À Damas: proposition libanaise sur les détenus, désaccord syrien et un dossier toujours irrésolu
©Ici Beyrouth

La réunion judiciaire tenue mercredi à Damas devait permettre de débloquer l’un des dossiers les plus sensibles entre Beyrouth et la capitale voisine: celui des prisonniers syriens incarcérés au Liban et des modalités éventuelles de leur transfert vers la Syrie.

Elle a également remis en lumière, en arrière-plan, la question des Libanais détenus ou portés disparus en territoire syrien, un dossier que Damas assure clos, mais qui ne cesse de ressurgir dès que s’ouvrent les discussions bilatérales.

Cette nouvelle séquence intervient alors que les relations entre les deux capitales connaissent un début de réchauffement, impulsé par la chute du régime de Bachar al-Assad le 8 décembre 2024, l’arrivée au pouvoir d’Ahmad el-Chareh et une série d’échanges politiques qui ont suivi. Néanmoins, malgré ce climat plus ouvert, la rencontre de mercredi n’a pas produit de résultats concrets. Elle a, au contraire, mis en lumière les divergences profondes qui continuent de diviser les deux parties. Pourquoi ?

Dès l’ouverture des discussions, la délégation libanaise présidée par le juge Claude Ghanem a présenté un projet d’accord détaillé sur la situation des détenus syriens au Liban, invitant la partie syrienne à formuler par écrit ses observations afin de procéder aux ajustements nécessaires.

La réaction de Damas n’a pas tardé et s’est traduite par une nette frustration. Selon une source judiciaire consultée par Ici Beyrouth, le texte libanais ne concernerait qu’un peu plus de 300 détenus. Un nombre jugé insuffisant par les autorités syriennes. Ces dernières espéraient, toujours selon la même source, un projet plus englobant, couvrant jusqu’à 90 % des prisonniers syriens incarcérés au Liban, notamment ceux impliqués dans le soulèvement syrien ou ceux ayant quitté le pays pour échapper aux services du régime précédent.

Il faut dire que pour Damas, désormais dirigée par Ahmad el-Chareh, ce dossier n’est pas seulement technique. Il touche au cœur de la transition politique syrienne. Comme l’explique Farès Souhaid, ancien député, interrogé par Ici Beyrouth, de nombreux détenus sont considérés comme ayant appartenu, de près ou de loin, au mouvement insurrectionnel, ayant permis l’arrivée au pouvoir de Chareh.

Il est cependant essentiel, selon lui, de distinguer les cas: ceux accusés d’avoir affronté l’armée libanaise, par des actes terroristes, ne sauraient bénéficier d’aucune clémence, tandis que les détenus dont l’implication «se limite» à des activités politiques ou autres crimes pourraient être jugés par des mécanismes exceptionnels et accélérés. Ainsi, la création de tribunaux extraordinaires permettrait, d’après M. Souhaid, de statuer rapidement sur ces dossiers et contribuerait à un apaisement durable entre les deux pays.

Un autre volet sur lequel ont porté les discussions officielles est celui des prisonniers et disparus libanais en Syrie. Damas certifie qu’il n’y en a plus. La veille de la réunion, le ministre syrien de la Justice, Mazhar Abdel-Rahmane al-Oueis, affirmait qu’il n’existe plus aucun prisonnier libanais en Syrie.

Une déclaration à laquelle adhère quelque peu Farès Souhaid, qui rappelle que ce dossier a relativement été mis au clair avec la chute de Bachar el-Assad et l’ouverture des prisons syriennes. «Les scènes découvertes dans ces centres de détention ont, effectivement, montré le sort de plusieurs prisonniers, rendant peu probable l’existence de survivants libanais encore détenus.  

Il convient de rappeler, à cet égard, qu’au-delà de sa dimension politique, ce dossier revêt une importance immédiate en raison de la situation carcérale au Liban, particulièrement tendue. Les Syriens représentent environ 29% de la population pénitentiaire, soit près de 2 400 détenus, répartis entre condamnés pour délits, pour crimes graves ou encore pour terrorisme. Parmi eux, 1329 sont incarcérés sans qu’aucun jugement n’ait encore été émis à leur encontre.

«Maintenir des individus emprisonnés sans jugement constitue une violation manifeste de l’État de droit», indique M. Souhaid. Il estime, dans ce sens, que le ministre libanais de la Justice dispose des moyens nécessaires pour enclencher un processus clair accélérant les procédures et clarifiant la situation de chaque détenu. Un chemin qui semble encore long à parcourir.

La réunion de Damas s’est achevée sans avancée spectaculaire. Aucun calendrier n’a été fixé, aucun texte finalisé et l’accord demeure, pour l’heure, gelé. La suite dépendra de la réponse du Liban aux observations syriennes. Au-delà des aspects techniques, cette négociation est devenue un test majeur pour la nouvelle phase diplomatique entre Beyrouth et Damas.

Pour la Syrie, elle touche au cœur de sa propre recomposition; pour le Liban, elle combine des enjeux humanitaires, sécuritaires et judiciaires d’une rare complexité. Le prochain échange dira si cette volonté affichée d’ouverture peut enfin se traduire en décisions concrètes.

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