Quatre athlètes, un drapeau: le Liban aux Deaflympics de Tokyo
Depuis l’aéroport de Beyrouth, la petite délégation libanaise des Deaflympics prend la route de Tokyo. ©DR

Pour la première fois, le drapeau libanais flottera à l’ouverture des Deaflympics, les Jeux olympiques des sourds, à Tokyo du 15 au 26 novembre. Quatre athlètes, un siècle après la naissance de ces Jeux, portent les couleurs d’un pays en crise mais riche de courage : un nageur qui a perdu sa maison dans la guerre, une championne de taekwondo, deux sprinteuses soutenues par le mouvement du marathon. Au-delà des résultats, une histoire de résilience et de droit au sport pour tous.

Les valises sont modestes, les moyens comptés, mais le symbole est immense. Depuis l’aéroport de Beyrouth, une délégation de quatre athlètes sourds a pris la direction de Tokyo pour participer aux Deaflympics, les Jeux olympiques des sourds. Pour la première fois, le Liban défilera avec son propre drapeau à la cérémonie d’ouverture de cet événement mondial réservé aux sportifs sourds ou malentendants.

Cette participation historique est portée par la Fédération sportive libanaise pour les sourds, présidée par Marc Constantin, et rendue possible malgré les conditions économiques et politiques, avec l’appui de la ministre de la Jeunesse et des Sports, Nora Bayrakdarian. Sur la piste, dans l’eau et sur le tatami, ils sont quatre : Jalal Abbas, Sarah Saliba, Janine Mehanna et Rana Zeineddine. Quatre parcours, une même phrase en langue des signes : nous aussi, nous avons notre place aux Jeux.

Les Jeux qui parlent avec les mains

Les Deaflympics – appelés aussi Jeux olympiques des sourds – sont la plus ancienne compétition multisports au monde après les Jeux olympiques. Créés à Paris en 1924, ils rassemblent aujourd’hui environ 2 879 athlètes venus d’une quatre-vingtaine de pays, engagés dans 19 disciplines, tous les quatre ans. Seuls les sportifs ayant une perte d’audition d’au moins 55 décibels peuvent y participer, sans aides auditives ni implants pendant les épreuves, afin de garantir l’équité. Reconnu par le Comité international olympique, le mouvement des Deaflympics reste indépendant du paralympisme et défend une identité propre : des Jeux pensés par et pour les athlètes sourds.

Un siècle d’histoire, une première pour le Liban

Que le Liban arrive si tard dans cette histoire en dit long sur la réalité du handicap et du sport inclusif au pays du Cèdre. Les sourds, comme de nombreux autres publics vulnérables, se heurtent à un double mur : manque de moyens et invisibilité sociale. Les écoles spécialisées sont peu nombreuses, les infrastructures sportives rarement adaptées, les entraîneurs encore peu formés à la langue des signes.

C’est pourtant dans ce contexte que la Fédération sportive libanaise pour les sourds a structuré, pas à pas, une pratique compétitive. La participation de 2025 à Tokyo marque une rupture : pour la première fois, le Liban ne se contente pas d’initiatives isolées ou de tournois régionaux, mais s’aligne sur un événement mondial aux standards olympiques.

Sur le plan sportif, l’enjeu est immense mais réaliste : il ne s’agit pas seulement de ramener des médailles, mais de prendre la mesure du niveau international, de tisser des liens, d’ouvrir une voie. Sur le plan symbolique, l’image de quatre athlètes libanais sourds défilant derrière le drapeau vert, rouge et blanc, dans un stade japonais, vaut déjà une victoire.

Quatre destins, un même rêve

Le visage le plus marquant de la délégation s’appelle Jalal Abbas. Nageur, il est champion bien avant le coup de sifflet de Tokyo. Lors de la dernière guerre au Sud Liban, il a perdu sa maison. Contraint de se réinstaller à Beyrouth, il aurait pu abandonner le sport. Il a choisi l’inverse : continuer à s’entraîner, frapper aux portes, mobiliser sa famille et les habitants de Nabatiyeh pour financer son voyage. Sa participation aux Deaflympics est un défi lancé au destin autant qu’aux chronos.

À ses côtés, la championne du Liban de taekwondo Sarah Saliba incarne un autre visage de cette aventure : celui d’une athlète déjà bien insérée dans le système sportif « classique ». Elle participe sous l’égide et avec le soutien appuyé de Habib Zarifeh, qui dirige de main de fer la Fédération libanaise de taekwondo et ne rate aucune occasion de défendre ses athlètes, qu’ils soient entendants ou sourds. Figure centrale des sports de combat au Liban, Zarifeh a tenu à ouvrir les portes de sa fédération aux athlètes sourds et à les accompagner jusque sur la scène mondiale. À ses côtés, l’université ALBA – Université de Balamand – et la société Starkey Hearing complètent ce montage de soutiens. Pour Sarah, ces Deaflympics sont l’occasion de montrer qu’on peut être à la fois sourde, compétitive et parfaitement légitime sur les tatamis internationaux.

Les pistes d’athlétisme seront, elles, foulées par deux sprinteuses d’exception : Janine Mehanna, mère de deux enfants, et Rana Zeineddine. Leur préparation et leur voyage ont été soutenus par la Beirut Marathon Association, la Fondation Alwaleed bin Talal.... Là encore, la symbolique est forte : le mouvement qui a popularisé la course de fond au Liban s’engage désormais pour que les sourds aient, eux aussi, leurs lignes de départ.

Partir malgré tout : la course aux financements

Derrière la carte postale de Tokyo se cache une réalité bien plus rude. Pour que cette délégation existe, il a fallu additionner les efforts : ceux de la Fédération sportive des sourds, ceux du ministère, ceux des sponsors privés, ceux des proches. Dans un pays où le salaire moyen s’effrite et où la monnaie a perdu l’essentiel de sa valeur, financer un billet d’avion, un stage de préparation, un équipement homologué relève parfois du casse-tête.

Les quatre athlètes ont dû jongler entre horaires de travail, obligations familiales et entraînements, souvent dans des infrastructures peu adaptées. Les interprètes en langue des signes ne sont pas toujours disponibles, les entraîneurs ne sont pas tous formés à la spécificité des sourds, et les compétitions locales manquent pour se calibrer sur les standards internationaux.

C’est dire si cette participation libanaise aux Deaflympics est le résultat d’un montage fragile, mais d’une volonté de fer. Un message adressé aux institutions : lorsque l’on soutient des athlètes sourds, on ne fait pas de « charité », on remplit un devoir de justice sportive.

Les Jeux du silence, le message du Liban

À Tokyo, Jalal, Sarah, Janine et Rana se mesureront à des athlètes venus des quatre coins du monde, amateurs ou professionnels, hommes et femmes réunis par une même règle : dans les stades, personne ne porte de prothèse auditive, et les départs se donnent à la vue, non au son. Le silence devient langage commun, les mains remplacent les haut-parleurs, le regard fait office de coup de sifflet.

À l’heure où le pays peine souvent à écouter ses propres citoyens, ce sont des athlètes sourds qui rappellent au Liban l’essentiel : on n’a pas besoin d’entendre pour faire entendre sa présence. À Tokyo, dans le grand stade des Deaflympics, le Liban ne fera peut-être pas de bruit, mais pour la première fois, on le verra – et ce silence-là fera beaucoup de bien.

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