L'offensive des forces rebelles en Syrie a pris la Russie au dépourvu alors que Moscou s’efforce, depuis des années, de stabiliser les lignes de front du président Bachar el-Assad. Les analystes estiment cependant que les développements militaires en cours au pays augmenteraient la probabilité d’un règlement négocié.
La Syrie, qui n’a pas vraiment tourné la page de la guerre civile de 2011, fait de nouveau la une des médias internationaux depuis que des combattants rebelles – affiliés pour la plupart au groupe islamiste Hay’at Tahrir al-Sham (HTS) – ont lancé mercredi dernier une offensive contre la ville d’Alep, la deuxième plus grande ville du pays, actuellement sous leur contrôle. Ils ont ensuite capturé Hama jeudi, un nœud clé reliant Damas au bastion alaouite du président syrien Bachar el-Assad sur le littoral.
L’offensive rebelle a été menée contre les positions du régime alors que les séismes provoqués par les guerres en Ukraine et à Gaza ont affaibli l’assise, en Syrie, des deux principaux soutiens du président Assad, la Russie et l’Iran.
Les rebelles, qui étaient largement isolés et cantonnés depuis huit ans dans la province d’Idlib, au nord de la Syrie, semblent ainsi avoir saisi l’opportunité du bourbier russe en Ukraine et de l’affaiblissement de l’influence iranienne au Liban et à Gaza, pour essayer de retourner la situation sur le terrain, en leur faveur.
Moscou et Téhéran ont quand même promis de continuer à soutenir le régime de Bachar el-Assad, pour freiner l’avancée des rebelles. La Russie a ainsi mené des frappes aériennes intensives contre les forces rebelles alors que l’Iran s’est engagé à envoyer des troupes en Syrie, au cas où Damas en ferait la demande.
Comment Poutine a renversé la vapeur dans la guerre civile syrienne
À l’automne 2015, à la demande du régime syrien, la Russie a mené une opération militaire en Syrie contre l’opposition, alors fracturée et de plus en plus islamisée.
Le Grand Ours a mené une campagne massive de frappes aériennes à travers la Syrie, se concentrant particulièrement sur les bastions de l’Armée syrienne libre à Alep et à Hama. Simultanément, des forces spéciales, des conseillers militaires et le tristement célèbre groupe Wagner ont été envoyés pour renforcer l’armée syrienne sur le terrain.
En public, le président russe, Vladimir Poutine, a présenté l’intervention militaire de son pays comme étant “une guerre contre le terrorisme”, soit une action visant, selon lui, à limiter l’influence croissante d’Al-Qaïda et du groupe État islamique en Syrie et dans la région. Mais des responsables russes avaient à l’époque confié à Reuters que l’objectif géopolitique principal était de neutraliser les factions soutenues par les États-Unis afin de préserver l’influence de la Russie sur son allié damascène.
L’intervention de Moscou a effectivement sauvé le régime syrien d’une destruction certaine. Fin 2016, Alep avait été reconquise après un siège brutal et acharné, et en 2018, l’enclave rebelle du sud s’était complètement effondrée.
À ce stade, le mouvement d’opposition avait été largement limité à la province d’Idlib, où il stagnait, coupé de l’économie mondiale par des sanctions multilatérales sévères et miné par des luttes intestines fréquentes.
Une Syrie figée dans une région en mutation
En 2017, le processus d’Astana, visant à mettre fin à la guerre en Syrie, a été lancé entre le gouvernement syrien, la Russie, l’Iran et la Turquie, établissant une “zone de désescalade” dans la province d’Idlib. L’initiative a permis de figer le conflit, permettant à Bachar el-Assad de préserver ses alliés dans d’autres parties du pays.
Cependant, au cours des sept dernières années, alors que la guerre civile syrienne restait figée, la région au sens large a continué de changer, une transformation radicalement accélérée par les attaques du 7 octobre, menées par le Hamas contre Israël, à partir de Gaza.
Pour la Russie, engagée depuis 2022 dans une guerre contre l’Ukraine, la Syrie a cessé d’être prioritaire. Alors que la guerre entre Moscou et Kiev s’éternisait et que les exigences pesant sur l’armée russe et son industrie de guerre allaient grandissant, Moscou a été contraint de redéployer une partie importante de ses forces terrestres stationnées en Syrie en Ukraine à la mi-2022.
De même, l’Iran et le Hezbollah, second pilier de soutien pour Damas, ont été sensiblement affaiblis par leur guerre contre Israël au cours de l’année écoulée. Autant d’opportunités pour les groupes rebelles.
Cependant, selon des analystes, bien que la Russie soit concentrée sur sa guerre en Ukraine, elle ne perd pas de vue son intérêt en Syrie.
“Le soutien de la Russie au régime du président Assad en Syrie reste à la fois stratégique et pragmatique”, explique Mohammed el-Bacha, fondateur du Basha Report, une société américaine de conseil en gestion des risques. “Bien que la Russie soit peu susceptible d’abandonner son allié syrien, l’assistance sera probablement plus mesurée et stratégiquement calculée par rapport à l’intervention robuste de 2015”, estime-t-il.
“Le conflit en cours en Ukraine a étiré ses ressources, limitant ainsi l’ampleur du soutien qu’elle peut offrir à la Syrie. Or, Bachar el-Assad a urgemment besoin d’une aide militaire avancée. Son régime se trouve dans une position délicate, étant donné que le Hezbollah et les Forces de mobilisation populaire (Al-Hachd al-Chaabi, en Irak) se montrent réticents à voler à son secours et à prêter main forte aux forces syriennes”, commente-t-il.
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