Course entre la Gap Law et les armes du Hezb
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Ici Beyrouth partage avec vous l’article d’Imad Chidiac pour Nidaa el-Watan.

Le débat se poursuit autour du projet de la Gap Law, récemment fuitée dans les médias, et dont le Fonds monétaire international (FMI) ne serait pas satisfait. Selon les informations disponibles, le FMI aurait formulé une série de réserves sur certains de ses volets, approuvant certains aspects tout en en rejetant d’autres.

Alors que la distribution d’une copie du projet aux ministres est attendue pour déterminer s’il sera soumis au vote lors de la première séance gouvernementale après les fêtes, des recommandations circulent déjà dans les milieux diplomatiques et politiques. Selon celles-ci, l’intérêt du Liban serait de différer tout accord avec le FMI jusqu’au règlement de la question des armes du Hezbollah.

Dans cette perspective, un dénouement favorable sur ce dossier pourrait ouvrir la voie aux aides internationales, réduire les pressions sur les autorités et alléger les conditions imposées par le Fonds.

Certains observateurs jugent toutefois cette approche discutable. Ils estiment que le FMI craint de faire des concessions au gouvernement libanais, redoutant que des crises similaires à celles que connaît le Liban apparaissent dans d’autres pays en développement. Cette prudence est accentuée par une économie mondiale fragile, au bord d’une crise majeure, encore invisible mais susceptible d’éclater à tout moment.

Pour les milieux locaux, cette crainte est artificielle. La crise libanaise, systémique et profonde, ne ressemble pas aux crises classiques que traite le Fonds. Le ministre des Finances, Yassin Jaber, et le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Karim Souhaid, l’ont d’ailleurs reconnu ouvertement. Selon eux, le FMI sait que ce type de crise ne peut être abordé avec les outils habituels de résolution des crises bancaires.

À la lecture du texte du projet et des fuites, rien n’est encore définitivement arrêté. En début de semaine, certains signaux laissaient penser que l’adoption de la Gap Law était imminente, mais les divergences persistantes ont rapidement fait retomber cet optimisme.

L’expert en risques bancaires, Mohammed Fheili, explique à Ici Beyrouth que le débat autour de la Gap Law se déroule « sur un terrain mouvant ». Aucun document officiel du Fonds ne reprend textuellement les observations rapportées dans les fuites ; celles-ci proviennent principalement de rapports médiatiques sur des discussions techniques autour du projet préliminaire.

Pour M. Fheili, l’intérêt principal de ces fuites réside dans les véritables points de friction entre deux logiques opposées. Le premier concerne la définition du minimum garanti : doit-il être calculé sur la base du déposant unique à l’échelle de toutes les banques, en agrégeant ses comptes et parts dans les comptes joints, ou sur chaque compte dans chaque établissement, le plafond s’appliquant alors séparément ?

Le second point, le plus sensible, touche à la hiérarchie des droits. Selon cette règle, les pertes doivent d’abord être absorbées par les fonds propres et les actionnaires avant d’atteindre les créanciers, y compris les déposants. Toute formulation qui ferait supporter des pertes aux dépôts avant l’épuisement total des capitaux des actionnaires constituerait une violation de cette hiérarchie. Et il ne s’agit pas là d’un simple détail technique.

Ce raisonnement est toutefois contesté par certains milieux bancaires. Ils estiment que si ce critère doit être appliqué, il faudrait commencer par la BDL, réduire à zéro ses fonds propres et sa liquidité, puisque le déficit se situe au niveau de la banque centrale et non des banques commerciales. Des documents de travail du FMI abordent précisément la gestion des crises des banques centrales, mais le Fonds semble ne pas s’en inspirer.

Le troisième point met en lumière un autre aspect : le débat ne se limite plus à « qui paie », mais s’étend à « qui a bénéficié et comment le prouver ». Le FMI souhaite un texte explicite définissant le cadre d’un audit pour retracer les profits non conformes avant 2019, y compris ceux liés aux opérations de montages financiers.

M. Fheili conclut que les fuites révèlent enfin le «cœur du sujet»: la recapitalisation de la BDL. Le Fonds ne considère pas qu’il existe de garanties suffisantes pour recapitaliser la banque centrale ni pour assurer des revenus couvrant ses dépenses et préservant ses réserves, lui permettant d’exercer pleinement ses missions. Une banque centrale avec un capital structurellement négatif et des actifs détériorés devient ainsi « une partie du problème et non un instrument de solution ».

Toute politique monétaire, régulation bancaire ou gestion de liquidité restera assujettie au déficit existant dans le bilan de la BDL. C’est également pour cette raison que le débat récurrent sur la dette de l’État envers la banque centrale refait surface, notamment sur la question de savoir si l’État reconnaîtra cette dette et de quelle manière.

À la lumière de tout cela, la question qui se pose est la suivante : faut-il satisfaire le FMI, même si cela implique de léser la population, de frapper l’ensemble du secteur bancaire et de compromettre l’économie nationale pour de nombreuses années à venir ?

 

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