Gap Law : comment l’État libanais efface sa responsabilité
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Toute crise financière pose une question centrale : qui doit assumer les pertes ?

Dans une économie libérale fondée sur la responsabilité, la réponse est claire : celui qui a décidé, dépensé, emprunté et failli. Or, la Gap Law apporte une réponse radicalement opposée. Elle organise méthodiquement l’effacement de la responsabilité de l’État libanais et transfère le coût de décennies de politiques publiques défaillantes vers les banques… et surtout vers les déposants.

 

Une crise publique, pas une crise privée

Les propres motifs de la Gap Law reconnaissent que le Liban traverse une crise systémique, née des politiques monétaires et budgétaires successives, de l’effondrement de la monnaie nationale et du défaut souverain. Ce constat est essentiel : il établit que l’origine de la crise n’est ni bancaire, ni contractuelle, mais publique.

L’État a accumulé des déficits chroniques, financé des subventions non soutenables, maintenu artificiellement un taux de change intenable, englouti des milliards dans le secteur de l’électricité et, enfin, fait défaut sur sa dette. Ces choix relèvent exclusivement de la décision publique.

Dans toute logique économique et juridique, ces pertes doivent être assumées par celui qui les a créées. Pourtant, la Gap Law prend le chemin inverse.

 

L’article 113 : une obligation transformée en option

L’un des aspects les plus graves du texte réside dans la mise à l’écart de l’article 113 de la loi sur la monnaie et le crédit. Cet article est pourtant sans ambiguïté : lorsque la Banque du Liban subit des pertes, celles-ci doivent être couvertes par le Trésor public.

Il ne s’agit pas d’un principe théorique, ni d’une option politique. C’est une obligation légale impérative, conçue précisément pour éviter que les pertes de la banque centrale ne soient transférées au système bancaire ou aux déposants.

La Gap Law vide cette obligation de sa substance. Elle transforme un devoir juridique clair en une simple possibilité, conditionnée à des considérations de “soutenabilité de la dette”. Autrement dit, l’État s’accorde le droit de ne pas respecter la loi lorsque cela lui devient politiquement ou budgétairement inconfortable.

Pour un État qui prétend se réformer, le message est désastreux : la loi s’applique quand elle arrange, et disparaît quand elle coûte.

 

La dette de l’État envers la Banque du Liban : une fiction organisée

Autre tour de passe-passe majeur : le traitement de la dette de l’État envers la Banque du Liban. Cette dette, massive et documentée, résulte du financement direct et indirect des déficits publics. Elle constitue le cœur du déséquilibre financier actuel.

Plutôt que de reconnaître pleinement cette dette et d’en assumer le coût, la Gap Law la transforme en une écriture comptable abstraite, renégociable, étalée dans le temps et dépourvue de valeur économique réelle. Son existence même devient conditionnelle à une appréciation politique de la “capacité” de l’État à payer.

En pratique, cela revient à dire : l’État reconnaît sa dette… seulement s’il peut se le permettre.

Cette approche inverse totalement les principes de responsabilité budgétaire. Dans un système libéral, ce n’est pas au créancier de s’adapter à l’incapacité du débiteur public, mais à l’État de restructurer ses dépenses, ses priorités et ses engagements.

 

Privatiser les pertes publiques

En refusant d’assumer ses propres pertes, l’État choisit la voie la plus commode : les transférer. La Gap Law organise ainsi une privatisation des pertes publiques.

Les banques sont sommées d’absorber des pertes qui dépassent leurs capacités, malgré le fait qu’elles aient financé l’État dans un cadre réglementaire imposé. Les déposants, quant à eux, voient leur épargne mobilisée de force pour combler un déficit qu’ils n’ont ni créé, ni contrôlé.

Ce mécanisme viole un principe fondamental de l’économie libérale : la responsabilité doit être proportionnelle au pouvoir de décision.

Or, ni les banques ni les déposants n’ont décidé de la politique budgétaire, monétaire ou énergétique du pays.

 

Un État spectateur de sa propre faillite

À la lecture de la Gap Law, l’État apparaît comme un acteur extérieur à la crise, presque comme un arbitre neutre. Cette posture est juridiquement et politiquement intenable.

L’État n’est pas un observateur : il est le principal acteur de l’effondrement.

En s’exonérant de toute contribution budgétaire directe, le législateur crée un précédent dangereux : celui d’un État qui peut échouer sans en assumer les conséquences, tout en conservant ses structures, ses dépenses et ses privilèges.

Un tel modèle est incompatible avec toute réforme sérieuse. Aucun investisseur, aucun bailleur de fonds, aucun citoyen ne peut croire à un redressement fondé sur l’irresponsabilité institutionnalisée.

 

Une réforme sans État responsable est une illusion

La reconstruction du système financier libanais ne peut se faire sans un État qui reconnaît ses fautes, assume ses pertes et réforme ses dépenses. La Gap Law fait exactement l’inverse : elle gèle les causes de la crise tout en liquidant ses conséquences sur le secteur privé.

En réalité, ce texte ne réforme pas l’État.

Il le protège.

Il ne restructure pas les finances publiques.

Il les sanctuarise aux dépens de l’épargne.

 

Sans responsabilité publique, pas de solution durable

La Gap Law échoue sur un point fondamental : elle refuse de nommer le responsable principal de la crise. En effaçant la responsabilité de l’État, elle rend toute solution durable impossible.

Un pays ne se reconstruit pas en faisant payer ses citoyens pour les fautes de son pouvoir public.

Il se reconstruit en restaurant la responsabilité, la légalité et la confiance.

Sans État responsable, la Gap Law n’est pas une réforme. C’est un renoncement.

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