Devant Mikati, Raï se focalise sur l'enjeu de souveraineté
©Source: Dalati Nohra
Si le patriarche s’est montré à l’écoute de l’une et l’autre des deux parties chrétienne et sunnite, il s’est en revanche positionné au-delà du caractère communautaire, de défense de droits des chrétiens, qu’a tenté d’accoler le camp aouniste à la querelle déclenchée par cette réunion. Le dignitaire maronite se serait en même temps abstenu de surévaluer le rôle du Premier ministre sortant, selon un observateur proche des cercles de Bkerké contacté par Ici Beyrouth.

L’entretien du Premier ministre sortant Najib Mikati lundi matin avec le patriarche maronite Béchara Raï à Bkerké s’inscrit en partie dans le prolongement de la visite qu’a rendue vendredi dernier au siège patriarcal le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, suivi par l’ancien président de la République Michel Aoun. Le Premier ministre sortant a ainsi communiqué sa version des faits sur le Conseil des ministres, qui s’était tenu lundi dernier, en dépit du boycottage des ministres relevant du CPL.

Si le patriarche s’est montré à l’écoute de l’une et l’autre des deux parties chrétienne et sunnite, il s’est en revanche positionné au-delà du caractère communautaire, de défense de droits des chrétiens, qu’a tenté d’accoler le camp aouniste à la querelle déclenchée par cette réunion. Le dignitaire maronite se serait en même temps abstenu de surévaluer le rôle du Premier ministre sortant, aussi bien dans la gestion de la vacance présidentielle, que dans le déblocage possible de la présidentielle après sa visite en Arabie saoudite en fin de semaine dernière, selon un observateur proche des cercles de Bkerké, contacté par Ici Beyrouth.

Cet observateur s’emploie à apprécier (en les limitant) à leur juste valeur les échanges entre le Premier ministre sortant avec le prince héritier saoudien Mohammad Ben Salman, en marge du sommet sino-arabe, d’une part, et avec le patriarche maronite de l’autre.

«Ce que le prince héritier saoudien a transmis au Premier ministre sortant se résume à la teneur du communiqué conjoint saoudo-franco-américain du 23 septembre dernier, portant un soutien diplomatique à Taëf, à la Constitution libanaise et aux résolutions internationales» pour faire face à la crise libanaise, explique-t-il, en y ajoutant «une prise de distance souhaitée du Liban par rapport à la guerre des axes».


Et l’essentiel de ce que le patriarche a en outre exprimé à son visiteur incite à un dépassement de la simple querelle liée à la tenue du Conseil des ministres. Certes, le patriarche aurait préconisé une concertation avec l’ensemble des composantes du gouvernement préalablement à la tenue d’un Conseil des ministres dont la constitutionnalité est contestée (à juste titre ou non) par le CPL. Le Premier ministre sortant a retenu cette réserve et annoncé, lors d’un point de presse à Bkerké, la tenue prochaine d’une réunion de concertations ministérielle – sachant que cette option avait été évoquée par le Grand Sérail dès la tenue du Conseil des ministres.

Le CPL devrait y prendre part «en principe», selon un cadre de la formation aouniste contacté par Ici Beyrouth.

Mais le patriarche ne perd pas de vue l’enjeu stratégique national pour le pays, par-delà «les détails politiciens»,  d’internationaliser la cause libanaise, sans perdre de vue qui détient de facto le pouvoir de décision, à savoir le Hezbollah, selon l’observateur précité. «Ne prenez pas le risque de jouer avec des questions susceptibles de revêtir une portée stratégique, même si au final, nous savons que la décision ne relève pas entièrement de vous», aurait fait valoir le patriarche à son interlocuteur en substance, selon ce proche du siège patriarcal.

Le nœud réside, rappelle l’observateur précité, dans le fait que l’internationalisation préconisée par Bkerké veut dire «l’application de la Constitution», contrairement à «l’amendement du texte» que défend le Hezbollah. Elle veut dire aussi «une application des résolutions internationales» que la formation armée pro-iranienne entend abolir, et se veut enfin l’écho d’une dynamique interne souveraine, que le Hezbollah tente de neutraliser pour aboutir à «un changement de l’équilibre des forces internes», ajoute-t-il.

Il rappelle que «le Hezbollah avait compté sur la France pour parrainer un nouveau contrat social», mais que ce pari «s’est achevé» lorsque l’Iran a décidé de soutenir militairement la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine. Autrement dit, le Liban aurait l’opportunité, à laquelle Bkerké serait particulièrement sensible, d’honorer la présidentielle dans le respect de la légalité constitutionnelle et internationale. «L’enjeu n’est pas d’élire un président en soi, mais de construire la République en accompagnant en profondeur les transformations géopolitiques dans le monde, de l’Ukraine jusqu’au Liban: le pays du Cèdre a l’opportunité de regagner une place à l’échelle arabe et internationale», analyse Ziad el-Sayegh, directeur exécutif du groupe de pression Civic Influence Hub. C’est sur ce terrain que Bkerké, et peut-être aussi le Vatican, porteraient leur attention, par-delà les querelles de politique étroite, sciemment rythmées par le Hezbollah, pour avoir à l’usure les acteurs politiques, et candidats potentiels à la présidentielle.
Commentaires
  • Aucun commentaire