aux dynamiques de reclassement géopolitiques.

Autrement, l’acuité de la crise financière revient à l’ordre du jour non pas pour gérer le quotidien d’une gabegie que les oligarques s’emploient à exorciser pour la sixième année consécutive. Aucune des questions épineuses n’a été abordée jusque-là, comme si les oligarchies misaient sur le long terme pour liquider la dette odieuse et en faire endosser les conséquences aux déposants les plus vulnérables, dont les labeurs de toute une vie, les pensions et caisses de retraite, les cotisations de sécurité sociale, de soins médicaux et d’éducation à leurs enfants sont entièrement occultés par les comptabilités publiques. Comme si les conséquences économiques et sociales de cette arnaque ressortaient à des externalités et aux coûts marginaux de ce braquage monumental. 

La feuille de route exposée par le nouveau gouverneur de la Banque centrale est rassurante, car elle offre une approche intégrée où tous les volets de la crise sont abordés de manière frontale: la restitution séquencée des dépôts, la restructuration du secteur bancaire moyennant la liquidation des banques défaillantes, les fusions-acquisitions, les audits de criminalité financière, l’instruction judiciaire et la réforme du Code de la monnaie et du crédit, la fin de l’instrumentalisation de la Banque centrale par les oligarques et leurs consorts dans les secteurs financiers et bancaires et la poursuite en justice de tous les acteurs de la criminalité financière. La feuille de route du nouveau gouverneur de la Banque centrale fait appel à l’urgence de la politique de réforme du gouvernement pour pouvoir juger du bien-fondé de la politique réformiste, de la possibilité de sa mise en application, de la nécessité de relier l’économie financière à l’économie réelle et de relancer la croissance économique et la création d’emplois. 

La défaillance du gouvernement dans la mise en œuvre de politiques adéquates dans les secteurs prioritaires de la sécurité nationale et des finances publiques est prémonitoire. C’est la dernière chance qui est offerte par la communauté internationale à notre pays, alors que le nouvel exécutif démontre son ambivalence, ses calculs tendancieux, sa part d’ombre et son inaptitude à gérer une dynamique de transition aussi vitale qu’hasardeuse.

 

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