Mikati reconduit avec un appui saoudien
Le juge et ancien diplomate Nawaf Salam, dont la candidature avait été proposée par deux députés de la contestation, a fini par recueillir 25 votes contre 54 pour le Premier ministre sortant Najib Mikati, à l'issue d'une longue journée de consultations parlementaires impératives à Baabda.

Le chef du gouvernement sortant Najib Mikati a été reconduit jeudi dans ses fonctions avec 54 voix à l’issue des consultations impératives pour la désignation d’un Premier ministre qui se sont tenues à Baabda. Bien qu’ayant obtenu un nombre de votes faible dans l’absolu, et inférieur à ses précédentes désignations (72 en 2021, 68 en 2011), Najib Mikati semble se faire reconnaître désormais comme un choix sûr aux yeux des différents acteurs, même rivaux. Cela n’est pas sans rappeler la position dont bénéficiait avant lui l’ancien Premier ministre et chef du Courant du futur, Saad Hariri, en retrait politique depuis janvier dernier. De sources concordantes, M. Mikati aurait d’ailleurs bénéficié de l’appui saoudien. Ce qui expliquerait la quasi-unanimité sunnite en sa faveur. Cela expliquerait aussi en partie le refus des Forces libanaises (FL), proches de Riyad, et qui s’affichent dans l’opposition, de voter pour le candidat opposé à Najib Mikati, l’ancien ambassadeur du Liban aux Nations unies et juge de la Cour internationale de justice, Nawaf Salam, proposé par une partie de la contestation comme une option sérieuse de changement.

La raison déclarée de ce refus, réitérée jeudi au nom des FL par le député Georges Adwan, est l’échec de l’opposition à s’unifier autour d’un candidat face à l’option Mikati. M. Adwan a formulé des réserves sur M. Mikati liées à sa tendance à former des « cabinets d’union nationale qui bloquent la reddition de comptes » devant le Parlement.
Configuration des votes sunnites

Il reste que dans un contexte d’appui saoudien, M. Mikati a recueilli l’appui de la majorité des députés sunnites : sept députés du Liban-Nord, dont six apparentés au Courant du futur ayant annoncé la veille la formation du bloc de la Modération nationale (Ahmad Kheir, Walid Baarini, Mohammad Sleiman, Sajii Attieh, Abdel Aziz al-Samad et Ahmad Rustom), rejoints dans la foulée des consultations par Abdel Karim Kabbara, la Jamaa islamiya (Imad el-Hout), les Macharii islamiques (deux députés) et les indépendants Bilal Hocheimi, Hassan Mrad, Nabil Badr et Firas Salloum.

Najib Mikati s’entretenant avec Tammam Salam. ©Dalati et Nohra

En revanche, les indépendants sunnites Fouad Makhzoumi, Oussama Saad et Abdel Rahman Bizri n’ont désigné aucun candidat, tandis que Achraf Rifi a carrément boycotté l’échéance.

Un vote isolé, celui de Jihad Samad, député sunnite du 8 Mars, est allé à l’ancien Premier ministre Saad Hariri, auquel il est pourtant politiquement opposé. Son choix semble surtout anti-saoudien, motivé par le fait que le leader du Courant du futur, retiré de la vie politique, a « subi une injustice, qui s’est reflétée sur la place de la communauté sunnite au sein du régime politique et du partenariat national » et « qu’en dépit de son absence, il est le plus représentatif de sa communauté », selon les termes du parlementaire. Le député indépendant Ihab Matar a pour sa part avancé le nom d’une figure féminine peu connue du grand public, Rawaa Hallab.

Le Premier ministre reconduit a également été avantagé par une quasi-unanimité chiite, le Hezbollah (quinze députés) et Amal (quinze députés) lui ayant accordé leurs voix. Jamil Sayyed, pro-syrien élu sur une liste du Hezb, a fait le choix de ne désigner aucun candidat.
« L’opposition éclatée, une entrave au changement »

Nawaf Salam, dont la candidature avait été proposée par deux députés de la contestation, a fini par recueillir 25 votes. Maigre résultat révélateur des difficultés à constituer une opposition entre réformistes et partis traditionnels souverainistes, ainsi que de l’absence de cohésion entre les députés du changement non issus des partis. « L’éclatement de l’opposition est en train de devenir une entrave principale à notre capacité au changement », a déclaré Michel Moawad à la sortie des consultations, accompagné par Adib Abdel Massih, tous les deux formant le bloc le Nord de la confrontation, ayant appuyé Nawaf Salam.

Du bloc des treize députés issus de la contestation, dix ont voté pour ce dernier, tandis que trois n’ont désigné aucun candidat. Il s’agit en l’occurrence de Cynthia Zarazir, Halimé Kaakour et Elias Jradé. Du côté des partis, Nawaf Salam a bénéficié de l’appui des Kataëb (quatre députés).

La Rencontre démocratique, groupe du Parti socialiste progressiste (huit députés), qui entend « rapprocher autant que faire se peut les forces souverainistes des réformistes », comme l’annonçait à Ici Beyrouth le député Marwan Hamadé, a fait le choix de principe en désignant M. Salam.


Le député Ghassan Skaff, candidat malheureux à la vice-présidence de la Chambre face à Élias Bou Saab du bloc du Courant patriotique libre, a également donné son vote au rival de Najib Mikati.
L’abstention du CPL et des FL

Les consultations ont été surtout marquées par un fort taux d’abstention, trente-six députés n’ayant désigné aucun candidat au poste de Premier ministre. En plus des députés indépendants susmentionnés, auxquels il faut ajouter Michel Daher, Charbel Massaad et Nehmat Frem, l’abstention a été le choix des Forces libanaises et du Courant patriotique libre, les deux principaux blocs parlementaires chrétiens. La démarche du CPL est officiellement motivée par « l’incertitude qui entoure la phase à venir, c’est-à-dire l’après-désignation », en l’occurrence la formation du cabinet, selon les termes du membre du groupe aouniste, Élias Bou Saab, avec qui se sont ouvertes les consultations en sa qualité de vice-président de la Chambre.

Najib Mikati s’entretenant avec Fouad Siniora.  ©Dalati et Nohra

Le député Gebran Bassil, chef du CPL, a ensuite déclaré au nom de son bloc « ne pas être avec la désignation de Najib Mikati à cause de la difficulté de former un gouvernement en si peu de temps et d’accomplir les réformes fondamentales pour la prochaine phase ». Et d’ajouter : « Nous attendons du Premier ministre à créer une atmosphère favorable à l’élection d’un nouveau président de la République. » Pour rappel, le CPL, par la voix du président Michel Aoun, avait souhaité la formation d’un cabinet « politique », où sa représentation serait consolidée.

Il reste que Najib Mikati a bénéficié, du côté chrétien, de l’appui du groupe des Marada (quatre députés), du Tachnag (trois députés), de Jamil Abboud (allié de Nehmat Frem) et de Jean Talouzian.
Combler le vide par le cabinet actuel

Dans une interview à la LBC, le Premier ministre désigné a fait valoir que « même si un nouveau cabinet n’est pas formé, le cabinet actuel (d’expédition des affaires courantes qu’il préside, ndlr) a tout ce qu’il faut pour combler le vide ».

Après l’annonce des résultats des consultations par le secrétaire du palais présidentiel, à l’issue d’une rencontre entre le chef de l’État, Michel Aoun et le président de la Chambre, Najib Mikati s’est rendu à Baabda en fin d’après-midi. Il s’est exprimé à l’issue de sa rencontre avec le président de la République, Michel Aoun, en mettant l’accent sur « la coopération » pour contrer l’effondrement du pays. Il a remercié aussi bien ceux qui l’ont nommé que ceux qui ne l’ont pas nommé, et dit « tendre la main à tous sans exception avec une volonté patriotique sincère ». Il a souligné que sa « responsabilité est double » dans un pays en crise.

« Un accord avec le FMI est le passage principal du sauvetage du pays », a affirmé M. Mikati, en précisant que l’accord-cadre, qu’il a cité au titre des réalisations de son précédent cabinet, se prête à des amendements. Il s’est exprimé en faveur du « partenariat national » et appelé à « surmonter les divisions ».

« Les chances sont toujours là pour sauver ce que nous pouvons sauver. L’important est de mettre nos divergences de côté », la seule alternative qui se présente étant « l’effondrement total ou le sauvetage graduel », a encore déclaré M. Mikati.

« J’appelle toutes les parties politiques à un instant de coopération historique » pour parachever le sauvetage (…). Et que tous nous retrouvent sur ce chantier », a-t-il conclu, avant d’effectuer la tournée traditionnelle auprès des anciens chefs du gouvernement, en rencontrant Fouad Siniora et Tammam Salam.

De son côté, Nawaf Salam a remercié dans un communiqué ceux qui lui ont donné leur appui et a promis de « continuer de travailler aux côtés de ceux qui sont engagés pour la cause du changement ».
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