À Klayaa, Rmeich et Marjeyoun, un même cri: mourir dignement plutôt que de survivre dans la rue
Les magasins gardent leurs portes fermées dans les villages frontaliers ©(Photo DR)

Malgré les sentiments d’abandon, de peur et d’inquiétude, les habitants de trois villages chrétiens frontaliers, Klayaa, Rmeich et Marjeyoun, refusent de partir. Ils veulent croire que la guerre qui fait rage autour d’eux ne s’étendra pas jusqu’à leurs localités où il n’y a aucune présence du Hezbollah.

L’exode des habitants du Liban-Sud vers des régions plus sûres s’est accentué depuis que l’armée israélienne s’est mise à leur enjoindre de «quitter leurs maisons et de se rendre au nord du Litani pour cause de frappes imminentes sur des cibles du Hezbollah». Quelques villages, notamment chrétiens, font toutefois exception. De nombreux habitants de Klayaa, Rmeich et Marjeyoun refusent de partir.

«Rester ici, à Klayaa, est l’expression de notre engagement aux valeurs de la paix et de la dignité. Quitter notre terre et notre village signifierait abandonner tout ce que nous chérissons», affirme avec fermeté le père Pierre Raï.

Les habitants de ces trois villages, situés à quelques kilomètres à vol d’oiseau de la Ligne bleue, ont eu la mauvaise surprise de découvrir, le 4 octobre, les noms de leurs villages respectifs sur une liste de 27 localités du Liban-Sud qui devaient être évacués sans tarder, sur injonction de l’armée israélienne. La veille au soir, Tel Aviv avait annoncé le début d’opérations au sol, «limitées, localisées et ciblées», appuyées par l’aviation et l’artillerie, contre des cibles du Hezbollah, dans le sud du pays.

Une année durant, alors que le Hezbollah et Israël échangeaient sans relâche des tirs d’artillerie, ces trois villages sont restés pour l’essentiel à l’écart des tirs croisés. Le Hezbollah n’a aucune présence à Rmeich et Klayaa et une présence excessivement minime à Marjeyoun.

«Nous n’avons rien à voir avec les combats en cours. Nous n’avons aucun parti politique ici, pas de Hezbollah, rien», souligne le père Raï.

Dans son homélie, dimanche, en l’église Saint-Georges, il s’efforce de dissiper les inquiétudes de ceux qui sont restés, alors que les explosions retentissent au loin. «En ces temps d’incertitude et de tension, nous faisons face à des menaces et à des défis, mais nous restons une même famille. Malgré les peurs et les doutes qui nous assaillent, nous devons nous rappeler pourquoi nous sommes ici. Notre terre est le témoignage des luttes de nos ancêtres, le terreau de nos rêves et le refuge de nos cœurs», lance-t-il.

Le village s’est vite organisé pour gérer cette période de crise, alors que nombreux sont ceux qui redoutent qu’elle se prolonge en raison de ses effets sur leur quotidien. Les plus jeunes aident les plus âgés, veillant à ce que tous leurs besoins soient assurés; grâce aux femmes, des familles partagent des vivres et des biens de première nécessité; les hommes protègent le village.

À leur façon, les habitants de Klayaa, de Rmeich et ceux qui ont décidé de rester, un peu plus loin, à Marjeyoun, font de la résistance. C’est cet esprit qui fait leur force. «Nous avons entendu tellement de bombes ici depuis un an que même un enfant peut désormais distinguer les sons», soupire un retraité de 78 ans à Klayaa.

À ce moment-là, une explosion sourde retentit. Il lève le doigt au ciel: «Voilà de quoi je parle», dit-il avant de donner le nom du missile qui vient de s’abattre quelque part au loin. Une détonation plus forte se produit et une colonne de fumée s’élève au-dessus d’une montagne. Il a un pâle sourire: «Il en est ainsi tout le temps, maintenant».

«Nous nous sentons isolés, abandonnés. Personne ne pense à nous. Nous vivons littéralement sous les missiles». Bien que tendue, Chadia, propriétaire d’une épicerie à Klayaa, s’exprime d’une voix douce. Les nuits, surtout, sont difficiles. Des heures durant, dans l’obscurité, les bombardements font trembler le village. «Le courage ne fait pas long feu lorsque les missiles tombent», confie-t-elle. Les journées non plus ne sont pas faciles à gérer. La peur de ce que cache l’avenir est omniprésente. «Ceux qui restent n’ont pas les moyens de quitter leurs maisons ou ne le font pas de peur de perdre leur terre», précise Chadia.

 

Précarité de la population locale

À Marjeyoun, les rues sont pratiquement vides. De nombreux résidents ont décidé de partir, par peur d’une exacerbation du conflit. «Le sentiment d’isolement s’accroît», commente Paul, qui déplore la fermeture de la route qui relie Marjeyoun à Hasbaya, bombardée au niveau de Kawkaba par l’armée israélienne. «Les gens veulent pouvoir accéder aux hôpitaux ou aux pharmacies, ou simplement avoir accès à des moyens de subsistance», lance-t-il.

Toutefois, certaines familles n’ont pas voulu se rendre au nord du Litani et ont préféré s’installer dans des localités voisines, épargnées par les bombardements, parce que le Hezbollah n’y a aucune présence. Parmi ces localités, Hasbaya, chef-lieu du caza du même nom, qui accueille un grand nombre de déplacés de la région.

Cette proximité permet aux habitants de Marjeyoun qui s’y sont installés d’effectuer des visites rapides dans leur village, pour inspecter leurs maisons et s’assurer que leurs voisins qui ont décidé de rester ne manquent de rien. Ils y vont souvent en matinée, lorsque c’est plus ou moins calme. Ils prennent soin d’apporter des vivres. «Ce n’est jamais de trop», confie un père de famille installé à Hasbaya.

Dans cette localité chrétienne, près de 2.000 habitants sont encore là. «Nous préférons mourir ici dignement plutôt que d’essayer de survivre dans la rue», témoigne Dany. Bassam, propriétaire d’un restaurant à Marjeyoun, lui fait écho: «Partir serait un déchirement. Et puis, où irions-nous? Sommes-nous censés nous réfugier sous des escaliers, quelque part à Beyrouth? Ici, nous sommes chez nous». «Cette terre, c’est ma vie. Mes ancêtres y ont cultivé des olives et des figues et ont labouré les champs leur vie durant. Je sais que rester est dangereux, mais je préfère vivre ici, près de ma famille et de mes amis», insiste à son tour Charbel.

 

Les spectres sanitaires, économiques et alimentaires

L’un des défis majeurs auxquels les habitants de la région de Marjeyoun sont confrontés est d’ordre sanitaire, à cause de la fermeture des pharmacies et du seul hôpital gouvernemental du caza.

Cet établissement médical, autrefois vital pour la communauté, a été contraint de mettre la clé sous la porte en raison de la situation sécuritaire et, surtout, de ressources limitées et du manque de matériel et d’équipement.

Sa fermeture a gravement affecté l’accès aux soins de santé, alors que les habitants espéraient que les autorités, conscientes de la gravité de la situation, l’auraient soutenu pour qu’il continue d’assurer, au moins, les soins médicaux de base.

«Je n’exagère pas si je vous dis qu’on manque de tout. Nous avons dû évacuer les femmes enceintes, les patients dialysés, ceux qui sont atteints de cancer, parce que nous n’avons pas l’équipement et les produits nécessaires pour leurs traitements», affirme le Dr. Ahmad Atwi, un médecin de l’hôpital de Marjeyoun.

Sur les quatre pharmacies que compte ce village frontalier, trois ont fermé leurs portes. La seule à ne pas avoir baissé son rideau métallique est tenue par Khaled qui n’a pas l’intention de partir. «Face à nos nombreux besoins, l’État est totalement absent», déplore-t-il. Certains médicaments, notamment pour les maladies chroniques, commencent à manquer chez lui aussi.

Jusqu’à récemment, elles étaient deux pharmacies à répondre, dans la mesure de leur capacité et de leur stock, aux sollicitations des habitants. Mais, face à la multiplication des sommations israéliennes d’évacuer, Georgina, la pharmacienne, a eu peur pour sa famille et a voulu mettre ses trois filles à l’abri.

La fermeture de l’hôpital et des pharmacies, mais aussi la route bloquée entre Hasbaya et Marjeyoun, bombardée trois fois par l’armée israélienne, ont accentué le sentiment d’inquiétude et le désarroi d’une population livrée à elle-même depuis un an.

Le manque de carburant s’ajoute aux difficultés auxquelles la population est confrontée. La pénurie de diesel et d’essence limite les déplacements et accroît le sentiment d’isolement des habitants, surtout qu’Internet a été gravement affecté par les bombardements.

Les infrastructures des télécommunications ont subi des dommages importants, entraînant une connexion Internet instable et parfois inexistante.

Mais le plus grave reste l’insécurité alimentaire qui commence à se faire sentir à la suite des restrictions de mouvement qui compliquent l’approvisionnement.
Il y a quelques jours, cependant, trois camions chargés d’aide, notamment de produits de première nécessité, sont partis pour Rmeich. Cette assistance était une réponse aux appels répétés lancés par les résidents aux autorités. Le ministère des Affaires sociales y avait répondu en coordination avec un groupe d'associations et d'organisations locales et internationales, l'armée libanaise et la Finul. «Chaque geste d’aide, aussi petit soit-il, nous donne le sentiment que nous ne sommes pas seuls», note Victoria.

Le prêtre du village avait assuré les habitants qu’ils ne risquaient rien, les encourageant à y rester, comme lui. «Nous sommes des gens pacifistes, et nous voulons rester neutres», assure Amer.

Klayaa et Marjeyoun devraient bénéficier dans les jours à venir des mêmes aides. De quoi leur donner le sentiment qu’ils ne sont pas délaissés.

 

 

 

 

 

 

 

Commentaires
  • Aucun commentaire