Depuis sa création en 1995, l'OMC a su rassembler plus de 90% des pays. Pourtant, elle est parfois critiquée sur certains aspects. Il s’agit ici d’analyser la fonction de cette organisation commerciale, pour voir si le Liban a intérêt à la rejoindre en ce moment précis.
L’Organisation mondiale du commerce (OMC) a succédé au GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), conclu en 1947 dans le but de libéraliser le commerce et de réduire les obstacles tarifaires. Mais le GATT régissait uniquement le commerce des marchandises. Or l’OMC et ses accords englobent également le commerce des services et la propriété intellectuelle. L’OMC reste guidée par des principes fondamentaux qui sont l’ouverture des frontières, la non-discrimination entre les États membres et la transparence dans les échanges.
L’OMC n’a pas de pouvoir coercitif. Aucun pays ne peut être contraint d’accepter des règles auxquelles il n’aurait pas souscrit. Mais si ces règles, ou d’autres, ont été acceptées, elles doivent être respectées. Sinon l’OMC peut autoriser d’autres pays à les sanctionner.
Contrairement à ce que certains croient, l’OMC ne prêche pas un laissez-faire anarchique: un pays membre n’est pas obligé d’ouvrir totalement ses portes à toutes les marchandises étrangères venant de tout pays, et sans droit de douane. Cependant, les pays membres de l’OMC s’engagent à réduire progressivement les droits de douane et autres obstacles commerciaux dans le cadre de négociations commerciales.
En dehors de l’histoire des douanes, le pays candidat doit accepter certaines normes qualitatives, sanitaires ou de sécurité, et protéger les droits de propriété intellectuelle. Puis, l’OMC interdit les subventions qui ont pour but de doper les exportations, comme elle interdit un traitement préférentiel des produits et services nationaux, au détriment des importés.
Pourtant, certaines subventions sont tolérées, comme les subventions à la production, mais elles peuvent être contestées soit par le biais du mécanisme de règlements de différends, soit par le biais de mesures compensatoires.
En bref, pour qu’un pays rejoigne l’OMC, il faut qu’il adopte une «économie de marché» et un processus vers le libre-échange. Est-ce souhaitable vraiment?
Les vertus du libre-échange
Cela fait des siècles que les économistes préconisent le libre-échange. Selon l’économiste britannique du XIXe siècle David Ricardo, chaque individu ou pays a intérêt à se spécialiser dans un petit nombre de domaines. Cela augmenterait sa productivité, et il pourrait acheter les biens et services qu’il ne produit pas, à moindre coût.
On reproche souvent au libre-échange d’étouffer la production locale avec une concurrence accrue venant de l’étranger. Mais si les consommateurs préfèrent acheter des biens importés, cela veut dire que les biens locaux ne sont pas adaptés à leurs besoins. Soit ils sont trop chers, soit ils sont de qualité inférieure. Dans les deux cas, les subventions aux entreprises locales restent une mauvaise idée car elles consistent à financer des entreprises inefficaces, et donc à gaspiller des ressources.
Le succès nord-américain
En 1992, les États-Unis ont signé un accord de libre-échange avec le Canada et le Mexique. Par conséquent, les échanges de marchandises entre les trois pays se sont fortement accrus. Cela a augmenté la production des trois pays, dont le PIB cumulé est passé de 7.600 milliards de dollars à 17.000 milliards en vingt ans. Les investissements croisés entre les trois pays ont augmenté, bénéficiant notamment au Mexique.
Étude de cas: la Jordanie
La Jordanie a rejoint l’OMC en 2000, ce qui a joué un rôle pivotal dans son économie. Depuis, la croissance a presque doublé, atteignant près de 6% par an. La dette publique en pourcentage du PIB a été divisée presque par trois. Le FMI souligne que cette évolution a eu lieu avec l’ouverture au commerce et la montée en flèche des investissements directs étrangers, qui ont atteint un pic de 3,5 milliards de dollars 2006.
Le revers de la médaille
Cependant, de tels résultats n’ont pas convaincu tout le monde. Martin Khor, un économiste malais et ancien directeur général du South Centre basé à Genève, soutenait que l’OMC était biaisée en faveur des pays les plus riches et des grandes firmes. Khor critiquait également la défense des droits de propriété intellectuelle, en arguant qu’ils empêchaient les pays émergents d’utiliser les nouvelles technologies. Un autre économiste, l’indien Jagdish Bhagwati, pourtant fervent défenseur du libre-échange, rejoint la même position, en arguant que ‘’la propriété intellectuelle n’avait pas sa place à l’OMC, car sa protection se résumait simplement à la collecte de redevances’’.
Quid du Liban?
Cela fait plus de 25 ans que le Liban négocie avec intermittence sa possible adhésion à l’OMC, en vain, car au moins une partie des décideurs voulait garder la main libre pour "protéger l’industrie locale" quand bon leur semble, ce qui est bien sûr incompatible avec les règles de l’OMC.
Entretemps, on sait que le Liban a déjà des accords de libre-échange avec l'Union européenne et certains pays arabes. Lorsqu’un pays adhère à l’OMC, ses accords commerciaux existants sont généralement pris en compte dans le cadre de son adhésion. Le Liban pourrait donc continuer à appliquer ses accords, tout en étant tenu de négocier et de conclure de nouveaux accords conformes aux règles de l'OMC avec d'autres pays membres.
En cette période de crise, le Liban pourrait-il bénéficier de l’adhésion à l’OMC? L’économiste Patrick Mardini est affirmatif. "Je crois que le Liban devrait rejoindre l’OMC non seulement en ce moment précis, mais aussi en général. Cela lui permettrait de bénéficier de biens moins chers et aiderait les entreprises locales à exporter davantage."
Selon M. Mardini, les politiques protectionnistes adoptées en ce moment par le gouvernement sont contreproductives. "Ces politiques protègent les entreprises inefficaces en pénalisant les entreprises efficientes en mesure d’exporter et en poussant les prix vers la hausse."
Quant à l’argument de ceux qui voient dans les taxes douanières une façon d’équilibrer les finances de l’État, d’autres économistes proposent des formes de taxation plus justes et plus efficaces, permettant au moins de percevoir les taxes sur le revenu de façon équitable, alors qu’une grande tranche de la population ne paie pas ses impôts.
mario.chartouni@icibeyrouth.com
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