Le spectacle régional est truffé d’incertitudes et se prête mal aux pronostics. L’ambivalence règne de part en part, et les équivoques s’alignent sur un continuum où les impondérables de tous ordres ne cessent de proliférer. Les aléas externes ne font que relayer ceux de l’intérieur, au point de créer des effets de synergie. Ces bigarrures témoignent des apories intellectuelles d’une modernité en échec et des défaillances composites des États concernés.
Nous ne sommes manifestement pas dans l’ordre de l’événementiel, mais bien dans celui de crises systémiques qui finissent par engendrer et alimenter des conflits de manière continue. À cela s’ajoute l’architecture extravertie d’un système étatique en crise chronique de légitimité, faisant appel à un régime interventionniste et prédateur, se réclamant de tous les prétextes idéologiques et stratégiques en vigueur dans une région dont les cadres de référence sont profondément controversés et constituent des foyers permanents de conflictualité. Les événements en cours au Proche-Orient en offrent une illustration éloquente.
Les fragilités structurelles de l’État libanais rendent suffisamment compte de son incapacité à servir de cadre régulateur et d’instance d’arbitrage, tant pour les conflits internes qu’externes. Ces conflits remettent de manière récurrente en cause la paix civile et régionale, fragilisent l’État de droit et favorisent l’instrumentalisation de ses leviers au profit d’États prédateurs ou de politiques de domination aux ramifications multiples. Les problématiques liées à la crise financière, issue d’une dette odieuse et de ses dérives délictueuses, à la patrimonialisation des ressources publiques, ainsi qu’à l’affectation des administrations étatiques au service de politiques de domination sectaire dans leurs multiples déclinaisons, mettent en lumière le déficit de souveraineté et de légitimité de l’État.
Il s’agit d’un État dans l’incapacité de défendre ses prérogatives constitutionnelles, dont l’autonomie statutaire et morale est vidée de sa substance et instrumentalisée par des politiques factieuses poursuivant des objectifs de subversion ouvertement assumés. La colonisation de l’État par les factions chiites progresse sur les décombres d’un narratif national pulvérisé et largement rejeté, d’une stratégie de subversion qui instrumentalise l’hypothétique territoire national libanais comme plateforme opérationnelle sans autre forme de procès, et d’une infrastructure étatique réduite au rôle de supplétif au service de politiques de domination aux formes multiples. Quant à la crise financière, elle demeure, sept ans après son déclenchement, soumise à des instances d’arbitrage et de gouvernance échappant au principe de souveraineté, aux règles de l’État de droit et à ses mécanismes institutionnels. La servilité de l’État à l’égard des intérêts oligarchiques ne fait que consacrer ses dépendances structurelles.
Le remodelage du paysage géostratégique induit par la destruction des plateformes opérationnelles de la politique impériale iranienne au Proche-Orient aurait dû, en théorie, ouvrir la voie à des déverrouillages tant politiques que stratégiques. Il n’en est rien. Le nouveau pouvoir exécutif s’est délibérément dessaisi de son pouvoir d’arbitrage et de décision, faute de cohésion interne, de courage moral, de neutralité idéologique et d’indépendance à l’égard des groupes d’intérêt et des politiques de domination chiite.
La diplomatie américaine s’est déployée sur plusieurs fronts afin de sanctuariser le pouvoir émergent, de négocier des trêves et de dégager la voie à une normalisation avec Israël par le biais de négociations de paix. L’engagement timoré de l’État ne lui laisse plus de marge de manœuvre indéfinie, et toute défaillance en la matière ouvrira la voie à des recompositions géostratégiques qu’une nouvelle guerre pourrait précipiter.
L’absence d’un consensus dûment négocié et entériné par les parties en présence, conjuguée au discrédit du Parlement libanais, ne facilitera en rien la perspective d’un retour à la paix. Les effets conjugués des crises de sécurité nationale, de concorde civile et de finances publiques sont loin d’être accessoires, et leur épilogue sera déterminant. Le Liban ne peut plus s’accommoder des pesanteurs idéologiques et stratégiques du régime iranien, pas plus que des intérêts sordides des mafias politico-financières.
L’issue des conflits en Syrie dépend largement de la réussite d’une transition inclusive, négociée avec discernement entre les parties prenantes et les acteurs régionaux impliqués. La prise du pouvoir par la formation jihadiste dirigée par Ahmed al-Joulani ouvre un long processus avant toute validation de son projet de reconstruction nationale. La conquête de Damas ne confère aucune légitimité nationale sans un passage obligé par des négociations avec les minorités ethno-nationales, une réflexion sur les choix de culture politique et institutionnelle, et une prise en compte des enjeux sécuritaires dans une région profondément déstabilisée, soumise à des politiques de partage impérial et sécuritaire. L’administration américaine s’efforce d’élaborer une équation sécuritaire et géostratégique négociée sous son égide, selon ses propres mécanismes d’arbitrage.
Les politiques concurrentielles ne pourront aboutir sans reconnaissance des nouvelles réalités géostratégiques induites par la contre-offensive israélienne, sans négociation des nouvelles lignes de démarcation sécuritaires, sans prise en compte des variables ethno-nationales et sans définition claire des paramètres d’une Realpolitik assumée. Les interfaces syro-irakiennes, le désarmement des milices chiites et l’avenir de la confédération irakienne constituent des enjeux déterminants pour toute transition réussie et toute stabilisation géopolitique durable. Toute entorse aux règles de gouvernance d’une réalité aussi complexe et mouvante conduira inévitablement à un scénario de chaos institutionnalisé et de guerres civiles latentes.
Le contexte palestinien demeure, à ce stade, étroitement conditionné par l’issue de la situation à Gaza et par son impact sur l’évolution globale du conflit israélo-palestinien. Les illusions nourries par le Hamas, alimentées par la politique de revanche iranienne, devraient se dissiper dans les semaines à venir, désormais qu’Israël dispose d’une liberté d’action accrue. Les Palestiniens sont confrontés à l’urgence de régler la question de la gouvernance de Gaza, de convaincre le Hamas de la nécessité de son retrait du territoire et de leur participation à la coalition internationale envisagée à cette fin. La prééminence de la logique militante, et son instrumentalisation par des politiques de puissance et des cooptations idéologiques islamo-gauchistes, produisent des effets pervers aux conséquences incalculables, allant de la reprise des hostilités à la destruction des perspectives de reconstruction, avec un coût humain dévastateur.
La fin du long intermède iranien constitue une question lancinante, dont l’issue approche, que ce soit par la voie diplomatique ou par celle des armes. Le pourrissement interne de la société iranienne semble atteindre un point de non-retour, tandis que la destruction de ses plateformes opérationnelles revient au premier plan. Le Proche-Orient et ses sociétés sont en quête de déblocage afin d’éviter le cycle des guerres récurrentes et de pouvoir enfin s’atteler aux défis vitaux liés à l’eau, au changement climatique, à la pauvreté et au développement économique — autant de facteurs étroitement liés à leur avenir et aux équilibres géopolitiques désormais fragmentés.




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