Les enjeux politiques au Proche-Orient relèvent avant tout de considérations géopolitiques ; tous les autres ne sont que des expressions dérivées. Il est inutile de traiter les questions de gouvernance ou de réformes institutionnelles comme des enjeux sui generis, alors qu’elles sont instrumentalisées par des politiques de puissance à des fins de déstabilisation.
Il suffit de récapituler les cas du Liban, de l’Iraq, de Gaza ou de la Syrie pour se rendre compte que nous faisons face à des rivalités de puissance entre des acteurs régionaux qui se servent de simulacres étatiques afin de promouvoir leurs intérêts géostratégiques changeants. Les querelles méthodologiques n’ont aucune pertinence dans la mesure où ces États n’ont jamais pu développer une consistance propre leur permettant de se positionner comme des acteurs indépendants sur la scène internationale. Nous avons plutôt affaire à des ersatz étatiques servant de plateformes opérationnelles à des guerres par procuration.
Le Liban est incapable de réhabiliter sa stature étatique alors que la politique de domination chiite remet en cause la légitimité nationale du pays, le pacte national et les équilibres systémiques du régime politique. Cette dynamique fausse le jeu politique en déplaçant son centre de gravité vers les rivalités géostratégiques qui s’en nourrissent. Le Hezbollah ne s’en cache pas : il se pose en émule de l’État libanais dans les négociations avec Israël. Il se déclare prêt à toutes les concessions en échange du déclassement assumé de l’État libanais ; il passe de la cooptation de l’État à sa dévalorisation statutaire. Tout le jeu politique actuel tourne autour de ces ambivalences statutaires et de leurs incidences domestiques et régionales. La question aujourd’hui est celle de la viabilité de ce jeu pervers et de ses répercussions sur la paix civile ainsi que sur les enjeux stratégiques et sécuritaires.
Israël est loin de se fier aux engagements hypothétiques du Hezbollah ou de s’accommoder de la décomposition de la scène politique libanaise et des luttes d’influence régionales qui l’assaillent. La fiction étatique libanaise est en train de s’effondrer au profit de querelles d’intérêts sauvages et de politiques de domination islamiste dans leurs versions concurrentes. Il est impossible de composer avec la politique de revanche iranienne, qui entend ressusciter une dynamique de subversion en sanctuarisant un Liban entièrement assujetti à sa logique de puissance. Le Hezbollah n’étant que l’instrument de cette stratégie. Tous les ingrédients d’une guerre civile en gestation et d’un chaos institutionnalisé sont réunis. Les illusions d’une pacification hypothétique avec Israël n’ont même plus besoin d’être testées : elles ont déjà fait long feu.
Les élections en Iraq partent avec plusieurs handicaps : un déficit du collège électoral marqué par une abstention avoisinant la moitié des électeurs (9 000 000 sur 20 000 000), le contrôle du processus électoral par l’Iran, l’éclatement de la scène politique chiite, et l’émiettement sectaire du vote entre composantes chiite, sunnite, kurde et diverses minorités (chrétienne, yézidie…). Le pays demeure otage de forces centrifuges, bien loin de pouvoir retrouver les conditions d’une stabilité suffisamment consolidée pour entériner des arrangements constitutionnels qui peinent à s’imposer dans une scène politique et régionale volatile et fragmentée. La politique iranienne poursuit sa stratégie d’embrigadement, de subversion et de satellisation avec constance. Il est invraisemblable d’évoquer une quelconque stabilité, une constitutionnalisation de la vie politique ou des solutions négociées dans un pays où les conditions d’une paix civile n’existent pas.
La Syrie semble s’acheminer vers une dynamique de stabilisation, issue d’une reconstruction hypothétique de la matrice étatique, d’un rééquilibrage géostratégique en formation et d’un renoncement relatif au narratif jihadiste et à ses prolongements opérationnels. La visite d’Ahmed al-Share'h à Washington vise à sceller l’aboutissement d’une normalisation progressive, mais toujours soumise aux aléas d’un pays éclaté, contraint d’avancer sur les dossiers épineux de la réconciliation nationale, du renouvellement de la culture politique autour des droits de l’homme et de l’État de droit, et de la résolution négociée des différends ethnopolitiques. Sans oublier le poids de la guerre civile, les effets de l’ensauvagement moral et civique, ainsi que les défis de la reconstruction économique et sociale.
Gaza et la scène palestinienne ne sont que les deux faces d’une même réalité. La première question qui se pose est celle de la possibilité d’une solution négociée en l’absence d’une reconnaissance du fait israélien et d’un retour sur les démarches et accords qui ont scandé ce conflit, sans cesse repris depuis le point zéro. À chaque séquence, ce conflit est abordé comme s’il s’agissait d’une nouveauté. Pourtant, la contre-offensive israélienne a fixé des bornes qu’il sera difficile de remettre en cause.
Les négociations doivent se dérouler en termes de Realpolitik et de reconnaissance du fait israélien si l’on veut mettre fin aux dynamiques de conflit ouvert. La radicalisation s’alimente des deux côtés tant que le déni persiste et que la volonté d’annihilation de l’État d’Israël demeure au cœur de la doxa politique. La question de Gaza n’a d’autre issue que celle d’une gouvernance internationale négociée et validée par les parties concernées, tandis que la solution d’ensemble doit être reprise sur la base d’arrangements intérimaires en attendant de définir un cadre définitif, quel qu’il soit. La militance palestinienne, avec ses relents ouvertement nihilistes, n’a plus laissé place à la moindre ambiguïté depuis le pogrom du 7 octobre 2023.
L’arbitrage américain et son rayon d’action sont salutaires. La stratégie amorcée par l’administration américaine, qui pose des nœuds stratégiques incontournables, est désormais la seule voie possible pour contrer la politique de sabotage iranienne, les convulsions du terrorisme islamiste et les enfermements produits par les autoritarismes qui se sont succédé dans la région au cours du dernier siècle. Livrée à ses propres ressorts, la région demeure vouée aux élucubrations d’un islamisme nihiliste et aux dérives d’une culture politique où violence et rapports de force définissent la trame du politique et sa finalité ultime.




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