Au Liban comme en Syrie, la chute de Bachar el-Assad ne laisse pas indifférents ceux qui, jadis, ont fui l’étau du régime. Un an jour pour jour après la chute de l’ancien président, les Syriens installés au Liban ont vécu le 8 décembre (date de l’effondrement de l’ancien régime) comme un moment à la fois historique et intime. Il faut dire que le premier anniversaire de la fin du règne des Assad, tombé après plus de quatorze ans de guerre, a ravivé des émotions profondes chez une communauté marquée par les déplacements, les pertes et l’incertitude. Pour beaucoup, cette date symbolise avant tout un soulagement immense, presque physique, comme si un poids longtemps porté sur leurs épaules avait enfin glissé. Ici Beyrouth les a interrogés et c’est toujours (ou presque) la même phrase qui revenait: «On respire différemment depuis un an».
Pour certains, le souvenir de la chute du régime reste associé à une forme d’incrédulité. «J’ai mis plusieurs jours à y croire», raconte Ahmad, originaire de Deraa, aujourd’hui concierge à Achrafieh. «Je me suis réveillé le lendemain en me disant: ce cauchemar est vraiment fini, pour moi et pour ma famille». D’autres décrivent l’année écoulée comme une période de reconstruction intérieure, malgré la précarité matérielle. «On n’a pas encore retrouvé notre pays, mais on a retrouvé un peu de dignité», glisse Malaké, une mère de famille installée à Tripoli.
Ce soulagement, bien que largement partagé, reste teinté de prudence. Si l’effondrement du régime a ouvert une perspective nouvelle, la question du retour demeure suspendue. Beaucoup hésitent. Ils redoutent les conditions économiques en Syrie, les zones encore instables, les tensions persistantes, ou simplement la confrontation avec un pays transformé par la guerre. «On veut rentrer, bien sûr», affirme Moustapha, originaire de la Ghouta. «Mais rentrer dans quoi ? Dans une maison détruite ? Un quartier disparu ? Une société qu’on ne connaît plus ?» Ces interrogations résonnent au sein d’une bonne partie de la diaspora syrienne du Liban.
En parallèle, cette hésitation nourrit aussi les débats à Beyrouth, où la question du retour des déplacés demeure l’un des dossiers les plus sensibles pour l’État libanais, désormais engagé dans des discussions avec le nouveau pouvoir syrien et avec les agences internationales, dans un contexte où les priorités politiques et humanitaires ne se croisent pas toujours.
Il n’en demeure pas moins que, dans la nuit de dimanche à lundi, l’anniversaire n’est pas passé inaperçu. Dans plusieurs régions du pays, l’émotion a laissé place à une forme de célébration collective, d’abord timide puis spontanément assumée. À Tripoli, la place al-Nour s’est remplie progressivement, comme si chacun attendait de voir si les autres oseraient venir. Puis les drapeaux ont commencé à apparaître, les chants se sont élevés, les klaxons ont retenti. Des familles entières sont arrivées, certaines avec des enfants qui n’ont connu la Syrie qu’à travers les récits de leurs parents. Les réjouissances prenaient parfois des allures de libération retardée.
Dans le Akkar, des cortèges de voitures ont sillonné les routes, décorées de banderoles et de drapeaux syriens. À Saïda, des groupes de jeunes ont dansé jusque tard dans la nuit, filmant des vidéos envoyées directement à leurs proches en Syrie. Les rassemblements n’étaient pas uniformes mais partageaient un même fil conducteur: la volonté de marquer une date qui appartient à leur histoire.
Ce premier anniversaire a rappelé que, même loin de leur pays, les Syriens au Liban restent étroitement liés à son destin. Entre soulagement, nostalgie et prudence, la journée a révélé un mélange d’émotions qui dépasse la conjoncture actuelle… en attendant le grand retour.



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