Le Liban est devenu malheureusement un des pires pays pour l’investissement. C’est comme si on l’avait cherché, intentionnellement. Ça ne peut être expliqué autrement. Déjà notre «risque pays» était souvent problématique. Mais maintenant, à mesure que la crise nous engloutit, la moindre tentative de lancer un business quelconque est devenue un parcours du combattant. Des entraves que vous connaissez sûrement, mais mises bout à bout, elles donnent le vertige.
Supposons que vous ayez un bon projet qui, au moins sur le papier, présente un bon retour sur investissement. Super. Mais d’abord, il faut être sûr que vous avez tout le capital nécessaire. Car c’est probablement le seul pays au monde où le crédit bancaire n’existe pas. Pas même un découvert sur le compte courant. Ou une carte de crédit basique. Et ce n’est même pas une décision bancaire. Ce sont les réglementations en vigueur qui rendent le crédit impossible. Même les transferts de et vers le Liban deviennent fastidieux, vu la réputation du pays.
Étape suivante, déclencher les procédures administratives pour concrétiser projet. Pour chaque étape, il faudrait savoir si l’administration concernée est ouverte, entièrement, partiellement ou pas du tout, potentiellement les mercredis entre 10h et 10h30; puis savoir quel pot-de-vin vous devez refiler à qui, car les codes de corruption ont été chamboulés ces dernières années; puis dénicher la clé pour accéder au ministre si vous avez besoin de sa signature pour un permis (et évaluer son juste prix ou celui de son «conseiller»); puis entamer le laborieux chemin de croix pour trouver des timbres fiscaux.
Une fois tous ces désagréments de lancement finalisés, commencent alors les vraies difficultés: votre conteneur importé traîne au port, au risque de voir pourrir votre marchandise, car les inspecteurs n’ont pas pointé; la CNSS qui vous harcèle pour casquer les cotisations, à fond perdu, car elle ne couvre plus rien, et vous devez doubler la mise auprès d’un assureur privé.
Puis la galère pour immatriculer un véhicule, enregistrer le local que vous venez d’acquérir ou obtenir un permis de construire, puis se conformer à une quantité hallucinante de règles émises juste pour vous soutirer encore plus d’argent et de temps.
Tout cela est connu. Et alors?
Cela dit, contrairement à toute logique, cette chronique ne vous donnera jamais une recommandation cliché du genre «que faites-vous encore là? Vous lancez des projets?! Sérieux? Allez vite investir ailleurs!». Ce n’est pas notre genre.
Car, malgré tout, on a déniché par une étude empirique des sous-secteurs qui peuvent être rentables s’ils sont bien choisis et gérés. En voici un aperçu.
– Des restaurants et autres projets affiliés, surtout si, à terme, votre formule peut être franchisable, donc exportable. Mais un projet de restaurant doit viser un retour sur investissement en trois ans, pas plus; sinon le risque augmente.
– Les hôtels ne sont pas recommandés: trop de frais fixes et un marché avec des sautes d’humeur. En revanche, les appartements meublés avec services à la carte sont moins risqués.
– Production agricole de fruits exotiques, d’herbes aromatiques et d’autres produits de niche. Nos avocats, par exemple, trouvent un marché prometteur à l’étranger. (Les avocats juristes aussi, pour le coup).
– Toute production industrielle en remplacement des importations, même si la plus-value locale est partielle ou minime. Le Glenbey libano-écossais a trouvé une place de choix parmi les whiskies. Et même le nouveau café instantané Najjar, qui n’est pas torréfié au Liban, a déjà une bonne part de marché.
– Des produits et services d’économie d’énergie. Les ministres concernés pavoisent en disant que l’énergie solaire installée a maintenant une capacité équivalente à 30% de la capacité énergétique totale. Sauf qu’ils n’y sont pour rien, car ce sont des initiatives individuelles. Après l’euphorie de 2021-2022, le marché du solaire s’est un peu calmé. Il risque toutefois de reprendre, du moins dans les régions qui jouissent de 10 heures d’électricité étatique, car un appoint solaire permettrait de se passer du diktat des générateurs.
– La tech est toujours en vogue, car elle est facilement exportable, pas besoin de conteneur pour vendre un logiciel ou une app n’importe où dans le monde. La sous-traitance dans ce domaine est un marché pratiquement illimité.
– L’investissement immobilier est à la traîne. Même Airbnb n’arrive pas à remplir à plein temps son parc local, vu l’instabilité de la situation sécuritaire. Une niche pourrait être cependant intéressante, c’est le marché de location de bureaux de petite surface, adéquats pour les startups, petites entreprises ou professions libérales (médecins, avocats, comptables, architectes…).
– La fourniture de produits et services aux organismes internationaux est toujours un marché lucratif. Il est vrai qu’ils sont tatillons comme pas possible, mais ils ont du cash, beaucoup: entre 1,5 et 2 milliards de dollars sont déversés tous les ans par les organismes de l’ONU, d’autres agences étatiques, en plus des ONG étrangères privées. Et les fournisseurs de ces organismes sont de tout genre: producteurs, commerçants, banques, assurances, formateurs, location de voiture, agents immobiliers, bureaux d’études et de stats…
Bref, il y aura toujours ceux qui vous bassinent que «ce pays est foutu, il n’y a plus rien à en tirer», et ceux qui agissent selon cette fameuse résilience qu’on nous colle à la peau. L’Histoire donne souvent raison aux seconds.
nicolas.sbeih@icibeyrouth.com
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