17 octobre : l’arme économique contre la révolution
Submergés par la guerre de Gaza, on a oublié notre propre révolution, née il y a quatre ans. L’occasion de revenir sur un aspect peu scruté, l’arme économique.
Il y a plusieurs façons pour mater une révolution. Elles ont été testées et agréées à travers l’Histoire. Et il doit certainement y avoir quelque part un guide utilisateur du ‘parfait briseur de révolutions’ pour les débutants, ou un ‘Revolution Breaker Guide for Dummies’.
Sans vouloir raconter l’histoire du monde, on note que, en gros, il y en a trois catégories d’antidotes aux révolutions. D’abord la violence physique primaire (emprisonnements, tabassage, assassinats…) comme récemment en Iran; puis la ‘diversion’, en créant des évènements qui détournent l’attention des ‘révolutionnaires’; et enfin l’arme économique qui vise l’appauvrissement des militants.
Au Liban, on a eu recours aux trois méthodes, selon le cas. En 2005, après le soulèvement du 14 mars, on a usé et abusé des deux premières. On a multiplié les assassinats politiques, puis lancé une guerre (2006), puis occupé le centre-ville, puis envahi Beyrouth-Ouest, puis catapulté un accessoire d’occasion à la tête de l’État. Du coup, grâce à la violence et aux diversions, la ‘révolution du cèdre’ s’est effilochée, même si son esprit jaillit régulièrement chez une poignée d’irréductibles.
La révolution du 17 octobre 2019 connut un autre sort. La troisième des méthodes fut privilégiée: l’appauvrissement de la population. Je ne dirais pas que les évènements qui se sont succédé depuis suivent un complot préconçu bien ficelé – ce serait conférer aux gens du pouvoir un QI au-delà de leur capacité.
Je dirais plutôt que chaque décision a été prise au fur et à mesure, débouchant dans le même sens. Et ce sens n’est autre que dessaisir les gens de leurs moyens de subsistance. En considérant que les démunis ne pensent plus tellement aux idéaux qui les avaient motivés, et ne cherchent qu’à assurer une vie décente à leur famille. Une suite d’occurrences montre cette sinistre démarche.
- D’abord on laisse la LL filer vers l’abîme, doucement mais inexorablement. Pouvait-on faire autrement? Bien sûr. Les données disponibles montraient que la BDL avait assez de réserves en dollars pour racheter les LL en circulation, si leurs détenteurs voulaient les changer en dollars. Mais les politiques avaient d’autres visées pour ces réserves.

- À propos, ces gens du pouvoir c’était qui? Un conglomérat de hezbollahis, d’alliés, et de satellites. Et un gouvernement taillé sur mesure, à partir de janvier 2020, avec à sa tête un simple médiocre sans envergure. En réalité, il l’a été au-delà de ce qu’on attendait de lui – on n’en demandait pas tant – si bien qu’on a dû le congédier huit mois plus tard avec toute son équipe de même acabit. Il n’y en avait pas un pour sauver l’autre.
- Concurremment à la chute de la livre, on a tout fait pour rendre impossible l’accès des gens à leurs dépôts bancaires. Une loi de contrôle de capitaux et une autre pour les remboursements des crédits, si elles avaient été instaurées dès les premiers jours de la crise, auraient permis de fournir aux déposants un montant mensuel suffisant pour vivre décemment en cas d’absence d’autres revenus. Les liquidités étaient suffisantes dans le système bancaire à l’automne 2019.
- Puis, tant qu’on y est, autant déposséder la banque centrale de sa liquidité par des subventions mafieuses dont le ministre de l’Économie de l’époque, encore un médiocre, était très fier. Et autant d’argent qui part en fumée au lieu de soutenir les ménages. Des ménages qui étaient tout contents lorsqu’ils trouvaient une boîte de Nido au supermarché, ou lorsqu’ils arrivaient à acheter 20 litres d’essence après une nuit d’attente. Ça nous rappelait les queues interminables des moscovites de l’URSS devant les échoppes pour une plaquette de beurre; c’était la façon éculée pour détourner l’esprit de la population.
- Entretemps, le défaut de paiement sur la dette extérieure a privé le pays de tout apport en devises, ce qui, par ricochet, a pris tous les acteurs économiques à la gorge pour des années à venir.
- Le Covid est venu alors à point nommé pour parfaire la besogne. Alors que les autres pays gardaient l’œil malgré le confinement sur les piliers de la production, le gouvernement dudit Diab en a profité pour tuer ce qui reste de l’économie… et pour empocher les dividendes des millions de tests PCR.
Des épisodes, et d’autres, qui ont cassé la révolution et laissé les gens perplexes sur son utilité. C’est compréhensible. Ceci dit, on ne juge pas une révolution sur un critère de réussite ou d’échec. On la mesure sur la question essentielle: était-elle juste ou non?
nicolas.sbeih@icibeyrouth.com
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