Fièvre aphteuse : le cheptel libanais sous pression, l’urgence sanitaire s’installe
Fièvre aphteuse : le bétail libanais paie la facture d’un État poreux. ©DR

Près de deux tiers des vaches du pays seraient aujourd’hui touchées par une fièvre virale foudroyante qui fait chuter la production laitière et ruine les éleveurs. Une épizootie “extrêmement dangereuse mais non transmissible à l’homme”, assurent les vétérinaires, mais qui met à nu les failles de la prévention au Liban, alors qu’une autre maladie, la dermatose nodulaire contagieuse, affole déjà les éleveurs en France et en Europe.

Alors que les rapports vétérinaires internationaux alertent sur la fièvre aphteuse au Moyen-Orient et la dermatose nodulaire en Europe, les éleveurs libanais découvrent, eux, les limites d’un système de prévention déjà fragilisé.

Une “grippe” des sabots qui tourne à la catastrophe

Dans les étables libanaises, le thermomètre s’est emballé bien avant les communiqués officiels. Depuis plus d’un mois, les vétérinaires voient défiler les mêmes scènes : vaches abattues par la fièvre, cloques dans la bouche, sur les sabots ou sur le pis, refus de s’alimenter, veaux qui meurent les uns après les autres.
Derrière ce tableau, un diagnostic : la fièvre aphteuse, dans une version SAT1, ce variant longtemps cantonné à l’Afrique et qui s’est imposé en quelques mois comme une pandémie animale, de l’Irak à l’Égypte en passant par la Turquie et sans doute la Syrie.
« Aujourd’hui, nous estimons que 60 à 70 % du cheptel bovin est atteint, avec une production de lait divisée par deux », alerte le Dr Khair Jarrah, membre du Conseil supérieur de l’agriculture. « Pour un éleveur, chaque vache malade, c’est plusieurs milliers de dollars qui s’envolent entre médicaments, perte de lait et risque de mortalité. »
Les autorités et les vétérinaires répètent que le virus ne se transmet pas à l’être humain, ni par contact ni par la consommation de viande ou de produits laitiers. Le président de l’Ordre des vétérinaires, Ihab Chaaban, insiste aussi sur un point qui revient en boucle dans les appels affolés des familles : la maladie ne présente aucun danger pour les animaux de compagnie comme les chats et les chiens. Même le lait d’un animal atteint n’est pas nocif — quand bien même, dans la réalité des fermes, la vache malade cesse souvent de produire.
Pour les agriculteurs, en revanche, la maladie est tout sauf bénigne : c’est une saignée économique et un choc psychologique.

Vaccins, ceintures sanitaires et lutte contre la contrebande

Sur le terrain, les symptômes étaient signalés depuis des semaines, et la réponse s’organise désormais sur plusieurs fronts : surveillance des foyers, restrictions de mouvements d’animaux entre régions, et renforcement annoncé des contrôles, notamment contre la contrebande.
Contacté par Ici Beyrouth, le ministre de l’Agriculture Nizar Hani affirme que son ministère tente de se procurer des vaccins “par toutes les sources possibles”. Il annonce l’arrivée, “d’ici la fin de la semaine”, d’environ 50 000 doses en provenance d’Égypte, ciblant la souche SAT1. “Pour les vaches déjà contaminées, c’est trop tard malheureusement”, concède-t-il, expliquant que l’objectif immédiat est de protéger les cheptels encore sains et de freiner l’extension de l’épizootie.
Hani dit avoir lancé une campagne de vaccination par priorités, autour des zones les plus atteintes et dans les secteurs à forte concentration de bétail. Il cite notamment, d’une part, le secteur compris entre Aïn Dara et Niha, et, d’autre part, Choueifate, où des regroupements de bétail sont également signalés. “Le virus est très agressif”, insiste-t-il.
Sur les frontières, le ministre assure que la situation “s’améliore”, tout en reconnaissant que le dossier reste sensible. Il cite un épisode récent : “il y a deux jours, 160 vaches introduites de Syrie ont été réquisitionnées”, certaines étant contaminées. Selon lui, ces interceptions traduisent une montée en puissance du contrôle. “On est sur le bon chemin”, conclut-il.
De son côté, Khair Jarrah salue le choix du ministre de stopper les expéditions depuis les pays où la souche SAT1 a été signalée et de geler temporairement d’autres arrivages, tout en mettant en avant la mobilisation administrative autour du dossier, notamment avec le directeur général Louis Lahoud. Et il répète le message sanitaire martelé depuis le début : la maladie touche les bovins, sans impact sur les consommateurs via les produits laitiers ou la viande.

Des pertes colossales… et peu d’espoir de compensation

Au-delà des chiffres, la fièvre aphteuse se lit dans les visages. Un éleveur raconte avoir importé, fin octobre, 250 vaches laitières “de premier choix”. Toutes sont désormais malades. La production quotidienne est passée de quatre tonnes de lait à moins de 800 kilos. Les médicaments lui coûtent environ mille dollars par jour. Si le troupeau ne se rétablit pas, la perte pourrait atteindre 400 000 dollars.

Dans les fermes les plus touchées, des vaches qui semblaient reprendre le dessus rechutent brutalement, avec une atteinte sévère du pis. « C’est le scénario cauchemar, explique le Dr Jarrah. Même quand l’animal survit, la mamelle reste abîmée et la vache ne redeviendra jamais ce qu’elle était. »
Le président de l’Ordre des vétérinaires, lui, rappelle une mécanique implacable : l’éleveur est le perdant automatique. Bêtes achetées à prix fort, reproduction à l’arrêt, lait en chute libre, et parfois l’option du sacrifice. Des vétérinaires, dit-il, affirment ne plus parvenir à “tenir” le terrain tant les cas se multiplient.
Côté pouvoirs publics, le nerf de la guerre reste la capacité d’accompagner un secteur déjà fragilisé. Les éleveurs documentent leurs pertes et espèrent une réponse à la hauteur, dans un pays où les marges budgétaires sont étroites.

En Europe, une autre menace

Pendant que les éleveurs libanais tentent de sauver ce qui peut l’être, leurs homologues européens affrontent une autre épidémie bovine : la dermatose nodulaire contagieuse. Transmise principalement par des insectes, elle provoque fièvre, chute de la production laitière et nodules douloureux.
En France, des foyers confirmés ont conduit à l’abattage massif de troupeaux entiers, déclenchant une colère noire parmi les agriculteurs. Là encore, les autorités rappellent que le virus n’atteint pas l’homme et ne se transmet pas via la viande ou le lait, mais l’impact économique est lourd.
Le Liban n’est pas au centre de cette crise européenne, mais la comparaison frappe : ici, la fièvre aphteuse ravage les étables au moment même où l’Europe débat de mesures préventives radicales contre une autre menace.

Quand les vaches paient pour la politique

La fièvre aphteuse ne tuera pas les Libanais, rappellent virologues et vétérinaires. Mais elle est en train de tuer la confiance d’un secteur entier dans la capacité de l’État à le protéger. Pendant qu’en Europe on abat des vaches par milliers pour contenir la dermatose nodulaire, le Liban regarde ses propres troupeaux s’épuiser, coincé entre virus importés, vaccins attendus et trafic jamais vraiment jugulé.
Au bout du compte, une constante demeure : ici comme ailleurs, ce sont toujours les mêmes qui paient l’addition des frontières poreuses, des choix politiques hésitants et des crises mal gérées. Les vaches, elles, n’ont pas voix au chapitre. Les éleveurs non plus, ou si peu.

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