La francophonie, un gage d’avenir au Liban-Sud
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Pour beaucoup, le français est un fait de culture et un choix social, tous deux fondés sur des liens anciens et affectifs avec la France. Chaque année, le mois de mars met à l’honneur la richesse et la diversité de la francophonie partout dans le monde. Cette célébration revêt une importance particulière au pays du Cèdre où le français coexiste harmonieusement avec la langue arabe et celle de Shakespeare. Au Liban, la langue de Molière est un héritage historique, un outil d’ouverture sur le monde et un vecteur d’échange. Est-elle cependant à son crépuscule, surtout au sud du pays où les changements socioculturels sont nombreux? Entre héritage historique, rayonnement culturel et défis contemporains, quelle place occupe aujourd’hui la francophonie dans un pays plurilingue?

Malgré l’invasion de la langue anglo-saxonne et la facilité par laquelle on peut l’acquérir, le français garde sa place de choix dans l’enseignement scolaire. Il reste une langue bien vivante, sous l’effet des savoureux libanismes et franbanais. Avec environ 40% de la population qui le pratique, il s’impose toujours comme une langue de culture, d’enseignement et de communication. Il est cependant confronté à de profonds bouleversements sociétaux, suscitant des interrogations sur l’avenir de la francophonie dans le pays.

Au Liban-Sud, la francophonie scolaire est en recul, mais des efforts soutenus sont déployés pour la préserver.  Alors qu’à la fin des années 90, deux tiers des élèves étaient scolarisés en français, ces derniers ne représentent aujourd’hui plus qu’un tiers. La crise économique a accentué cette tendance, poussant de nombreuses familles à opter pour des écoles anglophones, perçues comme offrant de meilleures opportunités professionnelles. Malgré ce recul, la francophonie reste dynamique, portée par une scène culturelle riche. Festival, expositions d’art contemporain, littérature. L’institut français de Nabatieh joue un rôle clé dans cette vitalité culturelle, en soutenant des projets favorisant le dialogue interculturel. Mais ce n’est pas tout. La diaspora libanaise et surtout les expatriés de Nabatieh et des villages du sud du Liban, établis en Afrique, constituent un relais essentiel pour la francophonie. Ils contribuent à diffuser la langue française dans leurs familles et dans la société sudiste.

Les hommes d’affaires du Liban-Sud qui ont fait fortune en Afrique francophone avaient commencé à revenir au pays. “Mes enfants sont nés hors du Liban, ils ont reçu une éducation française, ils parlent le français et maîtrisent moins l’arabe. Je souhaite comme beaucoup d’autres parents que mes enfants poursuivent cette éducation francophone entamée en Afrique dans des lycées français”, note Fadel Jaber, un habitant de Nabatiyeh.

Le français “se maintient” malgré tout

Au Liban-Sud, les établissements francophones tels que le Collège des Sœurs Antonines, le lycée français de Nabatieh et les Saints-Cœurs à Marjeyoun et à Aïn-Ebel jouent un rôle fondamental dans l’apprentissage et la pratique du français. Ces institutions sont réputées pour la qualité de leur enseignement. Elles ne se contentent pas d’enseigner une langue. Elles transmettent une culture, des valeurs et une identité. “Nous utilisons des méthodes pédagogiques innovantes qui favorisent l’apprentissage actif et l’engagement des élèves”, explique Najwa, une enseignante de français. “De même, nous intégrons des éléments culturels dans notre programme, permettant aux élèves de découvrir la richesse de la francophonie. Des événements culturels, des sorties éducatives et des échanges avec des écoles francophones à l’étranger enrichissent l’expérience des écoliers”, ajoute Nadine, prof de français.

Ces écoles francophones offrent un cadre dans lequel les apprenants pratiquent le français de manière régulière, que ce soit à l’oral ou à l’écrit. Les interactions entre élèves et enseignants, ainsi que les débats et les présentations, encouragent l’utilisation active de la langue. “Une fois mes études terminées, j’ai trouvé un emploi dans une entreprise francophone. La maîtrise du français m’a ouvert des portes que je n’aurais jamais imaginées. Je suis reconnaissante à mon collège pour cela”, se félicite Samar, une ancienne élève des Saints-Cœurs. Selon la mère d’une lycéenne, la pratique du français “donnera un avantage” à sa fille, dans sa carrière. “C’est une langue de culture, mais aussi de commerce. Je veux donner la chance à mes enfants de baigner dans la culture française et d’être trilingue”, dit-elle. Car les écoles francophones dispensent, comme partout ailleurs au Liban, un bon pourcentage d’heures d’études en anglais.

Grâce à son centre culturel, Tebnine (caza de Bint-Jbeil) présente un modèle de dynamisme et de résistance de la francophonie dans un environnement pourtant difficile. Le village a pu préserver l’appétit de la jeunesse locale pour la pratique de la langue française. Le Hezbollah et Amal y ont récemment ouvert leurs propres écoles, mais les familles appartenant à la classe moyenne continuent d’inscrire leurs enfants dans les écoles francophones, raconte un père de famille de Tebnine.

Le français a également la part belle à Marjeyoun. “J’apprends aujourd’hui le français et je voudrais, quand je serai grande, l’enseigner aux enfants de la région”, déclare Léa, 15 ans, élève des Saints-Cœurs de Marjeyoun. Elle parle abondamment de cette langue qu’elle “adore”, même si elle n’a pas l’occasion de la pratiquer à la maison.

Dans les cazas de Nabatiyeh, de Marjeyoun, et de Bint Jbeil, même si personne n’a recours au français dans les échanges de la vie courante, tout le monde considère cette langue comme un passeport vers un nouvel horizon. Selon la directrice du Collège des Saints-Cœurs de Marjeyoun, sœur Hiam Habib, “le français, pour nos élèves et leurs parents, c’est plus que la part d’un rêve. C’est un avenir qui s’ouvre”. “Les parents sont très concernés par l’éducation de leurs enfants. Ils sont surtout très fiers de voir leurs enfants s’exprimer en français, comme si, à travers eux, ils réalisaient un rêve ou comme si ces derniers leur assuraient une sorte de promotion sociale”, précise sœur Habib.

Le plurilinguisme, un atout

Rim, inscrite au Collège des Sœurs Antonines de Rmeich, est très attachée à son école. “Elle m’a aidée à forger ma personnalité. Au fil des années, je me suis découverte. Je rêve d’aller en France, de poursuivre mes études universitaires là-bas, mais je reviendrai travailler ici, pour appliquer tout ce que j’ai appris. Avec le français, on apprend la tolérance, le dialogue et l’ouverture”, confie Rim.

Un nouveau sud se dessine aujourd’hui, avec un bon nombre d’élèves dans les écoles francophones malgré l’invasion de l’anglais. Les jeunes veulent prendre le meilleur des deux cultures, des deux mondes, pour édifier, disent-ils, un pays “où on respire mieux”.

Rima, enseignante de français au lycée de Khiam, s’est adaptée aux nouvelles méthodes d’enseignement en ligne, à cause de la dernière guerre. “Les profs de français de la région ont un seul but, celui de promouvoir la langue française dans sa diversité, parce que l’avenir de la francophonie repose sur son maintien dans les écoles, sur les compétences, l’implication et le dévouement des enseignants et des élèves. Bien que notre région soit très affectée par la guerre, il ne faut pas que les élèves du Liban-Sud perdent leur plurilinguisme”, déclare -t-elle.

“Notre mission est de maintenir le français, avec l’anglais, à travers des programmes attractifs, parce que nous devons répondre aussi aux besoins anglophones des entreprises. Mais, les élèves diplômés de notre établissement doivent être parfaitement trilingues”, assure la directrice du lycée public de Marjeyoun.

Les Libanais resteront ainsi de fervents défenseurs de la francophonie.

 

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