À l’occasion de la Journée mondiale du diabète, Ici Beyrouth a rangé sa tablette de chocolat pour se pencher — sans sucre ajouté — sur une maladie chronique qui gagne du terrain, frappe tous les âges et coûte très cher quand le dépistage, le suivi et l’accès aux soins prennent du retard.
Le présent massif d’une maladie silencieuse
Le diabète n’est plus une menace diffuse : c’est un présent massif. Dans le monde, environ 589 millions de personnes vivent aujourd’hui avec un diabète, dont près de 85 millions dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) ; à l’horizon 2050, la région pourrait en compter 163 millions. Au Liban, l’International Diabetes Federation (IDF) estime la prévalence adulte à 12,3 % en 2024, soit près de 440 000 personnes.
Le contexte de la Journée mondiale
La Journée mondiale du diabète est célébrée chaque 14 novembre, date anniversaire de Frederick Banting, codécouvreur de l’insuline. Lancée par la Fédération internationale du diabète et l’OMS en 1991, elle est devenue Journée officielle de l’ONU en 2006.
Ce que recouvre « diabète »
Le diabète apparaît lorsque le pancréas ne produit pas assez d’insuline ou lorsque l’organisme l’utilise mal. Le type 1 correspond à un déficit quasi complet de production d’insuline, souvent à début pédiatrique ou chez l’adulte jeune. Le type 2, très largement majoritaire, résulte d’une résistance à l’insuline puis d’un épuisement de la sécrétion, fréquemment associés au surpoids et à la sédentarité. Une hyperglycémie identifiée pour la première fois pendant la grossesse définit le diabète gestationnel. Sans prise en charge, les dégâts s’accumulent dans les yeux, les reins, les nerfs, le cœur et jusque dans les membres inférieurs.
L’explication clinique, en clair
« Dans le type 2, l’organisme devient progressivement résistant à l’insuline. Le pancréas compense, puis s’épuise. Le sucre circule à des niveaux toxiques, abîmant silencieusement les vaisseaux et les nerfs. C’est lent, trompeur, et c’est pour cela que le dépistage régulier après 40 ans — plus tôt en cas d’antécédents familiaux, de surpoids, d’hypertension ou de dyslipidémie — change la trajectoire d’une vie. Mieux on agit tôt, moins on paie en complications », explique le Dr Selim Jambart, endocrinologue à l’Hôtel-Dieu de France.
Un patient, un retard, une addition
« J’ai 52 ans. Pas de symptômes… jusqu’à une vision floue et des fourmillements. Mon HbA1c affichait 9,2 %. J’ai appris à composer mon assiette, je marche tous les jours, je prends mes comprimés : trois mois plus tard, 7,1 %. Si j’avais fait la prise de sang un an plus tôt, j’aurais évité des frayeurs — et des frais », confie Joseph K., 52 ans.
Ce que disent les chiffres au Liban
Une grande enquête nationale a retrouvé près de 8 % de diabètes diagnostiqués et environ 4 % de cas non dépistés, avec un bond au-delà de 36 % après 50 ans. Les complications étaient fréquentes : près d’un quart des patients concernés, avec une rétinopathie en tête, suivie des maladies coronariennes, des atteintes artérielles périphériques et des ulcères du pied. Douze pour cent des patients rapportaient une hypoglycémie ayant nécessité des soins au cours de l’année écoulée, et à peine plus des trois quarts réalisaient régulièrement une HbA1c. Le message est limpide : chaque mois gagné sur le dépistage et l’ajustement thérapeutique épargne des complications — et des budgets.
Trente ans de progrès thérapeutiques
Il y a trois décennies, l’arsenal reposait surtout sur l’hygiène de vie, la metformine, les sulfamides hypoglycémiants et, quand il le fallait, l’insuline, avec une autosurveillance plus rudimentaire et une éducation thérapeutique inégale. Aujourd’hui, la panoplie est plus large et plus protectrice : analogues du GLP-1 qui abaissent l’HbA1c et favorisent la perte pondérale, inhibiteurs du SGLT2 qui protègent le cœur et le rein, insulines modernes plus prévisibles, capteurs de glucose en continu qui rendent les courbes lisibles au quotidien, programmes d’éducation mieux structurés et télésuivi. La science existe ; au Liban, l’enjeu est l’accès — disponibilité, coûts, remboursements — sans lequel les retards se transforment en complications.
Vivre mieux : assiette et mouvement
La physiologie a ses règles : des repas réguliers, riches en légumes, légumineuses, céréales complètes et protéines maigres ; des portions maîtrisées ; une vraie parcimonie vis-à-vis des sucres rapides (boissons sucrées, jus, pâtisseries) ; et 150 minutes d’activité hebdomadaire, assorties de renforcement musculaire. Ce socle reste la première ligne de défense, quel que soit le traitement.
Nouveaux traitements, nouveaux mésusages
Le succès des agonistes du GLP-1 dans le diabète de type 2 — et, pour certains, dans l’obésité — a encouragé des usages hors indication pour maigrir. La demande flambe, les tensions d’approvisionnement suivent, au détriment des patients qui en ont l’indication médicale. Le message clinique demeure : pas d’automédication, indication documentée et suivi rapproché pour adapter les doses et gérer les effets digestifs.
Pourquoi cette journée compte encore
La Journée mondiale du diabète n’est pas un rituel symbolique. C’est un rappel utile de politiques de prévention et de prise en charge compatibles avec la réalité des systèmes de soins, et d’un accès équitable aux outils qui évitent l’« addition » des retards. Le diabète ne présente jamais l’addition au comptoir : il la glisse discrètement sous la table, ligne après ligne, à mesure que les rendez-vous sont remis, que les examens attendent et que les ordonnances se vident. La seule manière de payer moins, c’est d’arriver en avance — sur la prise de sang, sur les habitudes, sur le traitement.
Tout le reste, tôt ou tard, se règle au prix fort.




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