Le Liban et les Libanais sont-ils maudits?

La tragédie de la double explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, a laissé la ville et ses habitants profondément traumatisés, ravivant les douleurs des conflits passés. Tandis que le pays tente de se reconstruire, les Libanais se retrouvent, avec la guerre de Gaza et d'Israël, face à la menace d’une nouvelle spirale de violence, avec toutes les conséquences que celle-ci suppose. Les concepts freudiens tels que le «retour du refoulé» offrent une perspective éclairante sur la manière dont les traumatismes anciens et actuels interagissent dans la psyché  des Libanais.
Dans un contexte tendu où les affrontements et les échanges d’hostilités entre Israël et le Hezbollah, soutenu par l’Iran et autres groupuscules armés, sont quotidiens, le spectre d’un conflit majeur plane lourdement sur la région. Les puissances mondiales intensifient leurs préparatifs militaires, alimentant la crainte d’une troisième guerre mondiale. Cette appréhension est particulièrement palpable dès lors qu’on envisage le rôle potentiel du Liban pris dans cet engrenage, s’il est sciemment mené à l’abattoir par le Hezbollah.
Les Libanais, déjà profondément marqués par la catastrophe du 4 août 2020, se trouvent à nouveau sur la ligne de front, pris entre les feux croisés de puissances régionales et internationales. La perspective de voir leur nation ravagée et de devoir entreprendre, une fois de plus, la lourde tâche de reconstruction est source d’une anxiété immense.
Retour sur la double explosion du 4 août 2020
Le 4 août 2020, Beyrouth a été secouée par une double explosion sans précédent qui a laissé un sillage de destruction dans la capitale libanaise. Outre les pertes matérielles, la tragédie a fait au moins 220 morts, 7.000 blessés et a déplacé environ 300.000 personnes. Plus de trois ans après, le traumatisme reste vivace dans la mémoire collective. Alors que la ville et sa population tentent de se relever, la menace d’une nouvelle spirale de violence réveille les peurs les plus profondes.
La double explosion du port de Beyrouth n’a pas seulement détruit des bâtiments. Elle a laissé des cicatrices indélébiles sur des milliers de personnes. Les répercussions psychologiques sont massives: des milliers de Libanais vivent toujours avec des souvenirs douloureux et un sentiment d’insécurité constant. De nombreux citoyens souffrent de stress post-traumatique, une condition qui peut être déclenchée par des événements ultérieurs rappelant le traumatisme initial.
Ce n’est malheureusement pas la première fois que le peuple libanais est confronté à de tels traumatismes. La guerre civile qui a ravagé le pays pendant 15 ans, suivie de la guerre de 2006, a laissé de nombreuses victimes directes et indirectes. Ces conflits antérieurs ont laissé une génération entière traumatisée, et les événements récents risquent de réveiller des douleurs latentes.
Le spectre d’une nouvelle spirale de violence
La situation politique et économique actuelle du Liban, conjuguée à la tension régionale, alimente les inquiétudes d’une reprise de la violence. Les manifestations de soutien à Gaza qui se déroulent au Liban ces derniers jours prennent un tour violent, avec des attaques contre des biens privés et des citoyens non impliqués. Le désespoir et la colère sont palpables dans les rues de Beyrouth où de nombreux habitants se sentent pris en otages par des décisions qui les dépassent. Les Libanais se trouvent confrontés à un choix difficile. D’une part, ils aspirent à la paix, à la stabilité et à la reconstruction. De l’autre, ils craignent (à raison) que l’histoire se répète.

Les Libanais, des Sisyphe malgré eux…
Cette situation rappelle le mythe grec de Sisyphe, condamné à pousser éternellement un rocher au sommet d’une montagne, seulement pour le voir rouler vers le bas dès qu’il atteignait le sommet, le forçant à recommencer son labeur sans fin. De la même manière, les Libanais semblent être pris dans une boucle tragique de destruction et de reconstruction, une tâche apparemment sans fin à laquelle ils doivent faire face à chaque nouvelle crise.
Comme Sisyphe, les Libanais sont confrontés en permanence à des défis qui semblent insurmontables. Même s’ils sont dotés d’une résilience et d’une volonté de survivre, la question persistante est de savoir jusqu’à quand ils devront porter ce fardeau avant de trouver un répit durable.
Du côté de la psychanalyse
Sigmund Freud, le père de la psychanalyse, a développé de nombreux concepts qui ont profondément influencé notre compréhension de la psyché humaine. Parmi ces concepts, le «retour du refoulé» est particulièrement saillant. Pour comprendre ce concept, il est crucial d’explorer d’abord l’idée de «refoulement» qui est au cœur de la théorie freudienne. Qu’est-ce que le refoulement? C’est un mécanisme de défense par lequel des pensées, souvenirs ou désirs inconscients, jugés inacceptables ou menaçants pour le moi conscient, sont repoussés ou maintenus hors de la conscience. Ces éléments refoulés ne disparaissent pas, mais continuent d’exister dans l’inconscient.
Bien que ces éléments soient repoussés dans l’inconscient, ils ne restent pas silencieux. Ils cherchent à revenir dans la conscience, mais le moi continue de les repousser. Cette tension entre le désir des éléments refoulés de revenir à la surface et les efforts du moi pour les maintenir à distance est au cœur du «retour du refoulé ». Ces éléments refoulés peuvent réapparaître dans la conscience de manière déguisée, souvent sous une forme méconnaissable.
Il peut s’agir d’un lapsus: une erreur de parole qui peut révéler un désir ou une pensée refoulée. Si quelqu’un dit accidentellement «j’espère» au lieu de «je vous aime», cela pourrait indiquer un sentiment refoulé envers la personne à qui il s’adresse. Les actes manqués aussi, qui sont des actions qui semblent accidentelles, mais qui peuvent révéler des désirs inconscients. Les rêves que Freud décrit comme la «voie royale vers l’inconscient» sont autant d’images vives qui en disent long. Il y a également les symptômes névrotiques, ces comportements ou sensations qui semblent inexplicables, mais qui peuvent être le résultat de conflits inconscients.
Les Libanais sont-ils condamnés au désespoir?
Face à la dure réalité qui prévaut, les Libanais se trouvent dans une situation où l’espoir et les aspirations semblent éternellement réprimés, ne faisant que ressurgir sous d’autres formes, tout comme le retour du refoulé dans la théorie freudienne. Cette dualité entre un effort continu sans fin et la persistance d’espoirs enfouis façonne la psyché des Libanais. Que reste-t-il alors aux Libanais à espérer ou à rêver dans un tel contexte? Entre les échos d’un rocher toujours en mouvement et les souvenirs traumatisants qui refont surface, l’avenir du Liban flotte dans une mer d’incertitude. Les interrogations subsistent, et bien que le désir de réponses soit impérieux, l’horizon demeure, pour l’instant, aussi insaisissable qu’angoissant.
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