Rand Ghayad: La Gap Law consacre l’injustice envers les déposants !
©Rand Ghayad (photo tirée de son compte X)

L’expert économique Rand Ghayad a noté des observations concernant le projet de loi sur la Gap Law. Ici Beyrouth les partage avec vous. 

"Quelques observations sur la loi relative à l’écart financier actuellement transmise au Parlement. Le danger fondamental de ce projet ne réside pas dans son caractère inachevé, mais dans sa mauvaise conception. S’il est adopté dans sa forme actuelle, il est probable qu’il enferme le Liban dans une seconde crise financière, moins bruyante que la première mais bien plus corrosive, en remplaçant la reconnaissance transparente des pertes par leur report, et la solution équitable par une ingénierie financière.

1.⁠ ⁠Aucune restructuration crédible ne peut commencer sans un chiffre unique, clair et transparent des pertes.
Le projet de loi ne repose pas sur un chiffre annoncé et audité de manière indépendante des pertes à l’échelle de l’ensemble du système. Sans identification préalable des pertes et leur répartition claire entre les banques, la banque centrale et les déposants, la loi ne traite pas la crise mais se contente d’échelonner les paiements tout en différant la reconnaissance des pertes. Procéder aux audits et aux examens de la qualité des actifs après l’adoption des règles de répartition inverse la logique de toute gestion sérieuse des crises financières.

2.⁠ ⁠La discrimination entre les déposants se fait de manière arbitraire et non selon la hiérarchie juridique.
Le cadre proposé segmente les déposants selon la taille, le moment et le type d’instrument, et non selon un ordre juridique clair des droits. Les déposants moyens et importants d’avant 2019 sont orientés vers des trajectoires de remboursement substantiellement inférieures, sans principe cohérent garantissant l’égalité de traitement. Il ne s’agit pas d’un partage équitable des charges, mais d’une répartition sélective des pertes.

3.⁠ ⁠L’ignorance des redistributions intervenues après 2019 et des déséquilibres qui en ont résulté.
La loi ne traite pas de la vaste redistribution de la liquidité en dollars intervenue depuis 2019, y compris les comptes en « fresh dollars », les retraits sélectifs et les transferts de richesse durant la crise. Ignorer ces réalités consacre les inégalités au sein du mécanisme de résolution et confère une légitimité à des résultats issus de l’effondrement même que la loi est censée traiter.

4.⁠ ⁠La prétendue priorité accordée aux déposants contredit les mécanismes proposés.
Les déposants sont en pratique transformés en détenteurs d’instruments de long terme et illiquides, dont la valeur dépend de liquidités futures et de décisions politiques discrétionnaires. Une priorité qui ne se matérialise qu’au bout de dix ou vingt ans n’est pas une priorité, mais un allongement forcé des échéances imposé aux ménages.

5.⁠ ⁠Les instruments adossés à des actifs ou liés au Trésor reposent sur des hypothèses excessivement optimistes.
L’affirmation selon laquelle plus de 50 milliards de dollars d’actifs de la banque centrale pourraient être utilisés pour rembourser les déposants ne repose ni sur une évaluation transparente des actifs, ni sur une analyse de liquidité ou des tests de résistance. Il est probable qu’à l’émission de ces instruments, des ventes massives sur le marché secondaire aient lieu, entraînant un effondrement de leurs prix et créant des opportunités spéculatives permettant aux banques et à des acteurs informés de racheter les droits à des décotes importantes. Il s’agit d’un transfert de richesse, non d’un redressement.

6.⁠ ⁠La responsabilité est évoquée sans être traduite en mécanismes exécutoires.
Les audits et les revues sont nécessaires, mais restent vides de sens s’ils ne s’accompagnent pas de conséquences juridiques claires, de récupération des fonds et de mécanismes d’exécution mis en œuvre parallèlement à la restructuration, et non après. Un cadre qui répartit les pertes aujourd’hui et reporte la responsabilité à un horizon indéterminé ne peut restaurer ni la confiance ni la crédibilité.

7.⁠ ⁠Le temps n’est pas neutre, et le report constitue en soi un choix distributif.
Après six années de restrictions de fait sur les dépôts des citoyens, on ne peut demander aux déposants d’attendre une décennie supplémentaire ou plus pour accéder à leurs fonds via des instruments à valeur incertaine. Dans les crises financières, le temps récompense ceux qui détiennent la liquidité et l’influence, et pèse sur les ménages ordinaires. Cette loi confère un caractère institutionnel à ce déséquilibre.

Le redressement exige plus qu’un simple mouvement. Il requiert une reconnaissance transparente des pertes, une égalité de traitement entre les déposants et une véritable reddition des comptes, sans exception. En l’absence de ces éléments, la loi proposée risque d’ancrer la répression financière et de préparer le terrain à une nouvelle crise libanaise, au lieu de résoudre la crise actuelle."

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