Chronique d'une faillite politique annoncée
Mardi matin, 1ᵉʳ novembre, le Liban s'est réveillé sans président. Michel Aoun avait quitté dimanche Baabda pour se rendre à son nouveau domicile, à Rabieh, accompagné d'un grand cortège de partisans et de sympathisants.

Ce qui est remarquable, c'est que tous les Libanais étaient contents. Ses partisans, pour toutes les réalisations qu'il n'a pas faites et parce qu'il continuera son travail de sape. La majorité, parce que sous le régime de Michel Aoun, le Liban est passé d'une des destinations au monde les plus convoitées à un enfer qui a connu l’une des pires crises économiques de l'histoire mondiale.

Dimanche soir, au moment où les derniers grains du sablier s'écoulaient, Achrafieh scintillait de feu d'artifices, les baklawas étaient offerts, et les posts de joie étaient partagés sur les réseaux sociaux avec moult commentaires, des pouces levés, des cœurs...

Tous se sont bien défoulés. Mais encore ! Une fois l'ivresse passée, c'est la gueule de bois qui prend place avec les mêmes migraines qu'auparavant. Sauf que désormais, il n'y a plus de compte à rebours pour rassurer, mais des jours qui vont s'ajouter au compteur, sans aucune échéance programmée.

Un simple constat s’impose: la faillite des discours politiques des partis qui se qualifient de souverainistes.

Après le 17 octobre, ces partis ont voulu surfer sur la vague de la contestation. Ils se sont très vite déclarés opposants à ce système auquel ils ont participé depuis 2005. Certains avaient même joué un rôle très important dans l'élection de Michel Aoun.

Le thème de la corruption étant à la mode, ils l'ont très vite adopté. Ils ont dénoncé tous les dossiers qui pouvaient exciter les foules. Celui de l'électricité qui a coûté au trésor plusieurs dizaines de milliards de dollars, celui des banques qui ont souscrit aux bons du trésor, la dévaluation sans précédent de la livre libanaise, le trafic de l'essence et des produits subventionnés vers la Syrie... Sans jamais effleurer la raison principale, qui est l'occupation iranienne du Liban. Ils ont voulu traiter les conséquences sans dénoncer la cause, considérant que les messages politiques seraient néfastes à la «thawra», qui n'avait soulevé que des demandes sociétales.

Sauf que la crise au Liban n'est ni économique, ni financière mais politique. Résultat: la thawra s'est éteinte et le Hezbollah a maintenu sa domination sur le pays.

Survient l'explosion du 4 août 2020 qui a détruit la moitié de Beyrouth, faisant plus de 230 morts et des milliers de victimes. Les députés des Kataeb et quelques indépendants présentent alors leur démission en guise de protestation contre le pouvoir en place qu'ils tiennent pour responsable des explosions meurtrières. Nadim Gemayel a pour sa part ajouté avoir démissionné parce que les institutions constitutionnelles sont improductives et sous le contrôle des armes du Hezbollah.

Même sous la pression populaire, les autres députés dits souverainistes ont refusé de démissionner, sous prétexte que s'opposer de l'intérieur est plus efficace que de le faire de l'extérieur. Le bilan de leurs accomplissements au sein du Parlement, pendant ce qu'il restait de leur mandat, a prouvé le contraire. Pour compenser leur maintien au Parlement, ils ont mené campagne pour exiger des élections législatives anticipées, considérant que le résultat de ce scrutin changera l'ordre politique.

Arrivent les législatives… Les députés démissionnaires et ceux qui avaient préféré s'opposer de l'intérieur se présentent à nouveau. Ils mettent en avant dans leur discours de campagne les problèmes sociétaux. Ils promettent l'électricité, la souveraineté, la baisse du dollar. Bref, la Lune, alors que personne n'a les moyens de se payer le carburant nécessaire pour arriver à l'aéroport.

Aux députés sortants viennent s’ajouter des nouveaux venus: les candidats issus de la thawra ou du changement. Leur discours est très simple: tous les hommes politiques sont des pourris et eux seuls sont honnêtes, et en changeant le système politique, c'est-à-dire la Constitution, les problèmes seront réglés. C'est le système confessionnel qui, à leur avis, serait à l'origine de la crise.


Le lendemain des législatives, le Liban se réveille avec un Parlement fragmenté. Tous crient victoire, mais c'est le Liban qui a perdu. Les partis dits de l'opposition ayant refusé de faire élire un député chiite hors du tandem Amal/Hezbollah, Nabih Berry est maintenu à la tête du Parlement. Les députés fraîchement élus nomment Najib Mikati pour former un gouvernement qui ne verra pas le jour.

Tous ceux qui annonçaient le changement en cas de victoire de leur camp l'ont reporté à la présidentielle. En résumé, c'est le nouveau président qui sera élu par ces députés qui ont voté pour deux des suspects dans l'explosion du port à la commission du budget et des finances et à celle de l'administration et de la justice avec plus de 85 voix, qui va entreprendre toutes les réformes nécessaires pour sortir le Liban de la crise !

Plusieurs candidats se présentent pour avoir leur quart d'heure de gloire. Ils adoptent un discours essentiellement réformiste et souverainiste pour certains, sans qu'aucun n'ose prendre le taureau par les cornes en disant que l'origine de la crise est politique, et que seule une libération de l'occupation iranienne pourra la résoudre.

Dimanche 30 octobre, Michel Aoun a quitté Baabda. L'opposition, même celle qui le voulait, n'a rien pu faire, et n'a pas su reconnaître la faillite des discours politiques adoptés.

Il est temps de nommer les choses par leur nom. Et comme disait Camus : «Mal nommer les choses c'est ajouter au malheur du monde». Or depuis des années notre malheur n'a cessé d'augmenter parce que nombreux sont ceux qui, par peur ou par lâcheté, ont refusé de bien nommer les choses.

Il est temps de cesser de mentir aux gens en leur vendant des slogans populistes, des hashtags, et de faux espoirs. Le Liban est sous occupation iranienne. Et tous nos efforts doivent se concentrer uniquement sur sa libération. Cette libération ne pourra se réaliser qu'en exigeant l'application des résolutions des Nations-Unies qui se basent sur la Constitution et l'accord de Taëf. Une fois le pays libéré, il sera possible de rétablir cette justice qui condamnera les corrompus et tous les responsables impliqués dans l'explosion du port et tous les assassinats, dont celui de Lokman Slim.

Seule une union nationale de souverainistes originaux et de souverainistes «made in Taiwan» (ie ceux qui se sont repentis de toute collaboration avec le Hezbollah et ses alliés, ou qui ont participé à l'élection de Michel Aoun, et qui se seront excusés de leurs erreurs) pourrait sortir le pays de la crise. Cette résistance agira à l'intérieur du pays, mais hors des institutions de l'État, et à l'étranger en faisant de lobbying.

Le 13 mai 1940, alors que la Grande Bretagne se battait seule contre le Troisième Reich, Winston Churchill déclare devant le Parlement britannique: "Je n'ai rien à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. Nous avons devant nous une épreuve de première grandeur. Nous avons devant nous, de très longs mois de lutte et de souffrance. Vous me demandez quelle est notre politique ? Je vous réponds : faire la guerre, sur mer, sur terre et dans les airs, avec toute notre puissance et toute la force que Dieu peut nous donner ; faire la guerre contre une tyrannie monstrueuse, qui n'a jamais eu d'égale dans le sombre et lamentable catalogue des crimes humains. Voilà notre politique. Vous me demandez quel est notre but. Je vous réponds en deux mots : la victoire, la victoire à tout prix, la victoire malgré toutes les terreurs, la victoire quelque longue et dure que puisse être la route : car, hors la victoire, il n'est point de survie."

Plus de 80 ans plus tard, ce message de Churchill, qui est sorti victorieux après avoir gagné l'adhésion des États-Unis et d'autres pays à sa cause, résonne fort en nous. Sauf que notre guerre se fera pacifiquement.

Aujourd'hui, nous ne sommes plus seuls, le peuple ukrainien se bat pour les mêmes causes que nous. Si la Russie ne reconnaît pas l'Ukraine, le Hezbollah ne reconnaît pas le Liban (pour ceux qui ne sont pas convaincus, sur le drapeau du Hezbollah est écrit : "la résistance islamique au Liban", et non pas la résistance islamique libanaise). En Iran, les Iraniennes et les Iraniens protestent contre ce même régime dont la milice a entreposé le nitrate au port.

Pour que l'après Michel Aoun ne soit pas comme l'ère de Michel Aoun, il ne faut plus répéter les mêmes erreurs et en attendre des résultats différents, mais réclamer la fin de l'occupation iranienne.
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